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ENTRETIENS 26 avril 2024

Le passé retrouvé (14) :
François-René Duchâble

Dans cet entretien réalisé en 1987, le pianiste François-René Duchâble, considéré par ses pairs comme un phénomène technique, avoue sa vraie passion : parvenir à toucher tous les publics, au-delà des cercles traditionnels d'initiés. Il se situe alors déjà très en marge des schémas de carrière politiquement corrects.
(Entretien réalisé en 1987 pour le Quotidien de Paris).

 

Le 08/08/2005
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Dès vos débuts, on a beaucoup parlé de vos étonnantes facilités et de la rapidité avec laquelle votre carrière démarrait. Partagez-vous cette opinion ?

    C'est un peu une légende. Déjà au Conservatoire, il parait que je jouais les octaves plus vite que les autres. En fait, si je regarde ceux de ma génération, à quelques années près, j'ai l'impression que leur carrière a été encore plus rapide que la mienne. Béroff a déjà un passé important chez Pathé-Marconi. Dalberto est parti plus vite aussi. En revanche, je reconnais qu'il y a eu chez moi des chocs, des sortes d'événements. Comme la rencontre avec Rubinstein quand j'avais 22 ans, puis avec Karajan, cinq ou six ans plus tard, grâce au film que Reichenbach faisait sur lui, des développements indirects auprès du public dus à la télévision, avec le Grand Echiquier notamment. Mais ça ne veut pas dire que pour le monde musical j'étais vraiment lancé, et même que je le sois aujourd'hui, car le grand démarrage de la carrière avec les chefs et les orchestres les plus fabuleux, je l'attends toujours. Même si, en fait, je ne l'attends pas, car à l'âge que j'ai, ce n'est pas pour moi l'essentiel. Le côté carrière, c'est un peu le but que les parents et professeurs vous ont toujours fixé, mais l'essentiel est de faire de la musique. Dans notre métier, le plus difficile n'est pas d'arriver, mais de se maintenir et surtout, comme le disait Rubinstein, de savoir s'arrêter. D'ailleurs, comme je ne vis plus à Paris, beaucoup croient que je suis à la retraite. Je me considère moi-même un peu en pré-retraite, car je suis comme immobilisé dans la carrière, au niveau du système commercial tout au moins.

     

    Est-ce dû aussi à votre rapport avec le répertoire ?

    Sans être un ascète comme Glenn Gould dans son laboratoire, je ressens de plus en plus un décalage avec la vie qui est plus ou moins imposée par le siècle, par tout le système musical tel qu'il est, et la pureté d'un discours musical qui ne peut pas faire de concessions avec le mondain, avec les conventions. Il est très difficile de concilier une certaine forme de collaboration avec un système de carrière établi qui permet de bien gagner sa vie, mais surtout de toucher un maximum de gens. Mon souci premier, plutôt que de continuer à m'adresser à un public restreint en nombre, est d'essayer de me servir de ce système pour pouvoir un jour imposer certaines formes de concert qui touchent beaucoup plus de monde, comme on le fait en variété. Mais est-ce qu'on peut appeler musique ce qu'ils vendent, car ils font avant tout du commerce. Les gens sont fascinés par ces musiques faciles et j'ai la faiblesse, par ma formation, peut-être un peu poussiéreuse, de croire davantage à Beethoven ou à Bach. Je suis intéressé par toutes les musiques, aussi bien les messes de Guillaume de Machaut que le piano de Debussy. Mais pour mon plaisir personnel. Je les goûte et je les savoure comme un fruit. Je sais que certains musiciens attendent de se juger dignes de certains compositeurs pour toucher à leurs oeuvres. Ce n'est pas mon cas, tant que cela reste pour mon usage et mon plaisir intimes et que je ne fais pas subir à des oreilles étrangères le résultat de ces expériences. Ce genre de travail ne peut que faire du bien à mon approche d'autres musiques qui me sont plus familières.

     

    Comment cela se traduit-il concrètement dans votre vie ? Donnez vous moins de concerts ? Vivez-vous plus retiré ?

    Je suis en pleine restructuration et réorganisation de ma vie. J'ai récupéré une maison de famille, et il faut que je travaille pour la payer, sans pour autant faire des doubles croches au mètre comme certains de mes collègues, même si la nécessité d'un rendement financier semble obséder tous les secteurs de la société. C'est une spirale dans laquelle je me sens mal, bien qu'il soit impossible d'y échapper totalement. On ne peut pas être à la fois dans le siècle et à côté. J'en parlais à un ami prêtre qui m'a dit de penser à Saint-François d'Assise – et Dieu sait si j'y pense à cause de Liszt notamment – qui a considérablement fait évoluer les choses à son époque en parfait désaccord avec les autorités religieuses mais en restant à l'intérieur de l'église. Rester dans l'unité ne veut pas dire rester dans l'uniformité.

    Par ailleurs, tenir en permanence un discours contre le système commercial est aussi très inconfortable. On est entre deux chaises et c'est un peu ce que je vis. Pour mieux vivre cette situation, il serait souhaitable d'avoir plus de temps pour réfléchir, de donner moins de concerts, tout en sachant que les concerts que l'on ne donne pas, ce sont les autres qui les donnent. Un dosage subtil à trouver tout en sachant que le vrai but à atteindre est la communication par la musique avec les contemporains qui vous écoutent. Alors, vous pensez bien que les discussions autour de l'ornementation exacte de la musique baroque ou de la manière dont il faut attaquer les trilles de Chopin ne me concernent pas.

    Ce qui m'intéresse, c'est la diffusion de la musique à coups de marteaux s'il le faut pour toucher le plus grand nombre de gens. J'en ai fait l'expérience au delà des salles de concerts, avec tout ce qui est animations en milieu scolaire ou hospitalier par exemple, sans en faire trop non plus pour ne pas dévaluer son jeu ni son nom. On a très vite fait de vous cataloguer parmi ceux qui en sont réduits à évoluer sur une sorte de circuit parallèle parce qu'ils ne trouvent rien d'autre à faire. Je profite souvent d'un concert normal dans une ville pour aller aussi jouer dans tel ou tel foyer ou école. Cela me permet de connaître une qualité de contact rare, comme on peut la trouver dans une cérémonie religieuse. Je me rends compte alors qu'on peut être ému par un Intermezzo de Brahms alors qu'on n'a jamais écouté rien d'autre que du rock. Une écoute collective dans un petit groupe de quarante ou cinquante personnes, c'est fabuleux. C'est en marge des schémas traditionnels de carrière, mais je veux justement me servir d'une carrière pour aider l'autre, et vice versa, me ressourcer d'un côté et redonner de l'autre. C'est un peu un travail de missionnaire qui part sur une terre complètement à défricher.

     

    Ouvrir des portes, c'est très bien, mais comment assurer un suivi pour répondre à des envies nouvellement éveillées ?

    Ce sont effectivement des actions très ponctuelles. Parmi les buts de Musique espérance qu'a fondé Estrella, car il ne peut plus assurer vraiment une carrière standard, il y a la diffusion de la musique, et il reconnaît que c'est très dur de savoir que souvent il n'y aura aucun suivi après un concert dans une prison ou ailleurs. Parfois, des ateliers qui se créent quand même après une intervention sous forme de concert. On est loin de la perfection, mais cela ne doit pas empêcher chacun d'apporter son petit grain de sable pour une meilleur diffusion de la musique dans les familles françaises, car c'est d'abord dans mon pays que je veux faire évoluer les choses, d'autant que la France est encore un désert musical dans beaucoup de régions. Et encore une fois, mon but, s'il est altruiste, ne l'est pas exclusivement car j'y trouve moi-même une communication plus profonde, plus vraie que dans les grandes salles de concert internationales. C'est peut-être pour cela que je travaille moins l'aspect performance instrumentale.

    J'ai découvert que l'instrument n'est qu'un moyen, pas un but. Chez d'autres instrumentistes, ce n'est pas le cas. Pierre Amoyal, par exemple, ose dire que l'instrument est aussi un but en soi car il est amoureux de son violon, qui est exceptionnel, il faut le reconnaître ! Cela arrive plus souvent avec les violonistes. Un violon a une personnalité. Nous, nos pianos, ce sont des instruments froids, industriels. On ne joue jamais les mêmes d'une ville à l'autre. On ne peut pas avoir de rapport vraiment physique. J'ai d'ailleurs éprouvé à l'époque de mon adolescence une sorte de malaise par rapport au piano, un phénomène de rejet que d'autres connaissent plus tard en pleine carrière et qui atteignait même la musique. Pourquoi passer des heures en solitaire à faire des octaves, à passer des concours internationaux ? Et puis les classes d'harmonie, de contrepoint et de fugue m'ont réconcilié avec la musique, mais encore plus fâché avec le piano. J'ai senti la vanité qu'il y avait à cultiver une maîtrise instrumentale en étudiant ces belles musiques écrites par d'autres, des chorals, des quatuors à cordes.

    J'ai quand même suivi, mais avec une certaine résignation la voie qui m'avait été tracée et qui prenait une tournure publique positive dont je voyais les avantages. Mais je n'ai jamais oublié que le répertoire dans lequel mon instrument me destinait à évoluer n'était sans doute pas celui qui correspondait à mes goûts réels les plus profonds, même si j'aimais bien jouer ces grandes transcriptions orchestrales de Liszt dont je dominais sans problèmes la technique car je l'avais acquise jeune et une fois pour toutes. Je n'ai pas abandonné ce répertoire car il s'est révélé un moyen de communication populaire, correspondant d'une certaine manière au but que je cherche et ne me demandant pas un travail obsessionnel purement instrumental puisqu'il était acquis. Je ne me résoudrai en effet jamais à n'être qu'une machine à faire des notes, même si parfois j'y parviens plus vite que les autres !




    A suivre



    La semaine prochaine : Ruggero Raimondi

     

    Le 08/08/2005
    Gérard MANNONI


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