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ENTRETIENS 25 avril 2024

Christophe Rousset, à l'épreuve de Circé

Vingt ans que les feux de la rampe se refusent à éclairer les singulières splendeurs de Scylla et Glaucus. Malgré les efforts de John Eliot Gardiner, la redécouverte de l'unique opéra de Jean-Marie Leclair est restée sans lendemain. Qui mieux que Christophe Rousset, infatigable défenseur d'oeuvres injustement négligées, pouvait tenter de lui redonner vie ?
 

Le 24/09/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Comment expliquez-vous qu'il ait fallu attendre vingt ans pour entendre de nouveau Scylla et Glaucus ?

    J'ai beaucoup fréquenté cette oeuvre, et elle me passionne, mais faire entrer les oeuvres du répertoire baroque français au répertoire est difficile – il en va de même pour Zoroastre ou les Fêtes d'Hébé de Rameau. Sans doute parce que ces oeuvres sont très ambitieuses, aussi bien du point de vue des effectifs que du propos. Il est beaucoup plus facile de monter un Monteverdi, ou l'Alcina de Haendel ; ces oeuvres coûtent moins cher, et sont généralement mieux perçues par le public ; les salles sont donc plus faciles à remplir. Donner un opéra de Leclair pose beaucoup plus de problèmes aux organisateurs. J'ai proposé Scylla et Glaucus plusieurs fois, et même à Hugues Gall. J'ai finalement l'opportunité de le diriger dans le cadre des Grandes journées Leclair à Versailles. C'est une chance que de pouvoir le faire une fois dans ma vie.

     

    Mais il s'agit d'une version de concert. Pensez-vous que cet opéra soit viable à la scène ?

    Je le crois. J'avais vu la recréation par John Eliot Gardiner à l'Opéra de Lyon, et elle m'avait énormément plue. C'était une mise en scène relativement classique de Philippe Lénaël, avec très peu de décors, qui fonctionnait sur les trajets et la rhétorique gestuelle, d'une façon assez hiératique, mais la musique est assez puissante pour se défendre toute seule. D'ailleurs, la mise en scène s'impose pratiquement d'elle-même, et la mise en scène s'impose pratiquement d'elle-même, c'est pas extrêmement complexe de mettre cette oeuvre là en scène, et elle serait certainement très adaptable aussi sur une mise en scène moderne, parce qu'elle est simplement extrêmement théâtrale et extrêmement frappante, donc peu importe à l'esthétique.

     

    Quels sont les principaux défis interprétatifs de Scylla et Glaucus ?

    Ils sont essentiellement instrumentaux, car Leclair porte l'orchestre Ă  un degrĂ© de virtuositĂ© Ă©tonnant. Il Ă©tait lui-mĂŞme un grand violoniste, et a composĂ© quatre pièces de sonates pour violon et basse continue d'une grande complexitĂ©, exploitant toute les possibilitĂ©s de l'instrument. L'orchestre de Scylla et Glaucus va aussi loin dans l'exploration des instruments, particulièrement des violons, mais aussi des violoncelles, qui sont mis Ă  contribution de manière assez extravagante – le dernier morceau de l'oeuvre est marquĂ© « aussi vite que l'exĂ©cution le permettra Â», c'est tout dire du degrĂ© de virtuositĂ© voulu par le compositeur.

     

    Leclair se distingue-t-il de ses contemporains dans son traitement de la vocalité ?

    Pas particulièrement, mais ce coup d'essai, qui restera sans lendemain, affirme une grande maîtrise. Leclair est ici plus proche de la tragédie lullienne dans toute sa complexité, que de Rameau Mais des aspects que l'on trouve dans les cantates de Clérambault sont également présents, les airs à da capo, la virtuosité vocale, en particulier dans les airs de Glaucus. Le personnage de Circé doit beaucoup à cet héritage. La scène d'invocation doit beaucoup à la cantate Médée de Clérambault. Ce personnage est particulièrement bien traité, dans toute sa complexité. C'est un rôle dramatique, une figure féminine, jalouse d'une extrême puissance.

     

    Face à cette grande figure tragique, Scylla et Glaucus ne paraissent-ils pas stéréotypés ?

    Certainement, mais dans le mythe, ces personnages ne sont pas non plus d'une très grande force : Glaucus est un joli garçon pas très passionnante, de même que Scylla est une jolie fille guère plus intéressante qui a rendu Circé absolument folle de rage. Ce sont deux égéries, un peu comme dans le Lagon bleu, deux amants un peu fades.

     

    La distribution de cette oeuvre pose-t-elle des difficultés ?

    Il faut d'abord trouver pour Circé une voix extrêmement riche et dramatique, qui puisse se plier à un style aussi particulier que celui de Leclair. Je pense qu'avec Karina Gauvin, j'ai trouvé la Circé à la taille du rôle. J'ai déjà travaillé avec elle dans du Mondonville, et la manière dont elle s'est adaptée à ce style est remarquable. Quant à Glaucus, c'est une haute-contre à la française, donc un ténor aigu, typologie vocale assez difficile à pourvoir. Mais j'ai là un jeune américain, Robert Getchell, avec qui je travaille souvent, dont la voix est très flexible, capable de monter, descendre, de vocaliser dans tous les sens ; ce rôle va parfaitement lui conduire. Quant à Gaële Le Roi qui chante Scylla, nous avons fait beaucoup de Rameau ensemble, et elle connaît extrêmement bien ma façon d'aborder la musique totale. J'ai donc une confiance totale dans cette distribution.

     

    L'écriture chorale est également très soignée.

    Les choeurs sont particulièrement développés, un peu à la manière de Mondonville, avec une vocalité relativement massive, développée du point de l'architecture, ornementées par des guirlandes de violons, qui créent une sorte de fourmillement et de halo instrumental. Ce sont des moments de très belle musique, en particulier l'inoubliable passacaille du deuxième acte.

     

    Selon vous, pourquoi Leclair a-t-il soudain écrit une tragédie lyrique à l'âge de cinquante ans ?

    Les Français et les Parisiens de l'époque étaient assez étonnants du point de vue des défis qu'ils lançaient aux musiciens. Composer à l'Académie Royale de musique n'était pas une mince affaire, nous le savons par la façon dont Rameau a lutté pour finalement parvenir à écrire sa première tragédie lyrique, justement à l'âge de cinquante ans. Le monde parisien de l'époque a très bien pu vouloir lancer le même défi à Leclair qu'à Rameau, afin de voir s'il était mûr pour composer un opéra. Malheureusement, il a été soumis à une cabale, et n'a pas été suivi malgré un nombre assez important de représentations. Etant donnée la beauté de l'oeuvre et sa réussite musicale, il est assez étonnant qu'elle n'ait jamais été reprise, commentée davantage, et qu'elle soit tombée dans l'oubli. Mais ce ne sont que des hypothèses.

     

    Maintenant que les oeuvres de Rameau sont entrées au répertoire, pensez-vous que le public sera plus sensible à Scylla et Glaucus ?

    Je suis ravi que vous me disiez cela ; Rameau est un compositeur que je place tellement haut. Hugues Gall était passionné par Rameau, et il l'a beaucoup mis à l'honneur à l'Opéra de Paris, avec Platée, Hippolyte et Aricie, et les Indes Galantes, qui ont connu plusieurs reprises. Le public parisien s'est donc un peu habitué à cette musique, d'autant que l'Opéra de Paris est sans doute le meilleur endroit pour proposer du Rameau dans la mesure où ils ont les moyens de le produire. Mais Scylla et Glaucus est plus facile que n'importe quel opéra de Rameau, parce qu'il y a dans l'écriture de Leclair une italianité, une virtuosité qui frappent et convainquent immédiatement l'auditeur. Rameau offre une grande complexité dans l'écriture, et on peut comprendre que le public de l'époque ait pu résister à Zoroastre, qu'ils ont trouvé trop ardu. C'est pour cela que Rameau a du remanier ses oeuvres pour s'adapter au goût. Castor et Pollux a été reconnu en 1754, alors qu'en 1737, cet opéra était considéré comme inaudible. A l'instar de Mondonville, Leclair écrit une musique accessible, brillante, séduisante tout le temps, sans pour autant être exempte de complexité, ni de grands moments dramatiques, mais il y a dans l'air quelque chose qui touche le public avec beaucoup de charme.

     

    La fin tragique, entorse Ă  la convention, ne rend-elle pas l'oeuvre plus proche du public actuel ?

    C'est un peu comme la fin de la Médée de Charpentier, une espèce de destruction massive, on détruit tout, et on s'en va. Ce genre de fin plaît aujourd'hui davantage que les Rossignols amoureux dans Hippolyte et Aricie !

     


    Journées Leclair à l'Automne musical de Versailles
    Scylla et Glaucus
    Les 27 & 29 septembre, Opéra Royal de Versailles

     

    Le 24/09/2005
    Mehdi MAHDAVI


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