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ENTRETIENS 19 avril 2024

Stéphane Degout, chanteur conteur

D'Aix-en-Provence et de Lyon sont parvenus les premiers échos de Stéphane Degout, d'un Papageno, d'un Harlekin déjà remarquables, que Paris s'est empressé de savourer. Acteur autant que chanteur, la voie semblait donc tracée jusqu'au Guglielmo de Chéreau. Qu'on ne néglige pas pour autant le récitaliste qui, entre deux Così, contera Debussy, Ravel et Duparc à Royaumont.
 

Le 27/09/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous passez pratiquement toute la saison sous les traits de Guglielmo. Qu'a ce personnage de si attachant ?

    Je l'avais déjà chanté il y a quatre ans, et c'est étrangement le personnage de la trilogie de Da Ponte que je trouvais le moins intéressant. Il n'est certes pas très profond psychologiquement, mais il y a assez de matière pour avoir plusieurs approches. De plus, il ne s'agit pas seulement d'un attachement au personnage, mais à toute l'histoire de cet opéra, qui va directement à des choses essentielles. Pourtant, quand je l'ai fait il y a quatre ans, Così n'était pour moi, comme pour tout le monde, que de la belle musique, une histoire de séduction un peu légère, mais Chéreau a décidé d'en montrer un autre aspect. Ce ne sont pas les personnages qui sont drôles, mais les situations. Cela m'a amené à trouver les choses par un autre cheminement, à me heurter à des idées préconçues, qui n'étaient pas fausses, mais loin d'être aussi intéressantes que ce que nous faisons là.

     

    Tous les chanteurs rêvent de travailler avec Patrice Chéreau. Qu'a-t-il de plus que les autres metteurs en scène ?

    Je ne sais pas si c'était un rêve, mais évidemment un repère, car j'ai passé un bac A3 théâtre, et j'ai beaucoup travaillé sur de gens comme Chéreau, Grüber, leurs spectacles phares. Chéreau a donc toujours été, parmi d'autres de sa génération, quelqu'un de central dans mes références, et je ne m'imaginais pas une seconde il y a douze ans que j'aillais travailler avec lui. Quand on m'a annoncé qu'il mettrait ce Così en scène, j'ai été vraiment impressionné, très heureux, tout en me demandant ce qui m'arrivait. J'y ai beaucoup pensé, je me suis appliqué à apprendre mon rôle un peu mieux que d'habitude. Finalement, le travail était très intéressant, assez inhabituel dans ses approches, dans le travail psychologique et la direction d'acteurs.

    Très souvent à l'opéra, les metteurs en scène sont confrontés à un temps de répétitions trop court, et ne peuvent faire qu'un travail de surface, qui peut parfois donner lieu à des spectacles géniaux. Mais Chéreau est arrivé en mettant immédiatement le doigt sur les aspects essentiels de Così, et à notre plus grande surprise, tout est allé très vite. Au début, nous avons un peu été pris de court, les chanteurs, comme les techniciens, mais au bout d'une semaine, tout s'est mis en place, à l'instar de Grüber, avec qui j'ai fait Don Juan, qui sait dire les choses en trois phrases, sur un point précis qu'on ne reprend pas, et qui, trois jours après, ressort comme une évidence.

    La façon dont Chéreau travaille n'est pas si différente des autres, mais tout va très vite ; lorsque quelque chose bloque, il prend du recul, et transforme. Il a préparé cette mise en scène pendant un an, puis l'a mise à l'épreuve du plateau. Nous avons fait des expériences, et la plupart du temps, ses idées fonctionnaient immédiatement. J'espère simplement qu'après avoir travaillé avec lui, je n'éprouverai pas de frustration avec les autres, bien qu'il y ait quelque chose à prendre chez tous les metteurs en scène.

     

    Ne craignez-vous pas qu'un sentiment de routine s'installe sur cette production, que vous allez reprendre de nombreuses fois avec une Ă©quipe sensiblement identique ?

    Non, car le spectacle évolue. Chéreau a quand même passé l'été à repenser beaucoup de détails, et la salle est différente, le plateau est plus profond, la fosse est beaucoup plus large. Pourtant, nous gagnons en intimité, simplement parce qu'il s'agit d'un théâtre fermé. Mais d'une certaine façon, la routine est nécessaire, elle constitue une base sur laquelle on peut broder ce que l'on veut. Cela m'avait particulièrement frappé lorsque j'ai fait la Flûte enchantée à Aix, car nous avons fait une tournée de trois ans, et soixante-dix représentations : la dernière était totalement différente de la première alors que la distribution était pratiquement la même. C'était un peu difficile parfois, car nous avions l'impression de toujours faire la même chose, mais nous parvenions à nous nourrir de nouvelles choses, d'un nouveau lieu, d'un nouveau public, d'une nouvelle ambiance. Dans le cas de Così, nous arrivons du Festival d'Aix, avec l'énergie particulière que cela procure, dans un théâtre de répertoire, avec le train-train de la saison. Il ne s'agit plus de la production exceptionnelle du Festival, mais d'une production parmi d'autres – de l'intérieur en tout cas. Nous redescendons du petit nuage d'Aix-en-Provence, un peu surpris par une réalité plus matérielle.

     

    L'imprévu d'un changement de chef par exemple.

    Le nouveau chef s'est immédiatement calé sur le rythme du spectacle, a adhéré à toutes les idées en parlant beaucoup avec Chéreau. Il n'y avait pas vraiment le choix. Si un chef arrive avec des idées complètement différentes, cela peut être difficile, mais là ce n'est pas le cas. Les choses se sont mises en place durant la dernière semaine de répétitions.

     

    Appréhendez-vous de revenir à cette production après le Così que vous allez faire à Bruxelles avec Vincent Boussard ?

    Je ne connais pas les autres chanteurs, et je n'ai rencontré le metteur en scène qu'une fois. J'ai vu quelques photos de son travail, et je sais que ce sera complètement différent. Mais c'est toujours un peu troublant, car le Così de Chéreau va ponctuer les deux saisons à venir – nous le reprenons à Vienne en juin, puis à l'automne à Paris et à Vienne. Entre temps, je vais donc chanter Guglielmo à Bruxelles, puis à Salzbourg l'été prochain, mais il s'agit de périodes très précises, pour des spectacles a priori sans reprise. Je crains de ne pas parvenir à me défaire de ce que nous aurons fait ici, pour être un peu vierge, mais c'est aussi bien d'avoir creusé un rôle avec Chéreau et d'arriver avec un matériau plus conséquent, que le metteur en scène peut accepter ou rejeter. D'une façon générale, j'aime reprendre un rôle, parce que cela permet d'approfondir un personnage, ce que nous n'avons pas toujours le temps de faire sur une production, en quatre semaines de répétitions et une douzaine de spectacles.

     

    Et entre deux Guglielmo, quels sont vos projets, vos envies de rĂ´les ?

    Hormis Mercutio, je n'ai pas beaucoup de nouveaux rôles. Parmi ceux que j'aimerais aborder, je citerai Oreste d'Iphigénie en Tauride, Wolfram, dans une quinzaine d'années, Mozart, évidemment, Strauss – peut-être ferai-je un jour le Maître de musique dans Ariane, Olivier ou le Comte de Capriccio. En revanche, je ne suis pas très attiré par le répertoire italien, que je trouve un peu pompeux, bien que j'aime beaucoup Dandini. Je vais aussi reprendre l'Orfeo avec René Jacobs, et peut-être l'enregistrer.

     

    Si c'Ă©tait Ă  refaire, accepteriez-vous de chanter Papageno dans la production de la Furia dels Baus ?

    Peut-être. Je sais qu'il y a une reprise de cette production. Nous avions le sentiment de prendre part à une espèce de spectacle à numéros. Les scènes chantées et les scènes parlées sont si bien cousues ensemble que tout s'enchaîne normalement avec beaucoup de naturel, tandis que dans cette production, je me demandais toujours où j'entrais, et ce que je devais chanter, une sensation étrange, car généralement le circuit dans les coulisses est assez évident. Nous n'avions absolument aucune indication, hormis les placements, pour ne pas être écrasé par un matelas. Parfois, c'était un peu dur de se lancer et de faire n'importe quoi, mais finalement, Paul Groves, Mireille Delunsch et moi-même avons trouvé quelque chose d'assez drôle. D'ailleurs, il n'y avait que cela à faire, s'amuser, et ne pas réfléchir.

     

    Parmi vos partenaires, quels sont ceux qui vous le plus appris ?

    Raimondi, évidemment. C'est impressionnant, et même très émouvant de voir qu'un chanteur, à la fin de sa carrière, travaille exactement comme au début. Il cherche, se trompe, a une très grande humilité par rapport à son travail alors qu'il pourrait s'en moquer, s'installer dans une sorte de routine. C'est la deuxième fois qu'il chante Alfonso, et il a voulu le faire pour Chéreau, il n'aurait pas accepté de le faire n'importe où, avec n'importe qui. Et il est arrivé totalement vierge, s'est complètement laissé faire par Chéreau, et pourtant, son passé demeure tellement évident dans tout ce qu'il fait. Cela m'avait également frappé chez Van Dam, bien que dans une moindre mesure, car il y a chez lui un côté vieux routier qui sait ce qu'il fait, qui connaît parfaitement les ficelles du métier, sans véritable recherche. Il est aussi très impressionnant, mais j'ai quand même un faible pour Ruggiero.

     

    Quelle voie vous a conduit à côtoyer ces monstres sacrés depuis votre bac A3 théâtre ?

    Dans mon lycée, il y avait un professeur de musique qui était chanteur lui-même, et qui animait un atelier de chant. J'y suis allé par curiosité, parce que les professeurs de théâtre nous avaient dit que c'était important pour un acteur de maîtriser sa voix. Ce professeur de musique m'a incité à persévérer, puis je suis entré au conservatoire régional, et au CNSM l'année suivante. Cela s'est fait d'une façon un peu logique, et je me suis vite aperçu qu'à moins d'être dans un très grand théâtre, ou dans un réseau très solide, l'opéra offrait davantage d'opportunités de travailler régulièrement avec des metteurs en scène importants. Je n'ai donc aucune frustration de ne pas être comédien. Après ma troisième année de conservatoire, je devais entrer à l'Atelier lyrique, mais j'ai passé au printemps l'audition pour Papageno à l'Académie européenne de musique. Comme il s'agissait de la première académie, et du premier festival de Lissner, nous étions très attendus. Le spectacle a été un succès, et j'en ai profité. Parallèlement à la tournée, j'étais en troupe à Lyon, ce qui m'a permis de parfaire mon apprentissage.

     

    Vous êtes également très actif dans le domaine du récital. N'est-ce pas paradoxal pour quelqu'un qui vient du théâtre ?

    Au contraire, c'est comme faire une lecture au théâtre. J'ai passé le mois d'août à travailler avec Hélène Lucas, la pianiste qui m'accompagne, sur un nouveau programme que nous allons faire au printemps. Il comprend tout un groupe de ballades en allemand, notamment le Roi des Aulnes. Ce sont la plupart du temps des récits, avec un narrateur et plusieurs personnages. Il s'y passe tellement de choses en cinq minutes : l'approche est la même qu'à l'opéra, et même plus difficile, parce qu'il faut tout faire passer par la musique, sans se cacher derrière un décor, des costumes, une mise en scène qui mâche la moitié du travail. Nous ne sommes que deux pour alimenter l'imaginaire du public.

    Cela fait dix ans que je travaille avec Hélène, et Ruben Lifschitz, avec qui nous avons élaboré tous nos programmes. Dès que j'ai un moment, j'essaie de passer du temps avec eux à Lyon pour déchiffrer de nouvelles partitions et mettre les programme au point. Je ne me suis jamais posé de questions à propos du récital, car j'en ai fait d'emblée au conservatoire, où je passais davantage de temps avec Hélène et Ruben qu'avec mon professeur de chant. Cela me paraissait évident, d'autant que l'un alimente l'autre. Lorsque je sors d'une période de travail avec Hélène, beaucoup de points techniques se remettent en place, parce que tout est beaucoup plus concentré sur l'instrument, alors qu'à l'opéra, il faut y aller sans trop réfléchir !

     

    Le 27/09/2005
    Mehdi MAHDAVI


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