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ENTRETIENS 24 avril 2024

Charles Workman, la voie particulière

D'un Frère Massée émerveillé, Charles Workman s'est imposé parmi ces artistes qui, du seul regard, captivent, et dont la voce particolare, assumée, revendiquée même, autorise les plus grands écarts stylistiques. Avant d'incarner le Prince de l'Amour des trois oranges de Prokofiev, le ténor américain fait une apparition chevaleresque dans Cardillac de Hindemith.
 

Le 05/10/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • D'oĂą vient ce goĂ»t pour l'Ă©clectisme qui caractĂ©rise votre rĂ©pertoire ?

    C'est la faute de ma voix, car j'ai ce qu'on appelle en italien una voce particolare, à la croisée des types. Quand je chante Mozart, tout va bien, mais lorsque j'aborde Rossini, certaines personnes pensent qu'elle n'est pas vraiment faite pour cela. C'est une question de goût. En ce moment, je commence à élargir mon répertoire. Dans un an, par exemple, je vais chanter l'Affaire Makropoulos, voire un répertoire plus lourd dans les prochaines années. J'aimerais faire davantage d'opéra français : je rêve de chanter plus de Massenet, de Gluck – j'adore Gluck, et j'ai chanté Admète dans Alceste cet été à Salzbourg, mais c'était seulement le deuxième rôle de Gluck que l'on me proposait. J'ai également abordé Weber, avec Huon dans Oberon ; cela s'est mal passé à Paris car j'étais malade, mais je l'ai refait avec succès à Dresde. Je crois que c'est encore une question de goût : ma voix est certes assez grande, mais une partie du public attend plutôt un timbre à la Domingo. Lorsque j'étais étudiant, et jusqu'au début de ma carrière, j'ai beaucoup chanté Hoffmann, et quelques personnes ont comparé ma voix à celle de Georges Thill. Cela me ferait très plaisir de chanter son répertoire, surtout Massenet, mais n'étant pas une vraie star de l'opéra, je ne peux pas imposer mes choix.

     

    Qu'en est-il des rôles de haute-contre à la française comme Abaris des Boréades, que vous avez interprété à Salzbourg ?

    J'aime beaucoup cela. J'ai travaillé avec Minkowski, et avant que nous fassions Armide, il m'avait proposé beaucoup de choses, mais je n'étais pas libre. Il a fini par en avoir assez de me les demander sans cesse, et il a trouvé d'autres très bons ténors comme Richard Croft. Maintenant, il n'a plus besoin de moi, et je le regrette, car j'aurais aimé faire davantage de choses avec lui. Pour ce qui est de l'opéra baroque, je ne peux en faire que lorsque des grandes maisons comme Salzbourg ou Garnier en produisent, et font leurs propres distributions, car des chefs comme Jacobs ou Christie ont leurs propres réseaux.

     

    Quelle est la zone de cette voix particulière dans laquelle vous vous sentez le plus à l'aise ?

    Actuellement, mon rôle préféré est Idomenée. Je dirai même qu'il s'agit de mon rôle mozartien idéal. J'aime beaucoup le personnage, bien plus que tous les autres que j'ai abordé, y compris Titus, d'autant que le style de cet oeuvre s'apparente à l'opéra français. Dans Rossini, j'aime toujours les rôles de baryténor, mais on ne me les propose plus. La dernière fois que j'ai chanté avec lui, Juan Diego Flórez m'a dit qu'il fallait que nous fassions Otello ensemble. J'en rêve, mais personne ne me le demande – je ne sais pas si c'est parce qu'on ne monte pas cet opéra, ou si on me préfère d'autres chanteurs. Pour ce qui est des opéras bouffes, je privilégie les rôles intéressants comme dans la Cenerentola, plutôt que l'Italienne à Alger ou le Barbier de Séville, dont je suis épuisé – ils ne correspondent simplement pas à mon tempérament. Dans l'Amour des trois oranges, la musique traduit le caractère, et le comique vient de la voix, tandis que dans Rossini, j'utilise la même voix pour l'opera seria et buffa. Prokofiev permet au contraire de jouer avec la voix, et j'aime beaucoup explorer cela.

     

    Vous allez en effet interpréter le Prince dans la version française de l'Amour des trois oranges. Notre langue est-elle difficile à chanter ?

    Je n'ai jamais trouvĂ© qu'il Ă©tait difficile de chanter en français. J'ai eu un très bon professeur de diction Ă  la Juilliard School. Cela m'a par exemple permis de comprendre la diffĂ©rence entre un « e Â» ouvert et fermĂ©, et m'a aidĂ© Ă  mieux apprendre Ă  parler cette langue. Mais ce que j'aime avant tout, c'est la musique française, ses couleurs, sa forme, beaucoup plus fluide, de Lully et Rameau Ă  Massenet, que la musique allemande ou italienne.

     

    Lorsque vous chantez dans des oeuvres rares et difficiles comme Saint-François d'Assise ou Cardillac, devez-vous fournir un effort supplémentaire pour capter l'attention du public ?

    Il faut certainement donner davantage sur le plan théâtral. Cette production de Cardillac est très réussie, parce que la mise en scène d'André Engel est merveilleuse. La tension ne retombe à aucun moment, et le travail avec les choeurs est remarquable. La transposition dans les années 1930 nous aide, notamment parce que les costumes sont plus faciles à porter – je trouve qu'il y a toujours quelque chose d'artificiel à chanter en costumes du XVIIe ou du XVIIIe siècle, car nous restons des gens du XXe. Mon rôle est très court, et j'aurais aimé avoir un air à chanter, comme celui de la Dame, qui est si beau. Ma scène n'en est pas moins géniale, avec une musique très agitée, qui ne me laisse aucun moment de répit : je dois toujours être concentré sur le rythme, l'intonation. Dans Mozart, par exemple, le chant devient comme un réflexe, tandis que Hindemith est difficile à jouer, car on ne peut pas laisser le corps aller dans une autre direction. Mais pour le public, les opéras contemporains ou inconnus nécessitent ce genre de mise en scène très théâtrale.

     

    Je pense a contrario à la proposition très statique, très austère, de Stanislas Nordey pour le Saint-François d'Assise de Messiaen.

    J'avais déjà chanté Frère Massée à Bochum dans une mise en scène de ce genre. De toute manière, je crois que pour Messiaen, et cette pièce en particulier, la perspective est différente. Cette musique est si étrange, qu'une mise en scène plus active irait à l'encontre des détails infimes de la partition. La musique de Hindemith est plus directe, on y distingue clairement les instruments, alors qu'avec Messiaen, on se demande sans cesse qui joue quoi. Mieux vaut donc une mise en scène calme pour permettre au public de ressentir les alliages de timbres les plus curieux, d'autant qu'il s'agit d'un opéra très long, pour ainsi dire une cérémonie.

     

    Acceptez-vous tout de la part d'un metteur en scène ?

    J'essaie toujours de tout accepter. Si cela ne fonctionne pas après une semaine ou deux, je peux lui suggérer de chercher autre chose. Cela n'a évidemment pas été le cas avec André Engel. Mais j'ai vu des collègues qui refusent, dès la première répétition, de chanter, ne serait-ce qu'à genoux. Cette attitude me paraît totalement irraisonnée, car nous ne savons pas, en tant que solistes, quelle est la conception globale du metteur en scène. Durant les premiers jours, nous ne pensons qu'à notre confort, notre personnage, mais peut-être qu'en voyant toute la scène, avec le choeur, les figurants, tout nous semblerait plus clair. Ce serait une bonne chose pour la mise en scène, mais beaucoup de chanteurs ont peur de laisser faire.

     

    Cet esprit d'équipe est-il le fruit d'une formation théâtrale ?

    J'ai en effet étudié la comédie avant de commencer à chanter. Peut-être y a-t-il de cela, mais surtout, j'aime le théâtre. Je ne pense pas être un artiste qui vient, comme les grandes stars, faire son Roméo, son Werther. Je veux faire le Roméo, le Werther, l'Idoménée de tel metteur en scène. J'ai chanté à Berlin Idoménée dans une mise en scène de Hans Neuenfels : ce n'était plus l'Idoménée de Mozart, mais j'aime beaucoup ce qu'il a fait, et je suis sûr de ne plus jamais faire un Idoménée comme celui-ci dans ma vie.

     

    Qu'est-ce qui vous a mené au chant ?

    J'étais musicien, trompettiste, et j'ai commencé à chanter dans un choeur à l'âge de 18 ans. A l'université, j'ai commencé piano piano à étudier le chant. Mais je n'avais alors jamais entendu de chanteurs, et n'avais donc aucune idée de la manière dont on doit chanter l'opéra. A la fin de mes études universitaires, à 21 ans, je suis allé à l'Aspen Music Festival pour la première fois, et j'ai commencé à trouver une manière de chanter. Puis, je suis entré à la Juilliard School, tout en pensant que si cela ne marchait pas, je pourrais toujours revenir à la comédie – cela arrivera peut-être un jour ! Dès le début de ma carrière, j'ai accepté ce que l'on me proposait, sans rechigner devant tel ou tel opéra contemporain. Sans doute parce que je n'avais pas d'histoire avec l'opéra, et qu'en écoutant mes premiers disques de Björling, je savais très bien que Verdi et Puccini n'étaient pas pour moi. Je suis très pragmatique : j'ai pensé faire une carrière, et être heureux – je ne vis pas avec l'angoisse d'être malade, et ne cherche pas à incarner l'image de l'artiste torturé par les doutes.

     

    Quels sont les risques pris dans votre carrière dont vous êtes le plus fier ?

    Les productions auxquelles je suis le plus fier d'avoir participé sont les Boréades à Salzbourg, et un formidable Orfeo mis en scène par Achim Freyer à Munich. Les pires moments ont évidemment été lorsque j'étais malade. Je n'ai annulé qu'une seule représentation dans ma carrière. Parfois, j'aurais voulu le faire, comme pour cet Oberon au Châtelet, mais j'étais plus ou moins le seul à connaître le rôle en anglais, et j'ai dû rester. Je n'aime pas laisser tomber les gens, malgré la difficulté que cela représente parfois. Et je suis toujours un étudiant de la voix, qui remet à plat, chaque année, des aspects de ma technique qui ne fonctionnent pas. Je pense qu'elle est suffisamment solide pour chanter des rôles difficiles, sans toutefois être sûr de l'avoir vraiment comprise. Ainsi, j'aime tester mes réserves lorsque je ne suis pas très en forme. Mais peut-être suis-je fou ?

     

    Le 05/10/2005
    Mehdi MAHDAVI


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