altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 20 avril 2024

Rolando Villazón, condensé d'émotions
© Ana Bloom

Par son optimisme, son énergie hors du commun, autant que par son timbre de bronze, Rolando Villazón a brûlé les étapes qui l'ont mené au firmament lyrique. De cette ascension fulgurante, Paris n'est pas le moindre tremplin, et le ténor mexicain rêvait d'y chanter la Bohème. C'est désormais chose faite, et ce jusqu'au 29 octobre à l'Opéra Bastille.
 

Le 07/10/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • Jérôme Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumé

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • Qu'est-ce que cela fait d'être une star ?

    Je continue à faire ce que j'ai fait depuis le début de ma carrière : j'essaie de me concentrer sur ce que je dois faire, ma technique, ma voix, et surtout raconter une histoire, car c'est pour moi ce qu'il y a de plus important à l'opéra. On ne peut se contenter de bien chanter, car la voix doit être au service du personnage. Bien sûr, je suis très heureux de faire la couverture des magazines, ou lorsqu'on m'appelle pour un programme de télévision, mais cela n'est qu'une conséquence, en aucun cas un but que je me suis fixé. Je continue à travailler, à chercher, à étudier, à me poser des tas de questions, même si les réponses seront différentes dans deux ans, et qu'elles ont inévitablement changé depuis l'année dernière.

     

    Tout semble aller très vite dans votre carrière.

    C'est vrai, mais cette rapidité n'est pas le fruit du hasard : je n'ai pas joué à la loterie ! Je pense avoir passé toutes les étapes : j'ai chanté des petits rôles dans mon pays, mes premiers grands rôles dans des petits théâtres, puis en deuxième distribution, mais au lieu de durer trois ou quatre ans, chaque étape ne m'a pris que quelques mois. J'ai commencé à chanter en 1999, et en 2000, à ma plus grande surprise, je suis venu à Paris chanter la Traviata, mon premier grand rôle en première distribution dans un grand théâtre. Puis, j'ai eu une Victoire de la Musique, ma maison de disques m'a contacté, j'ai fait mes débuts au Metropolitan, mais tout cela n'est que la conséquence d'un processus.

     

    Éprouve-t-on un sentiment particulier à chanter la Bohème à Paris ?

    C'était un rêve. La Bohème est un opéra que j'ai beaucoup chanté, dans une quinzaine de productions – c'est l'opéra que j'ai le plus chanté avec la Traviata – et je voulais absolument le faire à Paris, sur le lieu de l'action. J'adore chanter à Paris, car d'une certaine manière, c'est ici que tout a commencé. Ma première Traviata était comme un test. Je me demandais sans cesse si j'étais prêt à chanter dans les grands théâtres du monde. Avant Paris, j'avais chanté en deuxième distribution à Gênes, à Trieste, et la Bohème à Lyon, mais ma carrière n'en était qu'à ses balbutiements. En arrivant ici, j'ai été très impressionné par les dimensions de la salle, mais tout s'est bien passé. J'ai de très grands souvenirs à l'Opéra Bastille : cette Traviata qui m'a ouvert tant de portes, évidemment, mais aussi la dernière d'une série de onze représentations de Faust.

    Mon premier fils venait de naître, et la veille de la dernière, il a eu de la fièvre, et nous l'avons emmené à l'hôpital pour faire des examens. Rétrospectivement, ce n'était rien de grave, une petite infection, mais sur le moment, je l'ai vécu comme une grande tragédie, et cet épisode m'a beaucoup appris en tant qu'interprète. En effet, la représentation a été la meilleure de la série – alors que les autres n'avaient été que bonnes, et je déteste que les choses ne soient que bien – pour la simple et bonne raison que j'avais la tête complètement ailleurs, et que je ne pouvais plus penser à la technique, à la mise en scène
    J'ai alors compris qu'il fallait faire tout ce travail en répétitions, et qu'au moment où commence la représentation, il faut devenir le personnage, laisser l'esprit s'exprimer.

    C'est également ce qui est arrivé durant la dernière série de la Traviata, lorsque j'ai dû remplacer le ténor qui alternait avec Alagna pour une seule représentation de Manon. Ma femme a accouché la veille, et je n'avais dormi que quelques heures, j'avais la tête pleine de bonheur, et j'étais vraiment très content de chanter, d'autant que faire Manon à Paris était aussi un rêve. J'étais plein d'une énergie particulière, et j'ai pu laisser sortir les émotions du personnage. La France a une importance énorme non seulement dans ma carrière, mais aussi dans ma vie. J'y habite depuis quatre ans, mes enfants y sont nés
    Peut-être aurai-je un jour un passeport français !

     

    Malgré votre ascension fulgurante, avez-vous connu la vie de bohème ?

    Bien sûr, j'ai vécu des moments difficiles au Mexique, mais j'en garde généralement des souvenirs extraordinaires. Même quand je n'avais pas du tout d'argent, je me faisais inviter par mes collègues, mes amis pour pouvoir manger. Mais je ne veux pas utiliser ce genre d'histoire pour dire : « Lui qui n'avait pas assez d'argent pour manger, regarde où il est arrivé ! Â» J'ai toujours été très heureux, j'avais beaucoup d'amis, et si je n'avais pas d'argent, c'était parce que j'avais tout dépensé pour emmener ma future femme en week-end. Evidemment, il m'est arrivé de sortir en pleurant d'un concours, d'une audition, mais c'est un mal nécessaire, et je ne le regrette pas. Dans la vie, je ne rejette rien, j'accepte les bons et les mauvais moments, surtout si on veut monter sur scène, et devenir l'instrument des émotions plutôt que de la musique – mais la musique comme projection des émotions – ; il faut embrasser toutes les émotions, le bonheur comme l'amertume, la nostalgie, la mélancolie, la haine, qui font partie de l'être humain.

     

    Seriez-vous prêt à mettre votre notoriété au service d'oeuvres inconnues ?

    Le problème est que je ne les connais pas non plus, mais je suis ouvert pour chanter tout ce qui est dans mes cordes. Il est vrai que je n'ai pas non plus le temps de prendre une partition inconnue et de la regarder. J'aime suivre le courant, et en ce moment, c'est d'aller chanter mon répertoire à travers le monde. Je vais participer à la création mondiale d'un opéra, à Los Angeles, Il Postino de Daniel Catán. C'est l'histoire du facteur de Neruda : je chanterai le rôle du facteur, et Placido Domingo sera Neruda, un projet très intéressant.

     

    Vous allez chanter votre premier Werther à Nice. L'opéra français occupe une place importante dans votre carrière.

    J'adore chanter beaucoup, et dans le répertoire français, il faut chanter tout le temps ! De plus, les personnages sont très complets – des Grieux, Hoffmann, Don José, Werther : leur évolution est très intéressante. La difficulté principale de ce répertoire est que le début des rôles est toujours très lyrique, et qu'ils évoluent vers le spinto. Si on pense à des Grieux, le Rêve n'a rien à voir avec Ah ! Fuyez, douce image, à Saint-Sulpice, et en ce qui concerne Don José, le duo avec Micaëla est très différent du troisième acte. Et que ce soit encore Roméo ou Werther, c'est toujours la même évolution psychologique, émotionnelle et vocale, qui est extraordinaire. J'ai beaucoup appris avec le répertoire français, notamment à contenir mes émotions, mon énergie, pour respecter le style, l'élégance de cette musique, mais sans perdre l'intensité. Il est faux de penser qu'il faille chanter le répertoire français de manière trop pure, sans portamento. Il y a bien sûr certaines règles, mais ces personnages sont chargés d'émotion, ce sont de vrais êtres humains.

     

    Certains rôles moins profonds, comme le Duc de Mantoue, ne vous lassent-ils pas ?

    Lorsqu'on ouvre une partition, il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir. Je ne suis ni le même être humain, ni le même chanteur qu'il y a un an. Ma façon de chanter la Bohème aujourd'hui est vraiment différente de celle dont je l'ai fait à Lyon en 1999. J'ai beaucoup évolué, d'autant qu'il y a eu d'autres rôles comme Roméo, Don José, Don Carlo, qui éclairent d'une façon nouvelle les rôles que je vais chanter. De plus, les collègues, les productions sont différents : mon Rodolfo ne sera pas le même que celui que je viens de faire à Covent Garden, car à chaque fois, le personnage doit renaître, et je ne peux pas préparer mes émotions, mes réactions face à la manière dont une nouvelle Mimi va me dire : « Je t'aime ! Â» J'ai envie de chanter de nouveaux rôles, mais je suis très content de rester avec tous ces personnages, qui sont comme de vieux amis.

     

    Vous semblez chanter avec beaucoup de naturel et de facilité. Cela a-t-il toujours été le cas ?

    Je suis content que cela donne cette impression, parce qu'il y a un énorme travail derrière. Même si ce n'est pas facile, mon travail est de faire oublier au public que je suis en train de chanter. C'est le travail de tous les chanteurs, et comme tous les chanteurs, j'ai dû faire face à des difficultés. J'ai eu des périodes où je ne savais pas quoi faire avec ma voix. Je n'avais pas de piani, pas de mezza voce, et je pensais ne jamais parvenir à chanter ainsi, jusqu'à ce qu'un professeur me dise que j'en étais capable. J'ai eu trois professeurs, mais j'ai fini par me rendre compte que j'étais mon propre professeur, et que je devais trouver par moi-même ce qui convenait à ma voix. Avant, lorsque des personnes venaient me voir pour me dire que j'avais une voix extraordinaire, un don de la nature, j'étais déçu qu'on ne me complimente pas sur ma manière de chanter. Mais maintenant que la ferveur des débuts est passée, je trouve que c'est un grand compliment que le public pense que je n'ai rien fait pour chanter comme cela, et que je me contente d'ouvrir la bouche. En effet, les spectateurs ne sont pas là pour entendre le travail.

     

    Qu'est-ce qui vous a incité à chanter l'opéra ? Ecouter d'autres chanteurs ?

    Quand j'écoutais Domingo, cela m'inspirait, en effet. Il est devenu mon idole ; il l'est encore, mais il est aussi devenu mon ami, et j'en suis très honoré. Puis un professeur m'a entendu, et m'a dit que je pouvais chanter l'opéra. Au départ, je voulais être acteur, et le chant était une passion, le plus grand plaisir de ma vie, et j'ai découvert que je pouvais être acteur et chanteur en même temps. Je chante depuis toujours, mais j'ai sérieusement commencé l'opéra à vingt ans.

     

    Beaucoup de gens vous comparent à Domingo.

    Cela me flatte, évidemment, mais il n'y a qu'un seul Domingo, et il n'a aucun successeur. C'est une carrière unique, un artiste unique, une légende vivante. Nos carrières sont très différentes, mais s'il y a une chose que je voudrais partager avec lui, c'est l'amour qu'il a pour ce qu'il fait. Et si je peux chanter à soixante-quatre ans comme il le fait maintenant, ce serait formidable. Mais je n'essaie pas de chanter 127 rôles comme lui, ni de débuter en Otello l'année prochaine, parce qu'il l'a fait à trente-quatre ans. Au contraire, j'essaie de mener ma carrière à ma façon. Et si les gens disent que ma voix ressemble à la sienne, c'est le plus beau des compliments.

     

    Votre agenda est extrêmement chargé. Ne craignez-vous pas de trop chanter ?

    Si j'avais peur, je ne pourrais pas chanter comme j'aime le faire. Je me donne à 100%. Je chante 65 représentations par an, quelques concerts, c'est beaucoup, mais cela m'amuse, et j'espère que je n'aurai pas perdu ma voix dans deux ans. Et cette espèce d'inconscience est nécessaire pour transmettre de grandes émotions. Si je ne chantais que cinq rôles, en les espaçant bien, je serais très différent, un bon chanteur, très attentif à sa technique, mais il y aurait une distance entre le public et moi. Je peux tout aussi bien mourir demain, parce que je prends des risques en prenant le métro, l'avion, en traversant n'importe où. Il faut vivre les choses. Je fais bien sûr attention à mon répertoire. Mais j'ai l'habitude de beaucoup chanter en répétitions : c'est comme un exercice, et au lieu de me fatiguer, cela me donne de la résistance pour continuer. Si un jour, je sens que je ne peux pas, je ne chante pas, mais jusqu'à présent, je n'ai annulé qu'une représentation dans ma carrière.

     

    Comment voyez-vous l'évolution de votre répertoire ?

    C'est difficile à dire, je reste un ténor lyrique. J'essaie quelques rôles comme Werther, Lenski, Riccardo du Bal Masqué dans deux ans, Don Carlo dans la version en cinq actes à Covent Garden, une Tosca dans quatre ans. J'aimerais également aborder le Trouvère, une version lyrique, à la Björling, mais cela ne veut pas dire que je veux me diriger vers les emplois de spinto. Je veux chanter tous les rôles qui sont à ma portée – tout dépend du théâtre, des conditions
    Dans les quatre prochaines années, je vais surtout faire Roméo, des Grieux, Edgardo, Alfredo, le Duc de Mantoue, c'est-à-dire le répertoire lyrique.

     

    Pensez-vous que les metteurs en scène vont parfois trop loin ?

    Certaines mises en scène sont peut-être plus difficiles, mais j'essaie d'être ouvert, et de permettre au metteur en scène de faire son travail. C'est une collaboration : il faut pouvoir discuter les situations, mais je n'ai jamais eu aucun problème avec un metteur en scène. J'ai participé à des productions qui ne fonctionnaient pas du tout, mais j'y prends ma part de responsabilité, car c'est un travail d'équipe, et l'individualité ne vaut que si elle y est intégrée. A Salzbourg, Lunge da lei de la Traviata est devenu l'air le plus difficile de ma carrière : je devais courir partout, et au début, je ne pouvais pas le chanter. J'ai essayé, mais je devais m'arrêter pour m'économiser un peu. Finalement, je n'ai pas tout à fait pu faire ce que me demandait le metteur en scène, mais nous avons conservé l'esprit, sans le mouvement, et tout le monde était satisfait. C'était difficile à chanter, mais cela a créé un autre type d'émotion, et il faut oser ce genre de choses pour que le public soit surpris.

     

    Comment réagissez-vous face à un partenaire qui ne dégage pas la même intensité que vous ?

    J'ai certainement des collègues avec lesquels je me sens mieux, mais je ne me suis jamais trouvé face à quelqu'un avec qui je ne voulais pas chanter. Tout le monde a l'intention de se donner au maximum, mais il y a des chanteurs qui n'acceptent pas certaines choses, qui ont besoin d'être dans une certaine position pour chanter ; ils fonctionnent différemment. Et puis, l'intensité est contagieuse !

     

    Le 07/10/2005
    Mehdi MAHDAVI


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com