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ENTRETIENS 20 avril 2024

Elina Garanča, mozartienne à l'ancienne
© Simon Fowler / Virgin Classics

Simple, lumineuse, sensuelle, la Cenerentola des débuts parisiens d'Elina Garanča avait chaviré tous les coeurs. Energique, voluptueuse, opulente même, sa Dorabella aura été, d'Aix-en-Provence à Paris, l'incontestable héroïne du Così de Chéreau. Comme un prolongement, le premier récital de la mezzo lettone chez Virgin Classics est consacré à Mozart – tout naturellement ?
 

Le 21/10/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • D'où est venue l'idée du programme plutôt inhabituel de ce récital Mozart ?

    En majeure partie de moi, mais j'ai essayé de prendre l'avis de chacun en considération. J'espère que tous ceux qui écouteront ce disque seront agréablement surpris d'entendre autre chose que les airs habituels de Sesto, Idamante, Cherubino, qui sont comme un passage obligé pour toute mezzo-soprano. Et que je chante un air de Fiordiligi ne signifie pas que je veuille devenir soprano. Il s'agit seulement d'un petit jeu pour moi – peut-être aussi pour l'auditeur – que d'être confrontée aux différentes possibilités qui s'offrent à une mezzo.

     

    Vous avez en effet enregistré quelques airs de soprano. Quelle distinction faites-vous entre les tessitures ?

    A l'époque, et ce jusqu'à Donizetti et Bellini, les rôles féminins étaient écrits pour soprano. Il y a en fait peu de différence entre les deux : le terme signifie que la tessiture d'une mezzo-soprano est davantage centrée sur le médium de la voix. Les points forts du mezzo-soprano lyrique que je suis, se situent, du moins à mon âge, un peu moins haut que ceux d'une soprano. Cela a en fait beaucoup à voir avec mon répertoire actuel : si je ne fais pas certaines choses maintenant, comme par exemple chanter une partie du répertoire de soprano, je ne serai pas en mesure de le faire de nouveau. En effet, avec le temps, la voix de mezzo-soprano s'alourdit, et s'assombrit. Je m'amuse donc en chantant Come scoglio et Basta, vincesti, car je ne pourrais plus le faire dans dix ans. Mais il est aussi vrai que la tessiture de Vitellia me convient davantage que celle d'Idamante, et si elle ne devait atteindre le contre-ré dans le fameux trio, le rôle pourrait parfaitement être chanté par une mezzo-soprano.

     

    Comment votre choix s'est-il porté sur Mozart ?

    C'est une proposition de Virgin. J'ai d'abord été choquée et surprise, avant de refuser. Mais Alain Lanceron et Louis Langrée sont parvenus à me convaincre à force de discussions, me laissant une grande liberté sur le choix du répertoire. Ce fut une très longue recherche, et j'ai mis plus d'un an avant de commencer à travailler les airs qui, pour certains, ne m'allaient plus au moment de l'enregistrement, alors que je les avais essayés en concert. Enregistrer Mozart n'est pas facile. Ma mère, qui est elle-même chanteuse, m'a dit qu'elle n'aurait jamais accepté de faire une chose pareille. Je suis probablement plus audacieuse, et j'espère que cet enregistrement me permettra de montrer mes qualités techniques et expressives. D'autant que Mozart est un compositeur majeur dans le développement de tous les chanteurs. Et un tel enregistrement n'est-il pas un bel hommage à lui rendre à l'occasion de l'année Mozart ?

     

    Vous avez également enregistré Andronico dans Bajazet de Vivaldi. Souhaitez-vous explorer davantage le répertoire baroque ?

    Je ne pense pas que ma voix soit faite pour cela. Enregistrer Bajazet a été un grand défi pour moi. A l'instar du récital Mozart, j'avais d'abord refusé, et Fabio Biondi, qui voulait absolument m'avoir dans la distribution, a passé encore plus de temps à me convaincre. Je suis très heureuse de l'avoir fait, car c'était une grande expérience. Mais en vérité, beaucoup de chanteurs d'aujourd'hui se consacrent au répertoire baroque : Vivica Genaux, Cecilia Bartoli, qui est la reine de la redécouverte des répertoires oubliés, ou encore Magdalena Kožená. Je dois trouver quelque chose qui correspondent davantage à ma voix : je me considère comme une chanteuse de bel canto et du premier romantisme. Cela a autant à voir avec la couleur de ma voix, sa taille, mon tempérament, qu'avec mon éducation. En Lettonie, où j'ai grandi, nous pratiquons beaucoup plus Verdi, Puccini ou Massenet, que le répertoire baroque, ou même Mozart.

     

    Avez-vous aimé travailler avec des instruments d'époque ?

    Cela a un grand avantage : le diapason est plus bas. Il faut donc automatiquement émettre la voix différemment, et bien des choses sont moins difficiles, d'autant que j'ai l'habitude de chanter avec le Philharmonique de Vienne et l'orchestre de la Staatsoper, dont le la est encore plus haut que dans les autres pays – je devais donc quasiment chanter un ton plus bas. Cela donne un son totalement différent, et le chanteur doit créer une atmosphère plus intime, particulièrement dans cette musique où tout est si subtil. Mais j'ai mis beaucoup de temps à m'habituer à chanter sans vibrato, car on nous enseigne toujours qu'il faut laisser la voix vibrer naturellement, afin de ne pas la retenir. Il s'agit finalement de différences techniques.

     

    Seriez-vous prête à chanter Mozart avec des instruments anciens ?

    C'est une question de goût. Et pour être honnête, je préfèrerais ne pas le faire, même si j'accepterais probablement pour des projets très spéciaux. A cet égard, je reste une romantique à l'ancienne si je puis dire, privilégiant un beau vibrato, et les instruments modernes.

     

    Così fan tutte, dans lequel vous venez d'interpréter Dorabella, est-il un opéra romantique ?

    On peut voir cet opéra de toutes les manières possibles. Cela a beaucoup à voir avec la mise en scène, ouverte à toutes les variations. Dorabella n'est pas un rôle très exposé, bien qu'il évolue jusqu'à la fin, et tout le monde sait qu'il n'est pas aussi extraordinairement écrit que Fiordiligi, qui a bien plus de facettes à dévoiler. Toute interprète de Dorabella doit donc trouver autre chose, pour rendre ce personnage très spécial. Pour moi, Mozart n'est pas si romantique, car les formes ne le sont pas : les passages dramatiques, comme dans Don Giovanni, ou le premier air de Dorabella, sont si explosifs, si choquants, comparés à la musique romantique, où les phrases montantes, les portamenti expressifs les annoncent. Mozart est comme un coup sur la tête !

     

    Vous qui êtes si féminine, vous sentez-vous à l'aise dans les rôles travestis ?

    C'est le pain quotidien de toute mezzo-soprano. Venez me voir dans un de ces rôles, et vous changerez peut-être d'avis ! Durant mon enfance, j'étais un vrai garçon manqué ! De toute manière, je n'aborde pas ces rôles en terme de sexe : il s'agit d'un personnage. Lorsque j'ai chanté mon premier Octavian à Meiningen, il y a cinq ans, je rêvais comme un garçon. L'esprit peut faire des choses incroyables : il suffit de se convaincre soi-même. De plus, les rôles travestis présentent une évolution particulièrement intéressante dans leur caractère. Ainsi, le spectre psychologique qui s'offre à une mezzo est bien plus large que celui d'une soprano, qui meurt toujours à la fin de l'opéra. La mezzo a la chance de pouvoir être l'assassin, le complice, ou encore le soutien de la mourante. Et les travestis ont un héroïsme qu'il est nécessaire de développer en début de carrière pour devenir une grande Amnéris – un rôle que je rêve de chanter –, une grande Dalila, ou une grande Carmen. Ma voix, mon tempérament me prédisposent en effet aux rôles féminins. D'autant qu'il faut savoir renoncer aux travestis à partir d'un certain âge : une chanteuse de 45 ans ne saurait être crédible en Chérubin. Les rôles de garçons ne sont qu'une étape dans mon développement vocal.

     

    Votre voix paraît naturellement étendue, et souple dans les coloratures. Avez-vous beaucoup travaillé à son développement ?

    Lorsque j'ai commencé, je n'avais qu'une quinte. Et quand j'ai dit à ma mère que je voulais devenir chanteuse d'opéra, elle m'a répondu que je n'avais pas de voix. J'ai été têtue. Elle m'a donc dit que j'avais une voix, mais que soit je travaillais pour devenir la meilleure, soit ce n'était pas la peine d'essayer, tant le processus, et les déceptions auxquelles un chanteur peut être confronté sont grandes. J'ai donc énormément travaillé. Une voix est comme une ville, sa construction n'est jamais achevée, car elle évolue chaque jour. Quant à la virtuosité, je me souviens que lorsque j'ouvrais la partition de Cenerentola durant mes premières années d'études, je pensais ne jamais pouvoir chanter le rôle. Puis j'ai rencontré un professeur, à Vienne, qui m'a enseigné la technique de la colorature. Avec le temps, on découvre qu'il y a tant de choses à apprendre, et qu'une phrase de cinq notes est souvent bien plus difficile à réussir que des cascades de vocalises. C'est un travail quotidien, mais je ne le considère pas comme un sacrifice, car j'aime chanter.

     

    N'est-ce pas dangereux pour une jeune chanteuse que d'avoir une voix aussi ample et longue ?

    Je suis d'accord. L'une des clés du succès pour un jeune chanteur est de savoir dire non très tôt. Il faut être assez honnête avec soi-même pour s'avouer ce que l'on est capable de faire et ne pas faire. Cela a beaucoup à voir avec l'ego, la patience, et d'une certaine manière, l'intelligence que l'on a de son propre avenir. Je pourrais chanter Eboli, et même Santuzza aujourd'hui, avoir du succès durant les deux ou trois prochaines années, mais après cela, je serais finie. La technique doit être surveillée en permanence par des personnes en qui vous avez confiance. Lorsque j'avais 16 ans, et que je ne savais pas encore ce que je voulais faire de ma vie, ma mère m'a conseillé de travailler tant que j'étais jeune pour pouvoir en profiter ensuite. Voilà comment je veux mener ma carrière : la qualité doit être le moteur, non la quantité. Si je chante soixante représentations par an, je sais que je peux donner le meilleur de moi-même. Je me suis récemment découvert une passion pour Berlioz, mais je dois encore attendre pour aborder Didon, Cassandre, ou Béatrice. Pour le moment, je reste fidèle à Mozart, un véritable remède pour la voix, Rossini, qui est comme une gymnastique, et au bel canto de Donizetti et Bellini.

     

    Avez-vous des modèles ?

    J'admire beaucoup Fedora Barbieri : elle a une façon très particulière d'émettre le grave, et il y a beaucoup à apprendre d'elle. Je peux également citer Agnes Baltsa, Jessye Norman, Anne-Sofie von Otter, Vesselina Kasarova, et Vivica Genaux, dont la colorature est unique. Mais je n'ai pas d'idéal, car je le copierais, et je n'aime pas la copie. Je veux apporter quelque chose de réellement personnel, et qu'on puisse dire : « Voilà comment Garanča chante, comment sa voix se développe
     Â» Mais il n'y a aucun mal à dérober de petits secrets ici ou là !

     

    Le 21/10/2005
    Mehdi MAHDAVI


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