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ENTRETIENS 19 avril 2024

Patricia Bovi, une voix qui bat la campagne

Chanteuse passionnée et captivante, Patricia Bovi est la fondatrice de l'ensemble italien Micrologus. Elle défend avec une approche vivante de la musique médiévale fondée en partie sur l'étude des traditions orales vivantes. Une démarche qui n'a pas fini d'illuminer un répertoire réputé austère et que l'on peut rapprocher du travail de Marcel Pérès en France.
 

Le 24/03/2000
Propos recueillis par Olivier BERNAGER
 



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  • Comment avez-vous commencé à chanter ?

    Très petite. Vers huit-neuf ans, je chantais avec mes parents qui habitaient Assises. Il y avait dans notre ville chaque année une fête dédiée au moyen âge. J'y ai souvent chanté, seule ou avec des groupes non professionnels. La passion m'est venue comme cela, petit à petit. Un peu plus grande, j'ai fait des études de chant classique à Perugia avec un maître de chant qui me suit toujours. J'ai travaillé avec lui tout le répertoire, et pas seulement la musique du moyen âge dont je me suis fait depuis une spécialité. Elève au Conservatoire, j'ai chanté Mozart, Rossini, Haendel, Purcell et même Stravinsky. Parallèlement, j'ai étudié la musicologie, notamment à Bâle où j'ai appris les notations du moyen âge. Le succès est venu avec la création de l'Ensemble Micrologus, il y a seize ans. Cette aventure musicale a rassemblé autour de moi Adolfo Broegg (luthiste), Gabrielle Russo (vielle, lyre, etc.) et Goffredo Degli Esposti (cornemuse, orgue portatif etc.)

     
    Quelle est la vocation de cet ensemble ?

    À partir des années 1990, notre groupe a suscité un intérêt pour la musique médiévale en Italie qui n'existait pas auparavant. Nous sommes tous des passionnés. Nous faisons des recherches en permanence, d'airs anciens, de nouveaux morceaux instrumentaux, de manières de faire originales, toujours dans le but d'aller au plus près des mystères de cette musique. Le noyau de Micrologus est constitué de quatre personnes, mais pour certains programmes nous sommes jusqu'à douze. Par exemple, dans notre prochain disque sur la musique de la Cour aragonaise de Naples, nous serons onze : harpe lyre, rebec, luth, psaltérion, orgue portatif etc.

     
    Selon vous, peut-on parler d'une école italienne pour la musique ancienne ?

    Oui, je crois. Nous avions du retard sur la Hollande, la Suisse ou la France dans le domaine de l'interprétation. Micrologus a conquis un terrain presque vierge, et comme il n'y avait aucune formation institutionnelle nous avons dû nous former par nous-mêmes. Dans les années quatre-vingt, il n'existait que le groupe " Alia musica " auquel se joignaient parfois les Français Brigitte et Gérard Lesne. Les quelques musiciens italiens intéressés par le domaine ancien se regroupaient alors pour défricher le moyen âge, puis ils constituaient leurs propres groupes. Moi avec " Micrologus ", Marco Ferrari avec " Sine nomine ", d'autres ont fait " Lucidarium ". L'école italienne, j'espère qu'elle commence à exister, s'est formée de manière involontaire, anarchique, spontanée.

     
    Quelle est l'étendue du répertoire italien ?

    Le moyen âge italien est vaste. Pour la musique sacrée, il existe quelques manuscrits car les moines savaient écrire, mais pour le répertoire para-liturgique, le seul texte dont on dispose rassemble des " Laude " dans un Codex de la bibliothèque communale de Cortona connu sous la référence Ms 91. C'est le seul recueil contenant de la musique en langue vulgaire avec le manuscrit de la Bibliothèque Capitulaire de Cividale del Friuli. La situation en Italie est très différente de celles de la France et de l'Allemagne, qui possèdent toutes deux de beaux manuscrits des troubadours et des minnesänger. Chez nous, on sait qu'il y avait beaucoup de musique profane, mais on en a peu de traces. La preuve, c'est l'iconographie : de nombreux instruments sont représentés dans des situations de la vie quotidienne, mais de musique point ou si peu. Les religieux n'avaient pas intérêt à consigner par écrit les musiques ni les textes qui accompagnaient des événements de liesse populaire ou domestique dont ils réprimandaient les excès. Notre premier document contenant de la musique et des textes en langue vulgaire s'appelle le " Manuscrit Rossi ". Il date de 1340 et se trouve actuellement au Vatican. Il consigne des ballades monodiques de troubadours italiens comme la version italienne de " Lucente stella ".

     
    Où s'arrête votre domaine de compétences ?

    Fin du XVe siècle. C'est un moment de transitions très important : la musique change car le luth qui était un instrument essentiel à cette époque change de technique : on passe du plectre à la main nue. Puis les tablatures apparaissent car la musique se complexifie. On entre dans une période polyphonique qui ne se satisfait pas de l'élan rythmique un peu terrien typique du jeu avec plectre. Les ensembles après la fin du XVe siècle s'enrichissent de groupes de flûtes, de bombardes. Tout s'organise. La spontanéité recule.

     
    Pourquoi allez vous chercher dans la musique populaire italienne les sources d'interprétation de la musique du moyen âge ?

    Au moyen âge, la musique se transmettait de façon orale. Dans la musique populaire d'aujourd'hui, c'est la même chose. La musique populaire nous enseigne le phrasé, l'intonation, tout ce qui ne s'écrit pas. Ma rencontre avec Giovanna Marini a ouvert mes yeux. Elle est compositeur et ethnomusicologue. Nous formons un groupe avec elle de quatre chanteuses qui interprètent ses pièces (lire le compte rendu de concert du 15 avril à Paris dans la section Critiques de Concert). Comment faisons-nous ? Elle écrit une partition très compliquée et nous, ses chanteuses, nous remettons la musique écrite par Giovanna sans cesse en question : donc nous la transformons en " tradition orale ". Notre outil principal est le "par coeur ". Par le fait que nous chantons par coeur des chansons écrites, nous les modifions par les habitudes que nous prenons spontanément, et comme nos tours de chant sont longs, la musique écrite se modifie constamment des apports de chacune, de l'expérience de la scène, des émotions ressenties. Cette " nouvelle musique traditionnelle " est à l'image du patrimoine musical italien. Si l'on chante une ballade de Francesco Landini à trois voix indépendantes comme elle est écrite sur sa transcription, rien n'en sort. En revanche, si l'on part du manuscrit, que chacun des trois chanteurs apprend par coeur sa partie et la chante en échange avec les autres, plutôt qu'en osmose avec une partition supposée exacte, la musique se fait d'elle-même ; d'autant plus si nous nous inspirons des authentiques traditions orales des campagnes italiennes, qui font pareil, sans se poser de questions, depuis la nuit des temps. C'est notre méthode pour rendre la musique ancienne vivante.

     
    Ainsi, vous faites des expéditions ethnomusicologiques dans les campagnes italiennes.

    Oui. Pour nos derniers concerts et enregistrements, nous avons sillonné l'Ombrie. J'y ai rencontré par exemple une paysanne qui chante les chants de la moisson avec des ornements d'une terrible difficulté. Elle m'a énormément appris. Nous nous intéressons à tout ce qui n'est pas officiel comme la musique des fêtes populaires plutôt qu'aux musiques aristocratiques. J'ai entendu certains chants de tradition orale d'aujourd'hui qui me montrent comment faire les ornements de la musique médiévale, notamment pour le chant monodique. Mais ils échappent à toute transcription exacte tant ils sont complexes. Finalement, nous avons remarqué qu'il suffit d'étudier les traditions populaires et rapprocher leurs techniques de chant du répertoire du XIVe siècle pour rendre cette musique tout à fait belle et crédible. C'est du moins mon ambition.

     

    Le 24/03/2000
    Propos recueillis par Olivier BERNAGER


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