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ENTRETIENS 28 mars 2024

Evgueni Kissin sans
peurs et sans reproches

© Bette Marshall

Il y a beaucoup de bons pianistes aujourd'hui, mais qui peut prétendre à la stature de Evgueni Kissin ? Ce jeune trentenaire a tout pour lui, à commencer par une technique transcendante qui semble faire fi de toutes limites techniques. Mais surtout, sa lecture des partitions est décapante et prend sans cesse des risques pour en donner une vision personnelle. Kissin est le génial antidote aux produits stéréotypés issus des concours internationaux.
 

Le 26/04/2000
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Après plus de quinze années de carrière au sommet, avez-vous l'impression d'avoir évolué dans le choix des oeuvres qui bâtissent votre répertoire ?

    J'ai toujours eu des goûts très éclectiques et mon choix a toujours été ouvert dans des directions multiples, même au tout début de ma carrière. Toute la musique me fascinait et m'attirait. J'ai beaucoup travaillé et appris, mais il me reste néanmoins encore bien des secteurs à prospecter. Nous autres pianistes, nous avons la chance d'avoir un répertoire si étendu, qu'une vie entière n'est pas assez longue pour l'explorer en entier. C'est à la fois grisant et un peu affolant !

     
    Votre dernier disque chez RCA est à nouveau consacré à Chopin. À l'évidence, il demeure l'un de vos compositeurs favoris depuis vos débuts n'est-ce pas ?

    Oui, certainement. J'ai joué et enregistré Chopin très tôt dans ma carrière. Je crois que si j'enregistrais aujourd'hui les mêmes morceaux, je les jouerais probablement de manière différente sans que mon approche ait changé de façon radicale. Les morceaux de ce dernier disque, la Polonaise mise à part, sont souvent d'une tonalité plutôt triste, sonate " funèbre " et Préludes, même si les Préludes sont assez différents les uns des autres. Cette tristesse est fréquente chez Chopin, assez caractéristique de sa nostalgie permanente. Notre travail consiste à approcher au plus près ce que le compositeur veut exprimer dans sa musique, de ce qui le caractérise le mieux, de ce qu'il y a de plus personnel chez lui.

     
    Vous vivez depuis plusieurs années en Occident. Pensez-vous que le contact quotidien de cette civilisation ait modifié votre rapport avec la musique ?

    Je ne pense pas que le fait de vivre en Occident ait modifié mon approche de la musique en tant que telle. Je crois en revanche que tout ce qui constitue la vie d'un interprète influence sa vision de la musique, mais je ne crois pas que cela ait un rapport avec des lieux précis, avec la géographie. Pourtant, je vous accorde que dans la vie, bien des choses peuvent marquer notre sensibilité, de manière tout à fait inconsciente. Nous ne nous en rendons pas compte mais soudain quelqu'un de proche vous dit que vous ne jouez plus tel morceau de la même manière, comme si vous aviez vécu une expérience nouvelle, alors que vous n'en n'avez vous-même pas du tout conscience.

     
    Dès vos débuts, il semblait que vous sachiez absolument tout. Avec davantage de recul, pensez-vous aujourd'hui avoir encore à apprendre ?

    Dans notre métier nous avons toujours beaucoup à apprendre. Quand on ne progresse pas on régresse. On peut apprendre en tout domaine, car en musique, tout est étroitement lié. Par exemple, je ne peux pas séparer la technique du reste. En technique, quand on a atteint un certain niveau, il faut travailler très dur, non seulement pour tâcher d'aller encore plus loin, mais tout simplement pour se maintenir là où l'on est parvenu. Le moindre relâchement peut être catastrophique et la meilleure méthode pour ne pas faiblir reste d'être toujours plus ambitieux, toujours plus perfectionniste. Et puis, connaît-on les limites de la technique ? Qui peut dire qu'il est vraiment allé au bout de ses possibilités ? La maturité intellectuelle, artistique, qui vient avec les années, ouvre des portes qui peuvent débloquer certaines possibilités cachées dont nous ignorions la présence en nous-mêmes.

     
    Travaillez-vous toujours avec le même professeur ?

    Oui. Nous vivons ensemble depuis neuf ans maintenant.

     
    Vous avez dit un jour qu'avec Chopin, Schumann était spécialement près de votre coeur. Y a-t-il d'autres compositeurs dont vous vous soyez rapproché d'aussi près ?

    J'ai toujours aimé beaucoup d'autres compositeurs, Mozart, Schubert, Beethoven, Brahms, Franck, Tchaïkovski, mais de manière différente. Je n'ai en revanche pas l'impression d'être brusquement tombé amoureux d'un compositeur qui n'était pas jusque-là dans mes préoccupations premières.

     
    Vous m'aviez dit autrefois que vous n'aimiez pas enregistrer en studio, préférant les prises en concert. Ce dernier disque Chopin a pourtant été fait en studio. Avez-vous changé d'avis en ce domaine ?

    J'évite toujours le studio autant que possible. Mais on ne peut pas l'éviter complètement. C'est une épreuve par laquelle nous devons tous passer et je préfère toujours l'enregistrement en direct pendant un concert. Pourtant, je dois reconnaître que j'aime bien ce dernier disque. Cela veut peut-être dire que j'ai appris à enregistrer en studio ou à y parvenir au même niveau qu'en public.

     
    Pensez-vous que l'école russe de piano soit toujours aussi forte ?

    Je crois que oui. Je ne vois pas de raison pour qu'elle s'affaiblisse. Bien sûr, il faut reconnaître que la vie devenant de plus en plus internationale, l'interprétation de la musique devient aussi de plus en plus internationale. À vrai dire, je ne me suis jamais vraiment préoccupé de ce problème, car, en ce qui concerne ma propre formation musicale, la tradition russe en est indissociable. Je suis né et j'ai été élevé en Russie. Je crois que le grand art est à la fois cosmopolite et marqué de caractères typiquement nationaux. Ce sont des questions très complexes et à vouloir les traiter de manière trop générale on finit par aboutir à une simplification réductrice.

     
    Vous avez un répertoire très vaste, des goûts très éclectiques, mais n'y-a-t-il pas des compositeurs dont vous ayez peur ?

    Je ne connais pas la peur dans le domaine de la musique. Il existe pourtant des compositeurs que je trouve difficile à jouer, que je n'ose pas jouer, mais je n'en ai pas peur. C'est peut-être, dans une certaine mesure, le cas de Bach, bien qu'il ne faille pas prendre cela au pied de la lettre. J'ai joué beaucoup de Bach pendant mes études et j'ai même enregistré un concerto de Bach au début de mon adolescence. Le résultat n'était pas très convaincant et le disque ne fut jamais publié. Et pourtant, j'avais enregistré le premier mouvement de ce concerto pour la radio quand j'avais dix ans et lorsque je l'ai écouté quelques années plus tard, j'ai trouvé que ce n'était pas si mal que ça !

     

    Le 26/04/2000
    Propos recueillis par Gérard MANNONI


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