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ENTRETIENS 25 avril 2024

Dwayne Croft, le retour du fils prodige
© Karin Cooper

Paris se souvient encore du métal noble et insolent du Posa de Dwayne Croft. Ralenti dans son ascension fulgurante par de graves problèmes de sinus, le baryton américain, digne héritier de Robert Merrill et de Sherill Milnes, revient sur la scène de l'Opéra Bastille dans la reprise d'une Madame Butterfly signée Bob Wilson.
 

Le 30/01/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Quand avez-vous dĂ©couvert l'opĂ©ra et dĂ©cidĂ© d'y consacrer votre vie ?

    À l'âge de 14 ans. En 1975, le Glimmerglass Opera a été créé à Cooperstown, dans l'état de New York. À l'époque, j'étais trompettiste, et je ne connaissais rien à l'opéra, mais cette compagnie avait besoin d'instrumentistes pour défiler au deuxième acte de la Bohème. C'est ainsi que j'ai découvert l'opéra, dans la parade du deuxième acte de la Bohème ! Ma passion est née en assistant aux répétitions. Puis, j'ai commencé à écouter des enregistrements, principalement de Puccini. J'y suis retourné dès l'année suivante pour chanter dans le choeur, puis des petits rôles, et en moins d'un an, vers 15 ou 16 ans, j'ai décidé que je voulais devenir chanteur d'opéra. Mais je n'ai commencé ma formation qu'à l'âge de 18 ans, en entrant à l'université.

     

    Avez-vous été satisfait de découvrir que vous étiez baryton ?

    C'est une longue histoire ! À 14 ans, je chantais les parties de ténor, car ma voix était encore aiguë. J'ai d'ailleurs eu des contre-ut jusqu'à l'âge de 18 ans. J'ai donc appris tout le répertoire de ténor, et durant mes années d'études, je me suis présenté comme ténor, ce qui m'a beaucoup aidé par la suite, parce que cela m'a permis de développer une certaine légèreté. Si j'avais commencé en tant que baryton, j'aurais sans doute adopté une manière plus grandiloquente de chanter. J'ai donc été prudent. Vers l'âge de 28 ans – donc bien plus tard –, j'ai décidé de demander leur opinion à des professionnels, car je n'étais pas sûr de ma véritable tessiture. J'étais tout à fait en mesure de produire un timbre de ténor, mais je ne pouvais pas monter, alors que je pouvais naturellement produire un beau timbre de baryton. C'est alors que j'ai rencontré mon professeur actuel. La première fois que j'ai chanté pour elle, un petit air de ténor, elle m'a affirmé que j'étais ténor, puis je lui ai chanté un air de baryton, et elle m'a dit que j'étais effectivement baryton. Nous avons donc décidé de travailler cette voix, et durant six mois, j'ai effectué les petits ajustements pour passer d'une tessiture à l'autre. En moins de six mois, j'ai intégré le programme pour jeunes artistes du Met. Je pouvais désormais gagner ma vie en tant que chanteur.

     

    Quels ont été vos premiers rôles de baryton ?

    Le fait d'avoir tenté d'être ténor durant toutes ces années m'a permis d'aborder sans appréhension le répertoire de baryton aigu, et surtout Pelléas. J'ai chanté ce rôle pour la première fois au Met en 1995, et cela a été un de mes plus grand succès. J'ai depuis abordé un répertoire plus lourd et l'ai abandonné, mais j'ai beaucoup aimé chanter ce rôle au début de ma carrière. Je n'en ai pas moins commencé par de petits rôles, pour développer ma confiance : Fiorello du Barbier de Séville, Marullo dans Rigoletto, Schaunard, puis Marcello dans la Bohème. À l'époque, je terminais le programme pour jeunes artistes, et je commençais à chanter des premiers rôles en Europe. J'ai abordé Eugène Onéguine à Saint-Louis, en anglais, puis le Met me l'a proposé à l'automne 1992. Je l'ai chanté pour la première fois en russe aux côtés de Mirella Freni, Nicolaï Ghiaurov et Francisco Araiza, moi, un baryton débutant ! Mais je me suis véritablement approprié le rôle à Venise, le printemps suivant, au contact du chef Vladimir Delman qui connaissait Tchaïkovski et Pouchkine sur le bout des doigts. Onéguine est véritablement le rôle qui m'a fait connaître. C'est d'ailleurs dans cet opéra que j'ai fait mes débuts à l'Opéra Bastille.

     

    Avez-vous eu une formation théâtrale ?

    Je n'ai jamais pris de cours de théâtre, mais je regarde beaucoup de films, et j'ai souvent fantasmé sur le fait de jouer des pièces de théâtre, comme loisir. Au début, j'étais seulement préoccupé par le chant, puis l'équilibre avec le personnage est devenu de plus en plus important. Il s'agit d'être réceptif, afin d'être réactif, et tenter d'être aussi crédible que possible. Dans cette production de Madame Butterfly, nous ne devons pas montrer d'émotions, mais laisser faire la musique, dans une perspective plus chorégraphique, mais dans la plupart des productions auxquelles j'ai participé, je pouvais totalement me laisser aller au personnage, et il m'est arrivé de sentir que j'étais Onéguine ou Don Juan. Dès lors, si la voix fonctionne vraiment bien, on peut oublier le chant. Ce sont les expériences les plus enrichissantes.

     

    Est-il stimulant de prendre part Ă  une production de Robert Wilson ?

    J'avais vu Pelléas à Garnier à l'époque où je chantais encore le rôle, et avais pensé qu'il me serait impossible de le chanter dans cette production, d'autant que celle du Met était très physique. Cependant, elle fonctionnait, et il en va de même pour Madame Butterfly. Je n'en étais pas persuadé à mon arrivée, j'avais même quelques appréhensions. Les personnages japonais ont bien plus de mouvements à faire que les américains : la production est donc beaucoup plus simple pour Pinkerton et moi. Il s'agit surtout de s'habituer à en faire moins, écouter la musique, bouger à un certain rythme, ce que nous sommes encouragés à ne pas faire sur des productions traditionnelles, pour paraître plus naturels. Cette production donne au public l'opportunité de mieux écouter la musique.

     

    La tenue des corps imposée par la gestique wilsonienne vous aide-t-elle vocalement ?

    L'engagement dans le personnage peut en effet aller à l'encontre de la technique. Ici, mon visage est plus relaxé, ma respiration plus calme, et je peux penser davantage à la technique qu'à la caractérisation, sans que cette Butterfly soit moins émouvante. J'ai toujours les larmes aux yeux au deuxième acte : c'est une émotion comparable à celle que l'on a lorsqu'on écoute l'opéra chez soi les yeux fermés, car Robert Wilson laisse faire la musique, sans rien y ajouter. Je vais participer à une production beaucoup plus réaliste au Met, la saison prochaine, mise en scène par un réalisateur de cinéma. Cette expérience sera sans doute aussi passionnante, car il est bon parfois de laisser sortir les émotions, mais ici, nous jouons sur la retenue.

     

    Peut-on distinguer un baryton puccinien type, Ă  l'instar du baryton Verdi ?

    Puccini n'a pas écrit un seul air de baryton, hormis dans Edgar – un air que j'ai chanté une fois dans le cadre d'une leçon de chant. Lorsque j'auditionnais pour Marcello, je chantais Silvio de Pagliacci. C'est certainement une manière différente de chanter, ce sont de grandes phrases, de l'émotion pure : je m'imagine Puccini au piano, composant cette musique en pleurant, toute cette émotion sortant de lui. Son style est très différent de Verdi, qui peut être aussi émouvant : la Traviata peut aussi me faire pleurer, si c'est bien fait. C'est exaltant de chanter les deux. Je ne suis pas un baryton Verdi à proprement parler, mais j'en chante certains. J'ai fait mon premier Rodrigo de Don Carlo à l'Opéra Bastille en 1999, et c'était probablement le meilleur. En effet, je suis tombé malade en 2000, j'ai eu de graves problèmes de sinus, dont je ne suis pas encore tout à fait remis, et cela a ralenti ma carrière pour un certain temps. Aujourd'hui ma carrière reprend, mais j'ai connu une longue période de lutte. Chanter quand on est malade est une vraie torture, on n'y prend aucun plaisir, et la pression monte, car il faut chanter des rôles, décrocher des engagements, et la maladie ne fait que s'aggraver. J'ai dû arrêter six mois pour guérir, retirer toute cette pression. Maintenant, tout semble rentrer dans l'ordre.

     

    Avez-vous craint de ne plus pouvoir chanter ?

    Oh oui ! J'ai touché le fond du gouffre durant les répétitions d'une nouvelle production des Troyens au Met, où je chantais Chorèbe. Mes sinus étaient si bouchés que je ne sentais plus ma voix. J'étais obligé de forcer, de me fatiguer, et je savais que ce n'était pas bien. J'ai assuré les premières représentations, mais j'ai décidé de tout annuler pendant les répétitions de Faust, où je devais chanter Valentin. Tout le monde a compris que j'avais besoin de faire une pause, d'autant que mon père venait de mourir, et mon retour s'est très bien passé. Je peux à nouveau regarder devant moi, et j'ai plein de beaux projets.

     

    Comment évolue votre répertoire ?

    J'ai en projet une création de Philip Glass à San Francisco, mais nous en saurons plus l'année prochaine. J'avais déjà participé à l'une de ses créations à Boston en 1988, alors que j'étais encore ténor, mais il s'agissait en fait de mon premier rôle de baryton. J'espère également chanter à nouveau beaucoup d'Onéguine – j'en faisais un ou deux par saison entre 1992 en 1999, mais j'ai l'impression qu'on le monte moins en ce moment –, ainsi que du Mozart, qui est très sain pour ma voix. Je vais également faire quelques Don Carlo, et pas mal de Germont dans la Traviata.

     

    Vous sentez-vous proche de la grande tradition des barytons américains illustrée par Robert Merrill et Sherill Milnes ?

    Être comparé à Robert Merrill à l'époque de mes débuts au Met a été un très grand honneur pour moi. Il a toujours été très bon pour moi, très encourageant, je l'aimais beaucoup. Lorsque je prépare un nouveau rôle, je cherche toujours un enregistrement de Robert Merrill, parce que sa technique est celle à laquelle je peux idéalement me référer. J'ai aussi de bons rapports avec Sherill Milnes, qui n'a jamais essayé de me dire comment je devais chanter. La première fois que j'ai chanté pour lui, dans le cadre d'une Master Class, il a dit devant cinq cents personnes qu'il n'avait rien à m'apprendre sur la technique, qu'il pouvait seulement me donner une idée de ce que lui aurait fait dans telle ou telle situation. C'est lui qui m'a préparé à chanter mon premier Rodrigo : nous avons passé trois heures ensemble sur la partition, et il m'a donné des conseils sur les endroits où je pouvais m'économiser. C'était merveilleux. J'essaie donc de perpétuer cette tradition, et j'espère qu'on se souviendra de moi comme d'un baryton américain respectueux de la musique et de son message.

     

    Le 30/01/2006
    Mehdi MAHDAVI


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