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ENTRETIENS 26 avril 2024

Gaële Le Roi, éternelle enfant
© Eric Mahoudeau

Née colorature, le physique de Gaële Le Roi lui a fait prendre une autre voie : de Thomas Hampson à Samuel Ramey, la soprano française a été le fils des plus grands. Elle prête de nouveau sa voix à trois travestis dans la reprise de Juliette ou la clé des songes de Martinů à la Bastille, avant de créer le rôle de la Fée clochette dans Peter Pan de Patrick Burgan au Châtelet.
 

Le 10/02/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous menez une carrière pour le moins atypique. Est-ce par goût ou par hasard ?

    Au départ, c'était un peu un hasard, mais maintenant, cela devient plutôt un goût. Je me rends compte que ce n'est pas si mal d'être polyvalente, en ayant cette spécificité d'être capable de s'adapter en même temps à des choses différentes. Cela évite la monotonie, qui est peu présente dans ce métier, et qui l'est encore moins lorsqu'on saute ainsi d'un répertoire à l'autre.

     

    Avez-vous bénéficié d'une formation musicale particulière pour passer avec autant d'aisance d'un répertoire à l'autre ?

    J'ai été formée un peu sur le tas, et sur le tard par rapport aux instrumentistes, puisque j'ai commencé à 16 ans. Auparavant, mes parents écoutaient de la musique classique, mais je n'avais pas eu de formation solfégique. C'est au CNIPAL, puis à l'Atelier de l'Opéra de Lyon que j'ai reçu une formation de base. En ce qui concerne la musique baroque, j'ai appris en travaillant avec des clavecinistes, et surtout au contact des chefs d'orchestre qui ont la patience d'enseigner le style : plus on aime cette musique, plus on l'apprend facilement. Je suis à la fois autodidacte et imprégnée des personnes que je peux rencontrer.

     

    À cet égard, quels sont les chefs qui vous ont le plus apporté, aussi bien dans le répertoire baroque que dans le répertoire classique ?

    J'ai beaucoup de reconnaissance pour Christophe Rousset, avec lequel je travaille assez régulièrement. Sans m'avoir donné de cours de chant, il m'a fait faire du nettoyage dans la voix, et la musique baroque elle-même m'a obligée à me dépouiller de certaines choses, qui m'ont ensuite servi dans l'opéra classique, notamment au niveau des nuances. Christophe Rousset m'a permis de chanter un répertoire magnifique, et je me suis vraiment régalée musicalement. Dans le répertoire lyrique, j'ai été très marquée par mon expérience avec Simon Rattle, qui a un charisme incroyable. Mais ce sont surtout les metteurs en scène qui m'ont marquée, parce que j'ai davantage défendu le côté scénique que le côté vocal par les rôles que j'ai abordés.

    J'ai beaucoup aimé Richard Jones et Anthony McDonald, qui signent la mise en scène de Juliette, et avec lesquels j'avais fait l'Enfant et les sortilèges, et aussi Patrice Caurier et Moshe Leiser, que je vais retrouver à Nantes pour l'Enfant, et avec qui j'avais travaillé dans Dialogues des carmélites. J'avais une certaine appréhension par rapport à Robert Wilson, mais je me suis intimé de ne pas me bloquer, de rentrer dans son monde, et j'ai finalement adoré son travail, parce que son langage lui est propre, et que l'on découvre beaucoup de choses sur le geste, sa précision, sa non gratuité lorsqu'on le respecte. Quant à Sellars et Grüber, ce sont des personnes humainement belles. Ces rencontres compensent peut-être le deuil de certains rêves que je pouvais avoir. Si je fais la carrière que je fais, c'est que j'y ai ma place.

     

    À quel répertoire votre voix vous prédisposait-elle ?

    J'ai commencé le chant en tant que colorature, et je travaillais les Contes d'Hoffmann, la Reine de la Nuit, les airs de concert de Mozart. Puis, j'ai chanté Yniold dans une production de Peter Sellars : entre mon physique, le fait que cette expérience avait bien fonctionné, le désir des metteurs en scène de disposer d'une interprète crédible, mais aussi d'une certaine dépendance envers les agents, je suis entrée dans cette filière des rôles d'enfants. Mon physique a donc davantage influencé la direction prise par ma carrière, puisque le rôle de l'enfant dans l'Enfant et les sortilèges est souvent chanté par des mezzos. Il se trouve que je suis parfois couverte par l'orchestre, mais dans ce répertoire, l'aspect scénique vient combler ce qui peut être déficitaire au niveau de la tessiture quand on me demande de chanter des rôles un peu plus graves.

     

    Rêviez-vous de grandes héroïnes ?

    Je serais hypocrite si je disais le contraire. Nous avons tous envie d'incarner les premiers plans que nous voyons à l'opéra, mais nous sommes ramenés à des réalités. Sans être fataliste, je pense que nous avons un peu une destinée, qu'on peut avoir une voix intéressante pour faire passer autre chose. J'ai un physique qui porte les metteurs en scène à me voir davantage dans des rôles travestis que dans des héroïnes, je l'accepte, et je suis heureuse de défendre ces personnages, de leur donner une crédibilité. Et le répertoire baroque me permet d'aborder d'autres types de rôles, souvent plus importants. J'ai éprouvé une certaine lassitude, il y a quatre ou cinq ans, en voyant le temps passer sur ma carrière sans réaliser certains rêves. Mais j'ai assisté à une représentation de Pelléas et Mélisande, et en voyant l'interprète du rôle d'Yniold, j'ai réalisé à quel point ces rôles d'enfants sont difficiles à incarner sur scène, et que je pouvais véritablement leur apporter quelque chose.

     

    Abordez-vous les opéras baroques oubliés comme l'Empio punito ou Scylla et Glaucus avec davantage de liberté ?

    Nous avons la liberté que nous donne le chef, dans le cadre imposé par le style. J'aborde cette musique avec beaucoup d'humilité, en me disant que c'est peut-être la dernière fois qu'elle sera jouée, et que j'ai l'occasion de la chanter, comme avec une nostalgie de ce qu'on va laisser. Je rêve de rechanter l'Empio punito. Savoir que c'était la première fois que Don Juan était mis en musique, d'autant que je ne devais pas interpréter le rôle-titre, qu'on m'a proposé suite au désistement d'une autre chanteuse. Je me suis régalée à défendre cette musique : on a l'impression que les compositeurs ne sont pas loin, et qu'on est dépositaire de quelque chose de précieux.

     

    Le baroque français est-il stylistiquement plus délicat à interpréter que le baroque italien ?

    Cela demande beaucoup plus au niveau du souffle. Sans doute parce que cette musique est d'une précision implacable : tous ces ornements ne s'improvisent pas. Chaque mot est étudié avec soin, pour savoir lequel mettre en relief, ce que l'ornement justifie davantage encore. Travailler un livret baroque en le déclamant permet d'en rechercher touts les subtilités. Le baroque italien libère davantage la voix, mais je n'ai pas envie de les mettre en concurrence, car je me régale dans les deux.

     

    Vous avez chanté avec les plus grands. Que vous ont-ils appris ?

    J'ai chanté dans Alcina à Drottningholm il y a trois ans, et Christine Schäfer, qui interprétait le rôle-titre, m'a beaucoup marquée. Techniquement, ce qu'elle faisait était incroyable, et j'ai essayé beaucoup de choses en la regardant, car nous avons chacun notre physionomie. J'avais également demandé à Felicity Palmer de me donner quelques cours lorsque nous chantions ensemble, et lorsque l'occasion se présente, nous parlons de technique vocale. Dans les bras de Samuel Ramey, j'ai pu sentir comment fonctionnait le souffle : on peut vérifier certaines petites choses en étant très proches les uns des autres. À Salzbourg, j'avais également demandé quelques cours à Deborah Polaski. Ce sont de petites choses que l'on ajoute précieusement à sa technique vocale.

     

    Vous semblez très attachée à l'Opéra de Paris.

    J'ai eu la chance de commencer en 1997 avec Hugues Gall, puis Gerard Mortier m'a entendue dans l'Enfant et les sortilèges, et m'a proposé les Troyens à Salzbourg. Notre collaboration se poursuit, et j'en suis ravie. Mais s'il y a un nouveau directeur, que se passera-t-il ? Parce qu'on n'est pas grand-chose sans une maison de disques ni une notoriété à tout casser : nul n'est irremplaçable, à commencer par moi. Je suis assez réaliste sur mon métier, et peut-être suis-je en train de casser une sorte de magie, mais c'est important pour nous de retirer cette part de pression : cela nous permet d'être nous-mêmes en dehors de la scène.

     

    Le 10/02/2006
    Mehdi MAHDAVI


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