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ENTRETIENS 25 avril 2024

Christine Schäfer, actrice mozartienne
© Olivier Hermann

De Bach à Berg, de Haendel à Messiaen, l'éclectisme de Christine Schäfer se veut avant tout exigence musicale, et théâtrale. Après une Donna Anna inattendue, femme-enfant à l'aigu angélique, la soprano allemande retrouvera les culottes de Chérubin, étrennées à Salzbourg dans la production de Christoph Marthaler. Par désir, et non par défi.
 

Le 20/02/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Avez-vous abordĂ© Mozart dès le dĂ©but de vos Ă©tudes ?

    En vérité, je n'aimais pas beaucoup Mozart dans ma jeunesse ; je ne saisissais pas la profondeur de sa musique. Je suis d'abord tombée amoureuse de Berg et de Bach, du Rake's Progress de Stravinsky ; c'était la musique que j'écoutais. Néanmoins, j'ai toujours voulu chanter Pamina, mais j'étais encore trop jeune, et le rôle m'était interdit. Je pouvais chanter Blonde dans l'Enlèvement au sérail, mais à l'époque où j'ai commencé, les soubrettes étaient toujours traitées comme des stéréotypes de jeunes filles comiques, et cela ne me plaisait pas. Désormais, les metteurs en scène ont de meilleures idées sur ces personnages. C'est finalement en participant à des productions mozartiennes que j'ai découvert la beauté de cette musique.

     

    Vous relevez un défi d'autant plus inattendu en chantant successivement Donna Anna et Chérubin que ces rôles sont très différents, aussi bien vocalement que dramatiquement.

    Je chante Chérubin comme une soprano, sans changer ma voix. D'ailleurs, les tessitures de Chérubin et de Suzanne sont identiques. La première fois que Gerard Mortier m'a demandé ce que je voulais chanter dans les Noces de Figaro, j'ai immédiatement répondu Chérubin. En effet, Suzanne est un personnage fantastique sur le plan théâtral, mais elle n'a que des récitatifs à chanter. D'autre part, j'aime incarner les rôles de garçons. La couleur d'une soprano est d'ailleurs plus proche du jeune garçon que celle d'une mezzo-soprano, qui est toujours très féminine. A l'exception de Zdenka dans Arabella, qui est encore plus intéressante, car il s'agit d'une fille qui doit se faire passer pour un garçon, Chérubin est le seul travesti qui m'aille parfaitement. Les garçons straussiens sont en effet trop lourds pour moi.

     

    Souvent confié à des voix dramatiques, le rôle de Donna Anna n'est-il pas encore plus lourd ?

    Il est surtout très haut. Il m'est impossible d'imaginer comment un soprano dramatique peut en venir à bout. En tant que voix aiguë, le second air me va très bien, mais le premier est très dramatique, et serait tellement plus facile à chanter rien qu'un demi-ton plus bas. La hauteur du rôle est vraiment un problème, même pour un soprano aigu. Je pourrais bien sûr l'aborder de manière très légère, mais je veux garder une couleur spécifique. Selon moi, Donna Anna est la plus jeune des trois femmes de cet opéra, et la moins expérimentée, je n'ai donc jamais compris pour quelle raison elle était toujours confiée à des voix lourdes. Il faut bien évidemment avoir une certaine expérience pour l'aborder, et je suis très heureuse de la faire enfin, mais je dois avouer que ce rôle est très difficile.

     

    Chanter des rôles aussi typiquement italiens que Violetta de la Traviata ou Alcina vous a-t-il aidé dans votre approche de Donna Anna ?

    Violetta certainement, parce que ma voix y a gagné des couleurs sombres. Mais c'est une question de goût : j'aurais pu aller dans le sens de la tradition, ou, au contraire, incarner une Donna Anna très jeune et inexpérimentée, donc très claire. J'essaie de mêler ces deux aspects. Il en va de même pour Violetta. Si je chantais le rôle tel que je le conçois vraiment, tout le monde me dirait que je fais fausse route, en m'écartant trop de la tradition italienne. Mais il est plus facile de créer son propre son dans Mozart. J'essaie donc de garder une couleur très chaude malgré la hauteur, car si je chantais le rôle comme un soprano aigu, le caractère en serait trop enfantin.

     

    Donna Anna est-elle amoureuse de Don Giovanni ?

    Oui, jusqu'à ce qu'elle découvre qu'il a tué son père. Sa relation avec Don Giovanni est très passionnée. Elle a évidemment toujours Don Ottavio sur les talons, et elle sait qu'elle n'aura jamais une expérience de ce type avec lui, ni aucun autre homme, car Don Giovanni est un être magnétique. Puis, le meurtre de son père devient sa seule préoccupation, elle se coupe de toute émotion. Son attitude envers Don Ottavio se révèle à cet égard assez injuste. Elle pourrait dévoiler son jeu, mais elle préfère le faire attendre. Il doit vraiment être très amoureux d'elle pour accepter cela.

     

    Michael Haneke met un opéra en scène pour la première fois. Le fait-il avec l'œil d'un réalisateur de cinéma ?

    Oui, et je trouve cela fantastique, car la gestuelle conventionnelle de l'opéra est abolie. Nous jouons de manière très naturelle. En Allemagne, beaucoup de cinéastes sont engagés pour des productions d'opéra, mais ils nous laissent la plupart du temps plantés devant des projections vidéo. J'ai rencontré Michael Haneke avant le début des répétitions, et c'est une véritable chance que d'avoir pu prendre ainsi connaissance du concept de sa mise en scène. Cette pratique devrait être systématique. J'ai du mal à regagner les coulisses après avoir assisté aux répétitions, tant son travail est fascinant. Mozart n'est absolument pas démodé, parce que les problèmes entre les hommes et les femmes sont les mêmes aujourd'hui qu'à son époque. Les choses ne changent qu'en apparence.

    De tout temps, les femmes sont tombées amoureuses de salauds, et Don Giovanni se comporte très mal dans cette production. En vérité, il se comporte très mal dans le livret, et Haneke essaie de le traduire de manière contemporaine. L'opéra doit rester symbolique, c'est une oeuvre d'art à travers laquelle il faut faire passer un message. Je n'ai rien contre les productions traditionnelles dans la mesure où elles sont bien faites, mais elles restent souvent très conventionnelles. L'époque importe peu si le dialogue entre les personnages, leurs réactions sont intenses. Dans un grand nombre de productions, nous devons rester immobiles, sans regarder nos partenaires. Ce n'est heureusement pas le cas ici.

     

    Selon Sylvain Cambreling, les récitatifs seront plus proches de la parole que du chant.

    Sylvain respecte l'idée que les récitatifs appartiennent au metteur en scène. J'ai souvent assisté à des luttes entre chefs d'orchestre et metteurs en scène, car ces derniers tentaient d'imposer des pauses dans le dialogue. Dans une conversation normale, on s'arrête souvent de parler pour réfléchir – pourquoi ne serait-ce pas possible dans les récitatifs ? Ici, l'opéra est vraiment envisagé comme du théâtre, ce que permet l'unité de la distribution en matière de jeu et de chant.

    « Les rĂ©citatifs appartiennent au metteur en scène Â»

     

    Le travail sur les récitatifs dans les Noces de Figaro de Christoph Marthaler a été très controversé lors de la création salzbourgeoise.

    J'ai beaucoup aimé cette production, parce que nous pouvions beaucoup plus jouer avec le son. Un opéra est une pièce de théâtre, et je suis tout à fait sûre que Mozart aurait aimé cela, car il était assez fou pour le faire lui-même. J'aime chanter avec des instruments anciens, mais je suis contre le dogmatisme de ces pratiques qui se basent sur des spéculations. Je suis pour la liberté dans la musique. Imaginez ce malheureux récitativiste, un musicien fantastique jouant tous les récitatifs de mémoire, se faisant systématiquement huer !

     

    Vous avez participé à des productions très provocatrices. Craignez-vous la réaction du public face à ces productions très attendues ?

    Le Don Giovanni de Michael Haneke est une espèce de miroir, et il est toujours difficile de se regarder en face avec un projecteur braqué sur soi, mais j'espère que le public l'appréciera, justement pour son honnêteté. Il n'a d'ailleurs rien de scandaleux, il s'agit simplement d'une vision très intéressante de l'oeuvre. De plus, la plupart des spectateurs connaît les films de Haneke et vient en connaissance de cause. C'est la même chose avec Marthaler : à Salzbourg, le public de la générale et de la première a été très enthousiaste, mais les critiques ont été négatives. La première année, l'Enlèvement au sérail de François Abou Salem n'avait pas été très bien reçu non plus, mais les gens en parlent encore.

    « Le Don Giovanni de Haneke n'a rien de scandaleux Â»

     

    Quels sont les rĂ´les mozartiens que vous souhaiteriez aborder dans l'avenir ?

    Je ne chanterai jamais assez Pamina. Et peut-être vais-je refaire Constance, mais tout dépend du metteur en scène. En effet, la relation entre Constance et le Pacha Selim est très intéressante : il est acteur, elle est chanteuse, il est extrêmement attirant, mais elle doit le haïr, car elle est toujours amoureuse de Belmonte, tout en craignant de recouvrer sa liberté. Tous ces conflits sont très difficiles à mettre en scène, et s'ils restent invisibles, les coloratures sont si difficiles à chanter qu'il n'y aucune raison de le faire. J'aimerais aussi chanter la Comtesse, mais je ne pense pas être en mesure de produire le son plus rond que j'ai en tête.

     

    Choisissez-vous les productions en fonction du chef ou du metteur en scène ?

    Du metteur en scène. Mais en ce qui concerne les opéras de Strauss, le chef est plus important. Cette musique est si romantique que transposer le Chevalier à la rose serait stupide. J'aime le chanter dans de grandes robes, comme dans les vieux films allemands, et je ne vois aucune raison d'y changer quelque chose. L'autre option serait Marthaler, mais autrement, il faut le laisser tel quel.

     

    Avez-vous bénéficié d'une formation théâtrale durant vos études ?

    Malheureusement non, car le corps est la chose la plus importante. Un geste concentré est tellement plus puissant qu'un geste de chanteur, obligé de prendre une respiration énorme, et de lever les bras pour émettre une note magnifique. C'est théâtralement ennuyeux, et encore pire dans les productions modernes : on peut énormément dissimuler dans un costume d'époque, beaucoup moins si on doit chanter un air en jogging. De plus, en Allemagne, les professeurs restent obsédés par leurs vieilles idoles, se soucient peu des jeunes chanteurs, ne vont pas à l'opéra et ne sont pas au courant des tendances actuelles.

    « En Allemagne, les professeurs ne vont pas Ă  l'OpĂ©ra et ne sont pas au courant des tendances actuelles Â»

     

    Vous êtes l'une des chanteuses préférées de Gerard Mortier. Accepteriez-vous certains rôles que vous n'auriez pas abordés a priori s'il vous les proposait ?

    Ce fut le cas de Lulu, à Salzbourg. De plus, Gerard est très prudent. Nikolaus Harnoncourt m'a demandé trois fois de chanter Donna Anna au Festival de Salzbourg, mais j'ai refusé parce que c'était au Grosses Festspielhaus, et que Gerard n'était plus là pour me soutenir en cas de problème. D'ailleurs, il tenait absolument à ce que le Don Giovanni de Haneke soit présenté à Garnier, et non à Bastille. J'aurais adoré chanter Donna Anna avec Harnoncourt à Salzbourg, et je vais d'ailleurs le faire cet été dans la reprise confiée à Daniel Harding, mais quatre années ont passé. Avoir quelqu'un d'aussi fort que Gerard derrière soi donne confiance.

     

    Avez-vous des modèles parmi les chanteurs du passé ?

    Je n'écoute pas de musique, car cela en ferait trop dans une seule et même journée. Néanmoins, certaines qualités des chanteurs des années 1940 et 1950 me manquent, particulièrement en termes de couleurs. C'est pourquoi je suis stupéfaite et heureuse de voir que dans cette production de Don Giovanni, chacun a sa propre couleur et sa propre personnalité, à une époque où ne comptent plus que l'apparence physique et la beauté de la voix. Maria Callas est ma chanteuse préférée, parce que c'est une personnalité, et lorsque je chantais beaucoup avec Renée Fleming, je l'écoutais attentivement afin de capter quelques-unes de ses sonorités. Il est important de savoir voler des sons.

     

    Le 20/02/2006
    Mehdi MAHDAVI


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