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ENTRETIENS 29 mars 2024

Renato Palumbo, en guerre contre les idées reçues

Rigoletto, opéra de chef ? Il l'est en tout cas sous la direction aussi savante qu'enflammée de Renato Palumbo. Prochain directeur musical du Deutsche Oper de Berlin, le chef italien déclare la guerre aux idées reçues, combat la routine, réhabilite Meyerbeer, et exalte les subtilités de l'orchestre verdien.
 

Le 24/02/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Beaucoup considèrent Verdi comme un piètre orchestrateur, seuls Otello et Falstaff trouvant grâce Ă  leurs oreilles.

    Beaucoup de monde le pense, en effet, mais ce n'est pas vrai. L'orchestration est presque la même dans tous les opéras de Verdi. Il suffit de beaucoup travailler sur la partition avec l'orchestre. Il est vrai qu'il y a trente ans, on jouait sa musique en pensant uniquement aux voix, mais aujourd'hui, nous avons des orchestres de bonne qualité, et nous pouvons révéler les subtilités de ces partitions, surtout dans l'écriture pour les cordes. Il convient d'avoir une lecture symphonique de l'opéra, y compris dans les premiers Verdi.

     

    Y a-t-il une rupture entre sa grande Trilogie (Rigoletto, Il Trovatore, la Traviata) et ses opéras précédents ?

    Il ne s'agit pas d'une véritable rupture, d'autant que les trois oeuvres sont très différentes. Le Trouvère est un hommage au classicisme, avec quatre actes et huit tableaux d'une durée sensiblement identique, avec des numéros clairement délimités comme dans les mélodrames anciens, et une grande recherche du style et de la tonalité. Rigoletto est beaucoup plus moderne, avec une progression dramatique extrêmement rapide, comparable à un thriller de Hitchcock. La Traviata est aussi un opéra d'une modernité incroyable, non seulement par l'histoire, mais aussi la musique, et surtout la caractérisation des personnages : Alfredo est très différent des ténors traditionnels, tels Manrico ou le Duc de Mantoue. Une grande idée unit sans doute ces trois opéras, mais sans rupture avec le passé. Que l'on pense à la modernité de I Lombardi alla prima crociata, I Due Foscari, et même Nabucco. Les opéras de Verdi doivent tous être regardés comme des chefs-d'oeuvre, et le chef d'orchestre se doit de les aborder avec une grande humilité pour en déceler toutes les subtilités, car ce sont les détails qui font la grandeur de Verdi.

     

    Sentez-vous le poids de la tradition, notamment sur les chanteurs, lorsque vous dirigez une oeuvre comme Rigoletto ?

    La tradition a permis à certaines oeuvres de devenir célèbres. Il faut donc prendre garde de distinguer les bonnes et les mauvaises traditions. C'est ce qu'a permis l'approche philologique de ces vingt dernières années. Les mauvaises traditions ont aujourd'hui disparu. Dans les grands théâtres, les chanteurs arrivent très bien préparés, non seulement musicalement, mais aussi sur le plan historique et littéraire. Certaines traditions ne sont donc plus que de vieux détails de l'histoire. Pour Philip Gossett, qui a établi les nouvelles éditions critiques des opéras de Verdi, une édition critique est faite pour informer, non pour imposer quoi que ce soit à l'interprète : il s'agit d'un repère, conforme à l'original voulu par le compositeur, que lui-même a pu modifier à l'occasion de reprises de son oeuvre. Lorsque j'ai commencé à diriger, il y a une vingtaine d'années, je me suis parfois bagarré avec des chanteurs qui voulaient imposer leurs cadences, mais ce problème a aujourd'hui disparu.

     

    Dans Rigoletto, Verdi semble s'appuyer sur la forme pour caractériser les personnages : si Gilda reste soumise à un certain belcantisme, Rigoletto n'a pas un seul véritable air à chanter.

    Cela s'inscrit dans sa recherche de la modernité. Il n'en reste pas moins que, contrairement aux compositeurs contemporains, Verdi écrivait ses opéras en pensant au public. La romance de Gilda est donc une certaine forme de concession, bien qu'il faille donner aux vocalises un sens dramaturgique. Ainsi, avant l'entrée de Gilda, j'instaure un climat très sombre afin de mieux percevoir les tensions. Puis, lorsqu'elle arrive, dans la tonalité d'ut majeur, l'action s'accélère. J'utilise le même tempo pour la deuxième entrée de Gilda au deuxième acte, alors qu'elle vient de quitter le Duc, mais d'ut majeur, la tonalité est passée à ré bémol majeur : si le rythme vital est toujours le même, l'atmosphère a changé, car Gilda n'est plus une enfant, mais une femme.

    Une lecture superficielle ne permettrait pas de mettre ces aspects de la partition en valeur. Je demande donc beaucoup aux chanteurs, pour obtenir la tension du troisième acte par exemple. Après avoir remis Ă  Rigoletto le sac contenant Gilda contre de l'argent, Sparafucile lui dit : « Bonne nuit ! Â» Comment peut-on dire bonne nuit après avoir tuĂ© quelqu'un ? C'est ce que je cherche tous les jours avec l'orchestre, et les chanteurs. Avec cette motivation, l'orchestre prend du plaisir Ă  jouer, et le public se laisse prendre par cette tension, plutĂ´t que de n'attendre que la romance et la cabalette.

     

    L'opéra est-il un passage obligé pour un chef italien ?

    Il l'était il y a trente ou quarante ans, mais aujourd'hui tous les chefs sont formés dans les conservatoires. Pour ma part, je viens du théâtre, j'y ai tout fait : souffleur, chef des choeurs. J'ai commencé très jeune à travailler dans des petits théâtres. Aujourd'hui, tous les chefs italiens dirigent de l'opéra parce qu'il y a davantage d'opportunités que dans le symphonique, mais ils ont une formation symphonique. Pour diriger l'opéra, il faut être né dedans, savoir tout ce qui se passe sur le plateau, pour comprendre la difficulté qu'éprouve un chanteur à être face au public, être capable de l'aider, car la voix est un instrument fragile. Il ne suffit pas d'être italien et de mieux comprendre les paroles pour avoir une véritable conscience des réalités du théâtre lyrique.

     

    Le public italien est-il toujours aussi concentré sur la performance vocale ?

    Ces temps sont révolus, car le théâtre a évolué. Nous n'avons plus de voix extraordinaires capables de faire le spectacle à elles seules. Aujourd'hui, nous pouvons faire de très bons spectacles, avec une bonne lecture musicale, une compagnie équilibrée – c'est ce que le public attend. Car il recherche la même chose qu'au cinéma ou à la télévision, ce qui rend notre art bien plus vivant qu'il y a trente ans.

     

    Vous est-il arrivé d'être en désaccord avec un metteur en scène ?

    Le grand problème avec les metteurs en scène est qu'ils cherchent toujours à faire quelque chose de différent. Mais plutôt que de juger un metteur en scène d'après des motivations esthétiques, il convient d'abord de se demander si son approche est dramaturgiquement logique : une mise en scène agréable à regarder peut ne pas fonctionner sur le plan dramaturgique, et inversement. Lorsque je participe à une nouvelle production, j'assiste à toutes les répétitions scéniques afin de comprendre l'idée originale du metteur en scène, puis je dois diviser ma pensée en deux : je dois en effet aider cet homme à faire sa mise en scène, et faire passer son idée dans la musique, même si je considère que son idée n'est pas bonne.

    Quand le metteur en scène comprend que le chef d'orchestre n'est pas son ennemi, tout se passe bien, mais pour cela, le chef doit connaître le théâtre, la dramaturgie, et savoir ce que l'on peut faire avec les chanteurs. Dès lors que la collaboration est effective, les chanteurs se sentent mieux, et il est plus facile de régler les détails qui ne fonctionnent pas. Pour qu'une production soit intéressante, chacun doit accepter de faire des sacrifices. J'ai de très bonnes relations avec les metteurs en scène, parce qu'il est impossible de penser le théâtre sans eux. L'opéra a besoin de sang neuf, de nouvelles idées, de nouveaux modes d'expression.

     

    Vous avez dirigé à Martina Franca les Huguenots et Robert le Diable. Comment êtes-vous venu à Meyerbeer ?

    C'est une formidable opportunité pour un chef d'orchestre que de pouvoir diriger la musique merveilleuse de Meyerbeer. Quand j'ai fait Robert le Diable, j'ai été enchanté de la modernité de la musique, et surtout de l'influence que Meyerbeer a eue sur les compositeurs qui lui ont succédé. Robert le Diable est un grand opéra magnifique, et les Huguenots sont vraiment une oeuvre incroyable. L'importance de Meyerbeer est considérable dans l'histoire de la musique, et une relecture moderne de ses opéras s'impose. Certains passages des Huguenots annoncent Wagner, Tosca et le vérisme. Ces expériences m'ont beaucoup apporté, y compris dans mon approche de Verdi, Puccini et d'autres compositeurs. C'est le travail le plus intéressant et le plus complet que j'ai fait dans ma vie.

     

    Trouve-t-on les chanteurs capables d'affronter l'écriture vocale particulièrement exigeante de Meyerbeer ?

    Il ne s'agit pas de trouver de grands chanteurs, mais ceux qui ont le temps, l'humilité et la capacité d'étudier ces oeuvres et d'entrer dans le style de Meyerbeer, car quinze jours n'y suffisent pas. Il m'a fallu huit mois pour étudier ces partitions, confronter des sources éparpillées entre Prague et Paris. Et pour parvenir à un résultat satisfaisant, un théâtre doit avoir les structures nécessaires pour fonctionner à plein régime pendant deux mois.

     

    Vous allez prendre la direction musicale du Deutsche Oper de Berlin dès la saison prochaine. Comptez-vous y défendre ce type d'oeuvre ?

    À Berlin, la situation est assez particulière, car la ville dispose de trois théâtres d'opéra. La direction générale supervise donc la programmation de ces trois institutions. J'aimerais beaucoup promouvoir ces oeuvres, mais pour un théâtre de répertoire, qui joue tous les soirs un opéra différent, monter les Huguenots ou Robert le Diable est une opération très difficile sur le plan de l'organisation. Pour l'inauguration de la prochaine saison, je vais diriger Germania de Franchetti, un opéra magnifique et très rarement joué, avec un rôle de ténor incroyable, qui est un peu dans l'esprit du Grand opéra. Mais plutôt que d'échafauder de grands projets, mon souhait est de maintenir un bon niveau dans le répertoire traditionnel, car si nous disposons de six semaines à deux mois de travail pour une nouvelle production, les reprises ne bénéficient pas de répétitions. J'espère donc mettre mes idées et ma culture au service de la qualité.

     

    Le 24/02/2006
    Mehdi MAHDAVI


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