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ENTRETIENS 25 avril 2024

Christiane Oelze, par amour du style
© Nadine Wichmann / NW Design

C'est sans doute en écoutant Elisabeth Schumann, Lotte Lehmann, ou encore Elisabeth Schwarzkopf que Christiane Oelze a acquis cette pureté du style qui en fait une Liedersängerin et une mozartienne si recherchée. Pour ses débuts à l'Opéra de Paris, elle troque le tablier de Suzanne contre la bouteille de Bourbon de la Comtesse dans la production iconoclaste de Christoph Marthaler.
 

Le 27/03/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Votre carrière est davantage orientée vers le récital et le concert que vers l'opéra. Est-ce un choix ?

    C'est toujours un choix au début, à partir duquel une carrière se développe. Si l'on fait beaucoup de productions d'opéra, on ne peut s'engager pour un grand nombre de concerts, à cause de la longueur des périodes de répétitions et de représentations. Je viens du lied et de l'oratorio, et j'ai toujours accordé beaucoup d'importance au chant, à la pureté de la voix, à l'intonation, et au phrasé. Le concert permet davantage de nuances que la scène, à moins de travailler longuement avec les autres chanteurs, et de disposer d'un orchestre capable de jouer piano, ce qui n'est habituellement pas le cas.

     

    Êtes-vous à l'aise sur scène ?

    Je pense avoir un talent naturel pour la comédie. Il s'agit avant tout de fantaisie : tout le monde peut s'imaginer dans la peau de quelqu'un d'autre, mais on ne développe pas forcément ce talent. J'ai toujours su que j'étais une bonne actrice, mais j'étais timide. Durant mes études, j'ai participé à un atelier lyrique où nous montions de petites scènes d'opéra, mais je ne me prenais pas assez au sérieux, et je me refermais. La qualité du jeu dépend aussi beaucoup du metteur en scène, qui vous aide, vous inspire. Pour ma première Constance au Festival de Salzbourg, alors que je n'en étais qu'à ma troisième production d'opéra, Johannes Schaaf m'a invitée à me préparer un an à l'avance, alors qu'il travaillait sur d'autres mises en scène. Je l'ai suivi à Londres, puis chez lui à Hambourg, et nous avons beaucoup travaillé sur les dialogues. Tous les metteurs en scène avec qui j'ai collaboré m'ont appris quelque chose. Graham Vick sait attirer l'attention sur le détail qui peut tout améliorer. Nikolaus Lehnhoff et Peter Konwitschny sont également très précis. Essayer de réaliser ce que propose un metteur est toujours intéressant, même quand on n'est pas d'accord avec la direction qu'il prend.

     

    Cela ne vous gêne-t-il pas de chanter Mozart en costumes contemporains ?

    J'ai fait tant de mises en scène modernes. Pour ma première Suzanne à Glyndebourne, nous commencions en costumes modernes et finissions en costumes baroques, en remontant le temps. Il ne s'agit pas tant de savoir à quelle époque appartiennent les costumes, que de mesurer la qualité de l'approche théâtrale, tant que mon esprit et mon instinct sont à même de la comprendre. J'ai porté des costumes horribles, et je ne souhaite à aucun chanteur de devoir jouer contre son costume, mais cela m'importe peu de savoir si la robe que je porte me va. Dans cette production des Noces de Figaro, Christoph Marthaler a voulu montrer des caractères.

    L'opéra n'est plus réservé à des personnes d'âge mûr, et il faut savoir s'adapter à un nouveau public. Je pense à cette phrase de Pierre Boulez qui disait qu'il fallait brûler les maisons d'opéra. D'un autre côté, quelqu'un n'a-t-il pas dit que l'opéra était une espèce en voie de disparition ? Lorsque je vais à l'opéra en tant que spectatrice, des costumes trop modernes peuvent distraire mon attention, mais pas plus que des personnages figés ou dont les mouvements nuisent à la qualité du chant. Je suis avant tout sensible à la sincérité des intentions.

     

    Avez-vous éprouvé des difficultés à passer de Suzanne à la Comtesse dans la même production ?

    J'ai éprouvé le besoin de passer à la Comtesse, car le rôle est plus profond. Suzanne réagit toujours aux problèmes auxquels elle est confrontée, mais son caractère est stable, et son mariage avec Figaro s'annonce heureux. La Comtesse aime le Comte, mais est très préoccupée par ses trahisons continuelles, et commence à y faire face en ayant elle-même une aventure avec Chérubin. Elle n'est pas un personnage larmoyant, qui ne se cesse de se lamenter, mais une femme d'aujourd'hui, qui se bat. Passer de Suzanne à la Comtesse dans la même production n'a pas été évident, notamment au niveau des récitatifs. En arrivant à la première répétition, je m'imaginais que tout le monde me voyait encore en Suzanne ; j'ai donc dû prouver que j'étais la Comtesse. Christoph Marthaler m'a rassurée en me disant que je n'avais pas été Suzanne à Paris, et que je pouvais me sentir d'autant plus libre.

     

    Votre voix a-t-elle changé depuis la création de cette production à Salzbourg, en 2001 ?

    Elle change, ce qui est tout à fait normal aux alentours de la quarantaine : une voix s'élargit, le médium s'épanouit, et j'essaie de développer cela, car ma voix en a besoin. Ce qui ne veut pas dire que je vais brusquement changer de répertoire. L'évolution est progressive, et je choisis attentivement mes rôles. D'autant que ma meilleure période pour l'opéra est à venir. J'affectionne tout particulièrement le récital, et mon goût pour le style y est un grand avantage.

     

    Quelles sont les qualités indispensables pour bien chanter Mozart ?

    La pureté, la qualité du timbre, un bon phrasé, une bonne intonation, une personnalité vocale, et une profondeur de sentiment. Il faut être en phase avec soi-même pour chanter cette musique, parce qu'elle nous parle de notre vérité profonde. Mozart m'est si familier que j'ai le sentiment de l'avoir connu. Lorsque, très jeune, j'ai appris la partie de premier soprano de la Messe en ut mineur, j'ai immédiatement senti que c'était pour moi : tout ce qui était difficile me semblait facile.

     

    Dans les Noces de Figaro version Marthaler, l'accompagnement du « récitativiste Â» influe-t-il sur votre manière de chanter les récitatifs ?

    Cet accompagnement au goût du jour nous permet de jouer davantage avec les couleurs, de manière moins conventionnelle. L'autre jour, ma fille m'a demandé de souffler dans une bouteille, mais je ne suis pas parvenue à en tirer le moindre son. Elle était très heureuse de savoir faire quelque chose que je n'étais pas capable de faire ! L'opéra, c'est la vie de tous les jours ! D'ailleurs, Mozart a écrit de la musique pour glassharmonica, et Jürg Kienberger l'inclut comme une citation. Il en va de même de la mélodie un Autre temps. Un artiste doit être encouragé dans sa créativité. Nous naviguons sans cesse entre deux pôles, l'art et le public, y compris en récital. En effet, je ne peux chanter que des pièces inconnues, mais ne chanter que des mélodies célèbres serait ennuyeux. C'est un combat permanent.

     

    Vous êtes en effet très active dans le domaine du récital. Chantez-vous la mélodie française ?

    J'ai chanté les Fiançailles pour rire et la Courte paille de Poulenc, les Ariettes oubliées et Trois poèmes de Stéphane Mallarmé de Debussy. Ce sont des poèmes fantastiques, mais je n'y suis pas revenu depuis longtemps. En effet, je privilégie toujours le répertoire allemand. Je vais faire un récital de lieder de Robert et Clara Schumann avec Christoph Genz en juin, au Musée d'Orsay. À Paris, je préfère chanter dans ma propre langue, bien qu'un critique français ait beaucoup loué ma diction dans Pelléas et Mélisande à Glyndebourne.

     

    Quels sont les rôles dont vous rêvez ?

    Après la Comtesse des Noces de Figaro, je vais certainement aborder la Maréchale du Chevalier à la Rose, et plus tard peut-être la Comtesse dans Capriccio. Je pourrais aussi chanter Eva dans les Maîtres chanteurs. Je m'en tiens donc au répertoire allemand, mais j'ai tant aimé faire Mélisande, un vrai rôle de théâtre. Dans l'opéra français, je rêverais de chanter Blanche dans Dialogues des Carmélites, parce que le personnage et l'histoire sont fantastiques, et parce que j'aime profondément Poulenc, qui est mort le mois et l'année de ma naissance. Lorsque je vais au Père-Lachaise, je vais sur sa tombe, où il n'y a jamais personne, et je lui murmure : « Francis, je vous adore ! Â»

     

    Le 27/03/2006
    Mehdi MAHDAVI


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