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ENTRETIENS 28 mars 2024

Alexandrina Pendatchanska, une agilité tragique
© Alvaro Yanez

Voix longue, corsée, virtuose et tempérament ardent, la soprano Alexandrina Pendatchanska a toutes les qualités pour ressusciter les fastes du soprano dramatique d'agilité. C'est donc en toute logique que Dominique Meyer lui a confié le rôle légendaire de Sémiramis, à l'occasion du retour parisien de la reine de Babylone après vingt-cinq ans d'absence.
 

Le 18/04/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Avez-vous hĂ©sitĂ© avant d'accepter le rĂ´le de SĂ©miramis, marquĂ© par les plus grandes lĂ©gendes du chant ?

    J'ai toujours voulu chanter Sémiramis, et cette prise de rôle arrive au bon moment. Je chante en effet depuis l'âge de 17 ans, et pense avoir accumulé suffisamment d'expérience pour aborder un tel rôle avec la confiance et la sécurité nécessaires. Le défi consiste à n'en pas douter à succéder aux plus grandes cantatrices des XIXe et XXe siècles, mais j'ai commencé ma carrière avec Esclarmonde, un rôle écrit par Massenet pour un véritable phénomène vocal, et je me suis habituée aux exigences de ce type de vocalité. D'autre part, ma voix n'est pas faite pour Desdémone ou Mimi. Alors soit je chante ce répertoire, en espérant lui rendre justice, soit je reste chez moi.

     

    Quelle a été votre réaction en découvrant l'étendue de votre voix ?

    C'était un peu problématique pour le choix du répertoire. À l'époque, ma voix était beaucoup plus légère, mais elle a beaucoup évolué depuis mes deux grossesses. Bien que mon timbre ait toujours été plus corsé que ceux que l'on associe généralement à ce répertoire, j'ai commencé en chantant des rôles de colorature léger, qui m'ont permis de parfaire ma discipline vocale. Désormais, je suis prête à aborder un répertoire plus dramatique. À cet égard, Sémiramis est un vrai soprano dramatique d'agilité. J'ai déjà chanté Ermione, un autre rôle écrit pour Isabella Colbran, et je m'y sens comme un poisson dans l'eau.

     

    Sémiramis n'en est pas moins souvent associé à des voix légères.

    Si l'on respecte ce qui écrit, le rôle sollicite souvent le bas du registre. J'ajoute quelques suraigus, mais il faut également être capable de chanter les si bémol et les la graves. Je connais des cadences et des variations qui accumulent les aigus, justement pour éluder les graves, mais cette conception ne m'intéresse pas. Dans Lucia di Lammermoor, le public attend la cadence avec le contre-mi bémol, mais elle n'est pas écrite. Lucia n'est pas un soprano léger, mais ce combat est trop difficile à mener. Et si j'ai chanté ce rôle avec les contre-mi bémol, cette période de ma carrière est révolue.

     

    Vos expériences dans le répertoire baroque ont-elle modifié votre approche du bel canto romantique ?

    Je n'avais jamais pensé que ma voix pouvait convenir à la musique baroque, mais René Jacobs m'a dit qu'elle était parfaite pour ce répertoire. En effet, beaucoup de rôles sont écrits pour un soprano avec une couleur sombre, sollicitant à la fois le grave et l'aigu. Ces expériences m'ont beaucoup apporté, aussi bien sur le plan de la discipline vocale que de l'approche du bel canto. Je viens d'enregistrer la Clémence de Titus avec René Jacobs, et il donne aux chanteurs la possibilité de faire beaucoup des variations. À l'inverse, le maestro Pidò a une vision beaucoup plus sobre de ce type de musique, et a coupé pratiquement toutes les variations.

    Sémiramis serait sans doute très intéressant avec des instruments d'époque et une ornementation foisonnante, mais nous devons toujours avoir à l'esprit que Rossini a lui-même écrit beaucoup de cadences, et nous devons les respecter. Je suis donc totalement d'accord avec maestro Pidò, et j'ai coupé les cadences que nous avons l'habitude d'entendre dans les enregistrements de Joan Sutherland. Il en reste quelques unes, mais nous sommes beaucoup plus fidèles à la partition.

     

    Avez-vous écouté des enregistrements pour préparer cette prise de rôle ?

    J'adore l'enregistrement de Joan Sutherland et Marilyn Horne, mais je ne veux plus l'écouter avant d'avoir totalement assimilé le rôle. Auparavant, j'écoutais toujours des enregistrements pour préparer mes rôles, mais j'ai fini par me rendre compte en écoutant Maria Callas que je ne pourrais jamais faire mieux. Je préfère donc avoir ma propre vision, qui ne sera sans doute pas meilleure, mais au moins différente. Si j'écoutais Sutherland ou Caballé, je ne chercherais qu'à les imiter, tant leur chant est divin.

     

    Comment parvenez-vous Ă  faire passer le drame dans une musique aussi purement vocale que celle de Rossini ?

    Tout le secret est là ! Si j'y parviens, c'est que j'aurai bien fait mon travail. Cet opéra a souvent été présenté dans des visions extrêmement décoratives, avec des cantatrices fantastiques. La production de Gilbert Deflo et William Orlandi prend le contre-pied de cette esthétique. Nous sommes seuls face au drame sur un plateau nu. Le grand défi est donc d'aller au-delà des notes, de tout faire passer à travers la voix, le regard, les gestes, sans l'aide du décor. C'est ainsi que je vis le théâtre. Il m'arrive donc de sacrifier la beauté du son – comment pourrais-je donner l'ordre de tuer quelqu'un en ne me préoccupant que de la beauté de la ligne ? D'autant que Sémiramis s'inspire des plus grands mythes tragiques : Œdipe, Oreste et Clytemnestre, ou encore Hamlet sont présents dans cette histoire.

     

    Aviez-vous déjà cette vision du théâtre à 17 ans ?

    Ma mère, Valerie Popova, était chanteuse, et j'ai grandi au théâtre. Je passais mon temps entre les loges, la scène et les coulisses. À quinze ans, je voulais être Aida, et le premier air que j'ai chanté à ma mère pour savoir si j'avais une voix fut Ritorna vincitor. J'ai eu la chance d'avoir quelqu'un pour me freiner, car avec une étendue de quatre octaves, je pensais pouvoir tout chanter, comme la Callas, qui était pour moi le modèle absolu.

    Petit à petit, j'ai commencé à comprendre que je ne pourrais pas faire tous les rôles dont je rêvais à l'époque – Tosca, les véristes –, et je considère à présent qu'il y a bien plus de richesses à découvrir dans le bel canto romantique, le répertoire baroque, et Mozart que dans Tosca. Je peux écouter mille fois la Clémence de Titus, et trouver à chaque fois des choses différentes, alors que Tosca m'ennuie au bout de cinq minutes. Désormais, je rêve de chanter Lady Macbeth, car le jeune Verdi représente l'aboutissement direct des recherches de Rossini et Donizetti.

     

    Est-ce un avantage que d'avoir commencer le chant si jeune ?

    C'est à la fois un avantage et un inconvénient. Ainsi, ma route a été longue et saine, et j'arrive à un moment de ma carrière où je suis encore jeune, avec une voix en parfaite santé, ce qui me permet de voir de l'avant. Mais je suis fatiguée de ce mode de vie, de devoir laisser ma famille. Si j'avais commencé vers la trentaine, je serais sans doute plus ambitieuse et combative. Je connais parfaitement tous les rouages et les dangers de ce métier, et il m'arrive de vouloir rentrer chez moi, à la campagne, tout en sachant que je vais encore travailler quinze ou vingt ans. Je peux admettre qu'il soit vraiment difficile d'arrêter, mais lorsque je vois mes deux filles, j'ai envie de rester avec elle. Et pourtant, quand le rideau s'ouvre, je deviens quelqu'un d'autre : c'est pour cela que ce métier est magnifique.

     

    La vie d'une chanteuse moderne a-t-elle quoi que ce soit de commun avec celle de Stonatrilla, la diva capricieuse que vous interprétiez dans Opera seria de Gassmann ?

    Le vie de chanteuse a beaucoup évolué ces vingt dernières années, car le statut de prima donna à l'ancienne a totalement disparu. Aujourd'hui, c'est le chef, ou le metteur en scène, qui est le primo uomo. Sémiramis n'en est pas moins un rôle de prima donna, et peut-être le suis-je au Théâtre des Champs-Élysées, mais je continue à mener une vie normale et sans caprices, avec mon mari et mes enfants.

     

    Juste après Sémiramis, vous allez chanter Donna Elvira sur cette même scène. C'est un rôle beaucoup moins spectaculaire.

    J'ai beaucoup chanté Donna Anna, qui est un rôle magnifique, mais je me sens désormais prête pour Donna Elvira. C'est un personnage très humain, une femme qui aime, tandis que Donna Anna est beaucoup plus difficile à comprendre, et à aimer. Je n'y suis d'ailleurs parvenue que dans la production d'André Engel, que nous reprenons au Théâtre des Champs-Élysées, et que j'ai créée à Lausanne dans le rôle d'Anna. Elvira est toujours sur le fil, elle symbolise l'amour fou : c'est un personnage absolument tragique.

     

    Quelles sont les rencontres qui ont le plus marqué votre carrière ?

    J'aime apprendre, et je suis reconnaissante envers toutes les personnes qui m'ont transmis les richesses de leur savoir, mais aussi envers ceux qui ont eu confiance en ma voix et mes capacités artistiques, comme Carlo Mayer, qui m'a confié le rôle d'Esclarmonde pour l'inauguration de la saison 1992-1993 du Teatro Regio de Turin, et m'a ainsi permis de rencontrer une personne magnifique comme Janine Reiss. Je citerai également Bruno Campanella, qui m'a tant appris sur le bel canto.

    Ces dernières années, la personne la plus importante a été René Jacobs, qui m'a ouvert un nouveau monde. Alors que je ne comprenais rien à la musique baroque avant de le connaître, je ne me lasse pas d'écouter Giulio Cesare in Egitto de Sartorio, que j'ai chanté il y a deux ans à Innsbruck. Je suis tout aussi reconnaissante envers Dominique Meyer d'avoir été à l'origine de cette rencontre en m'invitant pour Opera seria, et surtout de m'avoir confié le rôle de Sémiramis dans un théâtre où je succède à une légende comme Montserrat Caballé. Et par-dessus tout, j'ai eu la chance d'avoir un maître comme ma mère, qui avait étudié avec la grande cantatrice française Gina Cigna à Palerme, et qui connaissait si bien la voix. La sienne n'était pas grande, mais grâce à son savoir, elle a pu passer de Gilda à Tosca et Leonora de la Force du destin. C'est grâce à elle que je suis là aujourd'hui.

     

    Le 18/04/2006
    Mehdi MAHDAVI


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