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ENTRETIENS 08 mai 2024

Véronique Gens, l'instinct baroque
© M. Ribes & A. Vo Van Tao / Virgin Classics

Égérie des baroqueux, Véronique Gens a longtemps incarné la renaissance de la tragédie lyrique, avant de se consacrer à Mozart. Avec son nouveau récital paru chez Virgin Classics, dont elle reprendra le programme le 16 mai prochain au Théâtre des Champs-Élysées, la soprano française retrouve son naturel de tragédienne.
 

Le 15/05/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu'est-ce qui a ravivé votre désir pour la musique baroque française ?

    J'ai toujours été très triste de ne plus chanter cette musique, car je m'y sens vraiment chez moi. Mais le public a peut-être eu besoin d'être rassuré sur ma capacité à chanter autre chose, et a cru que j'avais délaissé le baroque. Il s'agissait plutôt d'un passage obligé, d'aller montrer ailleurs que je savais faire autre chose, pour pouvoir ensuite y revenir, et faire ce que j'avais envie de faire. Pour avoir le choix, il faut être capable d'élargir son horizon. De toute manière, mon coeur est toujours avec le baroque, cette musique me manque terriblement, et je suis ravie d'avoir fait ce disque.

     

    Vous aviez dit à l'époque avoir pris vos distances avec le baroque français pour des raisons de santé vocale.

    Et je le pense toujours. Il y a en effet beaucoup de choses que je ne peux plus chanter, comme les Leçons de Ténèbres de Couperin, soumises à une sorte d'intégrisme baroque. Ce serait un sacrilège de les chanter avec la voix que j'ai maintenant, car cette musique a une exigence grammaticale qui s'applique souvent au détriment de la voix. Mais il y a tant de possibilités différentes dans le baroque français. Dans Rameau, on peut chanter de manière plus ample, vibrer. Bien que je continue à penser que les sons droits ne sont pas bons pour la voix, c'est un sacrifice nécessaire pour bien chanter cette musique, mais il faut le faire dans une certaine limite. J'ai donc éprouvé le besoin de chanter autre chose pour laisser s'épanouir ma voix plus naturellement.

     

    Comment est né le disque Tragédiennes ?

    Cela faisait très longtemps que j'avais ce projet en tête, et qu'il était en préparation, jusqu'à ce qu'il aboutisse avec Christophe Rousset, qui avait très envie de participer à un projet comme celui-ci. Il m'a beaucoup aidée à établir le programme, car il connaît bien plus de répertoire que moi. Nous avons essayé de bâtir un programme mêlant tubes et raretés, dont certaines n'ont jamais été enregistrées. C'était une manière de boucler la boucle, d'autant que Christophe et moi n'avions pas travaillé ensemble depuis longtemps. Nous avons commencé ensemble aux Arts Florissants. Il me connaît très bien, et a suivi mon évolution comme j'ai suivi la sienne. C'était tout un symbole que de nous retrouver pour faire ce disque.

     

    Comment évolue la vocalité de Lully à Gluck, notamment en ce qui concerne la déclamation ?

    La déclamation est toujours aussi importante, mais l'ornementation devient de moins en moins rigoureuse, de plus en plus libre, car Gluck nécessite davantage d'ampleur vocale que Lully : le texte est beaucoup plus difficile à chanter, car l'écriture est plus lyrique, d'autant que l'orchestre s'est considérablement étoffé. Mais il s'agit avant tout d'une question d'état d'esprit.

     

    Eu égard à votre parcours, certains choix peuvent surprendre, comme l'air de Phèdre, dont la tessiture est plus grave que ce que vous chantez habituellement.

    Ma voix a beaucoup évolué. Il est vrai que j'ai commencé en chantant les bergères, des parties très légères, mais j'étais toujours été persuadée que je n'avais rien d'un soprano léger. J'avais des aigus très faciles et naturels. C'est pour cette raison que William Christie m'a poussée à aller dans ce sens, bien que ces parties n'aient jamais été très confortables pour moi. Soudain, j'ai compris que ma voix était plus grave, et je suis presque devenue un mezzo aigu. Tout ce qui est aigu pour les mezzos, comme Idamante et le Compositeur, me va parfaitement.

     

    Vous venez de reprendre l'Alceste de Lully avec Jean-Claude Malgoire. Vous a-t-il fallu un temps d'adaptation pour retrouver vos marques ?

    Oui, d'autant que je venais de faire Vitellia dans la Clémence de Titus. Avec Jean-Claude, le diapason est à 392 Hz, ce qui change la manière de chanter. Mais les réflexes reviennent vite. C'est une musique que j'ai tellement servie. Quand je chante Vitellia, j'ai besoin de faire attention à ma technique, tandis qu'ici, je peux me concentrer sur le texte, le personnage, et être là avec les musiciens.

     

    Y a-t-il une excitation particulière à interpréter des rôles pour lesquels il n'existe aucune référence ?

    C'est une énorme responsabilité. Comme le public n'a que peu, ou pas de référence, il est prêt à recevoir tout ce que nous lui donnons. Lorsqu'on chante Elvire, il est beaucoup plus difficile d'imposer son point de vue, sa personnalité, sa voix, car il existe tant d'enregistrements merveilleux. Pour le disque Tragédiennes, Christophe et moi nous sommes plongés dans les manuscrits pour replacer les héroïnes dans leur contexte, afin de mieux leur donner vie.

     

    Avez-vous des réticences à chanter Mozart avec des instruments modernes ?

    Je m'y suis habituée, mais j'éprouve encore des difficultés à le faire. Les orchestres baroques sont d'un tel raffinement, leur son est si travaillé, et les musiciens essaient toujours de comprendre ce qui passe, dans le rapport avec la voix, tandis qu'en Allemagne, où je chante beaucoup, les orchestres jouent indifféremment Turandot, Mozart et Wagner d'un jour à l'autre. Mais on ne peut pas leur en vouloir ; ils ont tellement de choses dans les bras, les archets. Il en va souvent de même avec les autres chanteurs. Dès que vous leur dites « baroque Â», ils vous regardent avec des yeux ronds. Il faut savoir s'adapter.

     

    Avez-vous eu des expériences malheureuses avec des metteurs en scène, notamment en Allemagne ?

    On m'a fait faire des choses un peu bizarres, mais jamais complètement catastrophiques. En voyant certaines choses, je me dis néanmoins que nous avons parfois du mérite à être chanteurs par les temps qui courent. Pourquoi ne pas refaire de belles mises en scène classiques ? Pour beaucoup de gens, classique signifie désormais ennuyeux. Mais pourquoi un beau spectacle, avec de jolis costumes et de jolies perruques, serait-il moins bien fait qu'un Mozart qui se passe dans un parking ?

     

    Quelles sont vos perspectives en termes de répertoire ? Vous évoquiez le Compositeur.

    Je l'ai toujours dans un coin de ma tête, tout comme le Chevalier à la Rose. Mais cela se fait surtout en Allemagne, avec des chanteuses allemandes qui maîtrisent parfaitement la langue. J'ai déjà travaillé les airs pour des auditions, mais je n'en passe plus, car je suis une véritable catastrophe dans ce type de contexte. Je préfère attendre les propositions, mais on ne pense pas forcément à moi pour ce genre de choses. Pour le moment, Mozart reste la base de mon répertoire : Vitellia, Elvira, la Comtesse, Fiordiligi, auxquelles je viens d'ajouter Arminda de la Finta giardiniera. J'aimerais aussi chanter Idamante, que j'ai abordé il y a très longtemps avec Marc Minkowski ; et Sesto, qui est idéal pour ma voix. Tous ces rôles, y compris Vitellia, sont écrits dans des tessitures centrales où je me sens très bien. Je chante également beaucoup Mélisande, malheureusement pas en France. J'ai eu du mal à aimer ce personnage, car que je ne le comprenais pas très bien. Mais j'ai fini par en accoucher, et je le maîtrise bien désormais.

     

    Êtes-vous attirée par la musique contemporaine ?

    Cette musique ne me procure aucun plaisir. Je préfère donc la laisser à ceux qui la comprennent, la savourent, et savent bien la chanter. J'ai essayé plusieurs fois, et je ne la comprends pas. Ce n'est donc pas la peine d'insister. J'ai beaucoup d'admiration pour ceux qui la font, mais cette musique est trop intellectuelle pour moi.

     

    La musique baroque française n'est-elle pas aussi intellectuelle ?

    Certainement, mais je suis tombée dedans quand j'étais petite, je ne me pose donc pas la question, et peut-être en aurait-il été de même avec le contemporain. Dans la musique baroque française, tout me paraît évident, et je sais parfaitement ce qu'il faut faire, où, quand et comment. Je me laisse guider par mon instinct, et face à des partenaires qui n'ont pas l'habitude de cette musique, je ne peux m'empêcher de faire des remarques !




    À voir :

    Tragédiennes, extraits de tragédies lyriques de Lully à Leclair, avec Christophe Rousset et les Talens Lyriques. Théâtre des Champs-Élysées, le 16 mai ; Auditorium de Lyon, le 18 mai ; Cité des Congrés de Nantes (Printemps des Arts), le 22 mai.

    À écouter :

    Tragédiennes, extraits de tragédies lyriques de Lully à Gluck, avec Christophe Rousset et les Talens Lyriques, CD Virgin Classics.

     

    Le 15/05/2006
    Mehdi MAHDAVI


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