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ENTRETIENS 29 mars 2024

Pierre Boulez (III) :
Bayreuth et Wagner

Mercredi 3 mai, place Igor Stravinski, sous un radieux soleil de printemps. Pierre Boulez arrive à l'IRCAM avec un bon quart d'heure d'avance, visiblement satisfait que notre entretien puisse commencer bien à l'heure. Le verbe toujours aussi percutant, il évoque Bartók et Ravel, ses relations avec les grands orchestres, Bayreuth et ses projets.
 

Le 25/05/2006
Propos recueillis par Yannick MILLON
 



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    Pierre Boulez (II) : Les orchestres, Mahler, Bruckner

    Pierre Boulez (III) : Bayreuth et Wagner

    Pierre Boulez (IV) : Les grands projets





    Qu'est-ce qui a motivé votre retour à Bayreuth à l'été 2004 pour Parsifal ?

    La séduction de Bayreuth tout simplement, car c'est un théâtre unique. Et comme j'y avais fait mes débuts avec Parsifal en 1966, quand Wolfgang Wagner m'a demandé de revenir diriger la même oeuvre en 2004, il n'a pas eu tellement de mal à me convaincre. Comme je dirige les oeuvres en tant que compositeur, je n'aime pas les diriger trop souvent parce que je m'en lasse. Si une oeuvre ne me dit plus rien à un moment donné, je préfère la reprendre après plusieurs années, et c'est pour cette raison que cela m'intéressait de remettre Parsifal sur le métier après presque quarante ans.

    On dit aussi que seuls les imbéciles ne changent pas d'avis, alors je dois être un parfait imbécile car ma vision sur Parsifal n'a pas changé depuis les années 1960. Seulement, je pense avoir été en mesure de la transmettre beaucoup mieux qu'autrefois, en particulier sur la flexibilité des tempi et le raffinement des sonorités, et j'y ai pris beaucoup de plaisir. J'étais aussi intéressé par le fait de travailler avec une nouvelle génération de chanteurs, et de découvrir la mise en scène de Christoph Schlingensief que j'ai trouvée sinon entièrement convaincante, du moins intéressante par son point de vue complètement nouveau sur l'oeuvre.

     

    Il était prévu à l'origine que ce nouveau Parsifal soit mis en scène par l'Autrichien Martin Kušej.

    Je regrette bien sûr de n'avoir pas pu travailler avec lui, et il m'a d'ailleurs demandé après son désistement si j'étais fâché. Je lui ai dit que non, que si les choses n'arrivent pas, elles n'arrivent pas, point final. Je ne peux lui en vouloir de ne s'être pas entendu avec Wolfgang Wagner sur ce projet. Je n'allais pas en faire une tragédie, et je n'ai certainement pas pleuré des larmes de sang. Du reste, j'ai été très content de travailler avec Schlingensief.

     

    Dont la mise en scène a pourtant soulevé le plus grand tollé à Bayreuth depuis le Ring de Chéreau en 1976. Comment expliquez-vous la bruyante hostilité du public à des idées aussi subtiles que l'envol de Klingsor en fusée ?

    Vous savez, le public d'opéra est souvent horriblement conservateur. On se permet des choses dans le domaine du théâtre, je veux dire avec le texte, qu'on ne ferait jamais à l'opéra. Avant de choisir Chéreau pour le Ring, j'étais en pourparlers avec Peter Stein, qui voulait réduire la tétralogie en deux jours. Je lui ai évidemment dit que ça n'était guère possible car il faudrait arranger la partition, qui ne se laisse pas manoeuvrer si facilement. Il avait aussi l'intention d'intégrer à la scène une passerelle afin qu'une partie de l'action se déroule dans la salle, alors que le théâtre de Wagner est un théâtre de l'illusion. Imaginez s'il avait finalement été d'accord pour faire cette mise en scène à Bayreuth


    Quelle que soit la réaction du public, je ne regrette jamais les expériences scéniques, d'autant que le Ring de Chéreau était très réussi. Et pour moi, avec Kušej et Schlingensief, c'est un peu la même chose qu'avec Stein et Chéreau. Simplement, je n'aurais pas dirigé ce nouveau Parsifal pendant cinq étés. J'ai été très content de le faire pendant deux ans, et maintenant, je passe à autre chose. Je préfère renouveler que ressasser.

     

    Mais toujours à propos de ce Parsifal, il me semble que le public a aussi été très gêné par le décalage manifeste entre votre direction fluide, transparente, épurée et la mise en scène absconse au point de perturber l'écoute musicale.

    Elle est surtout surchargée. Et je comprends bien ce qui a pu déranger, même si personnellement, ça ne m'a pas beaucoup gêné. J'ai été pour ma part séduit par l'idée du syncrétisme religieux, et ne serait-ce que par le décor, déconstruit à la manière de certains tableaux cubistes ou surtout de certaines installations, comme celles de la biennale de Venise ou de Saõ Paulo que j'ai vues récemment. Cela correspond à ce que j'aime en terme d'intrusion de la modernité dans la mise en scène, et que beaucoup de spectacteurs n'ont déjà pas accepté.

    Ce qui était symbolisé par ce décor, Schlingensief a essayé de le transposer dans la mise en scène, où cela est beaucoup plus difficile à imposer. Car des syncrétismes qui se surajoutent les uns aux autres provoquent vite la confusion. Il aurait fallu pouvoir canaliser ces concepts pour les rendre plus forts, plus univoques. Si j'avais continué à diriger ce Parsifal, j'aurais probablement discuté avec Schlingensief pour essayer de filtrer plus étroitement les idées qu'il amenait à chaque fois d'un univers différent : d'Afrique, d'Asie, des sagas nordiques. Car en l'état, il est vrai qu'on ne savait pas toujours sur quel pied danser.

     

    Mais tout de même, déjà peu lisible, la mise en scène sombrait dans la confusion la plus totale en raison d'éclairages constamment plaqués sur le décor, qui empêchaient de distinguer quoi que ce soit sur scène.

    Sur ce point précis, je ne peux pas tellement vous donner mon avis, car dans la fosse, j'avais moi-même un éclairage de pupitre assez fort pour lire la partition, qui m'empêchait de voir exactement ce qui se passait sur scène, et a fortiori de porter un jugement sur le produit fini. À Bayreuth, quand les éclairages sont discrets ou sombres comme c'était le cas pour ce Parsifal, on a depuis la fosse une vision très mauvaise de la scène.

     

    On connaît la loyauté légendaire de Wolfgang Wagner, qui vous avait soutenus Patrice Chéreau et vous-même après la première année du Ring. En a-t-il été de même à l'automne 2004 après la première série du Parsifal de Schlingensief ?

    Vis à vis de moi certainement. Mais je ne pense pas que Wolfgang Wagner aimait beaucoup la mise en scène. Et pourtant, là aussi il a été loyal, il a réinvité Schlingensief en 2005, puis encore pour cet été. Il aurait très bien pu céder aux pressions et supprimer la production. Mais la situation est assez différente du Ring de Chéreau, dont il avait été surpris au départ, puis convaincu au fur et à mesure.

    J'ai assisté à l'époque à des séances d'explication, qui n'ont d'ailleurs pas été si orageuses qu'on a voulu le dire, où régnait une certaine difficulté de compréhension. Wolfgang Wagner a réalisé petit à petit que cette mise en scène était d'une importance énorme. Je pense en revanche qu'il n'a pas eu cette impression avec Parsifal, même au fur et à mesure des représentations et des étés. Il y a eu de part et d'autre des difficultés de langage, de communication, et j'ai dû servir d'intermédiaire pour tenter de rapprocher les deux côtés.

     

    Vous qui avez travaillé à Bayreuth avec des artistes comme Astrid Varnay, Josef Greindl ou Gwyneth Jones, pensez-vous que l'on assiste à notre époque à une pénurie de véritables voix wagnériennes ?

    C'est une chose qu'on a toujours déplorée. Si vous relisez attentivement les critiques des années 1950 sur Varnay ou Greindl, vous retrouverez les mêmes remarques sur une prétendue pénurie. Très peu de chanteurs y ont vraiment échappé, sauf peut-être Birgit Nilsson à l'époque grandiose. Mais très souvent, on a dit à Bayreuth que les chanteurs étaient insuffisants, et cela dès la fin du XIXe siècle.

     

    Vous avez annoncé que cette fois, pour vous, Bayreuth, c'était terminé. Vous n'aurez donc jamais dirigé les Maîtres chanteurs.

    Cela m'aurait en effet beaucoup plu, et c'est un petit regret, mais il faudrait que j'apprenne cette partition, et maintenant c'est trop tard. C'est le premier opéra de Wagner que j'ai vu, lorsque j'étais étudiant à Lyon en 1942, sous la direction d'un bon chef qui était André Cluytens. C'était autant que je puisse m'en souvenir une bonne exécution. Ce premier contact avec un opéra wagnérien m'a énormément impressionné et les Maîtres chanteurs sont restés pour moi une sorte de prototype de Wagner, même bien avant Tristan.

    Il s'agit de son opéra le plus intrigant, le plus mêlé, même si dans Siegfried, il y a aussi le rôle comique de Mime. Chaque fois que je vois les Maîtres, je suis surpris par la variété de la caractérisation des différents rôles et de leur évolution, mais aussi par tout l'éventail expressif de la musique.

     

    Malgré le sujet, dont on a souvent dit qu'il n'était pas le plus passionnant dans l'oeuvre de Wagner.

    Si on en est là, quelle intrigue est intéressante chez Wagner ? Dans le deuxième acte de Tristan, où est l'intrigue ? C'est tout à fait prévisible que le roi Marke étant parti, Tristan et Isolde vont être surpris étant donné que le vilain de l'histoire surveille. L'intrigue la plus originale est encore celle de l'Or du Rhin, où surviennent les événements les plus surprenants. Mais par exemple, que se passe-t-il au deuxième acte de Siegfried ? Presque rien. L'intérêt ne réside pas tant dans l'intrigue à proprement parler que dans la dimension épique, qui n'a pas besoin de surprises à tout bout de champ.






    Pierre Boulez (I) : Bartók et Ravel

    Pierre Boulez (II) : Les orchestres, Mahler, Bruckner

    Pierre Boulez (III) : Bayreuth et Wagner

    Pierre Boulez (IV) : Les grands projets

     

    Le 25/05/2006
    Yannick MILLON


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