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ENTRETIENS 25 avril 2024

Franck Bedrossian, réconcilier l'électronique et l'instrumental

L'un des événements d'Agora 2006 sera la création de Division de Franck Bedrossian. À 35 ans, le compositeur français s'affirme comme l'une des figures à surveiller. Il appartient notamment à une génération pour laquelle l'électronique est partie intégrante de l'écriture musicale, ce qui ne l'empêche guère de mettre en garde contre les lieux communs de l'outil électronique.
 

Le 15/06/2006
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Pouvez-vous évoquer Division, votre nouvelle oeuvre ?

    Elle s'adresse à un ensemble instrumental de dix-sept musiciens, ce qui est, on peut dire, l'effectif « standard Â» pour une formation de musique contemporaine, avec en plus trois solistes qui sont une clarinette basse, une contrebasse et un trombone. La pièce s'appelle Division, il ne s'agit pas d'un concerto, ni d'un concerto grosso. Ma volonté est d'extraire les solistes de l'ensemble de musique contemporaine tel qu'on le connaît, qui est par exemple celui de la Symphonie de chambre de Schönberg.

    J'effectue cette séparation tant pour des raisons acoustiques qu'esthétiques : les instruments solistes entretiennent tous les trois des liens avec la musique improvisée, ce qui n'est pas réellement le cas, par exemple, du hautbois ou du violon. J'ai été amené à jouer quelque peu avec ce que Helmut Lachenmann appelle l'aura de ces instruments, à savoir leur charge culturelle. En termes d'écriture, de sonorités et de traitement électronique leur étant appliqué, il y a évidemment un jeu avec les références – mais j'évite cependant les références trop voyantes. Par ailleurs, je souhaitais extraire de l'ensemble les instruments graves et les mettre au centre. Cela permet, selon moi, de donner à la pièce une identité en termes de spatialisation et de projection du son.

     

    Pouvez-vous préciser ce principe de spatialisation ?

    Tout cela me permet de travailler sur les relations entre fusion et séparation. Dans le groupe de solistes, il y a déjà une division puisqu'on trouve deux instruments à vent face à un instrument à cordes. J'introduis ainsi une division dans la division, obtenant en quelque sorte une division par trois ! En outre, il y a l'électronique qui crée une sorte de trio virtuel, l'électronique qui est omniprésente mais invisible. Finalement, ce que j'ai voulu faire, c'est éviter d'écrire un concerto, de montrer que la séparation des groupes instrumentaux n'est pas liée à une quelconque mise en valeur traditionnelle, de type romantique, des trois instruments solistes.

     

    Quel est, de ce fait, le rôle des solistes ?

    Je tente donc de remettre en question la configuration concertante normale et cela passe notamment par le choix d'instruments solistes liés à d'autres mondes musicaux, ce qui induit une séparation esthétique, et par le traitement électronique. Pour les trois solistes, j'ai fait en sorte dans mon écriture qu'ils soient parfaitement identifiables en tant que vent ou que cordes. Mais par moments, ils ne font plus qu'un seul instrument. D'abord parce qu'ils sont tous les trois des instruments graves, ensuite parce que le traitement électronique vient renforcer cette fusion.

     

    Pouvez-vous décrire le rôle de l'électronique ?

    L'électronique est omniprésente et, comme généralement chez moi, extrêmement écrite car je ne la conçois pas comme une sorte d'ornementation de l'instrumental. Quand je dis que l'électronique est omniprésente, c'est qu'elle occupe le terrain, l'espace. Je trouve que l'électronique est trop souvent perçue comme hostile au monde instrumental. Je considère que ma musique a une capacité dramaturgique qui est encore rehaussée par cette capacité de l'électronique à être partout et nulle part en même temps. C'est cet aspect qui m'intéresse et qui est constitutif de mon projet. L'électronique m'a permis de développer des idées qui, en termes d'écriture instrumentale, étaient déjà présentes. On peut dire que l'électronique m'a permis de renouveler mon rapport à l'instrumental.

    Division est en quelque sorte le troisième volet d'un cycle d'oeuvres pour instruments et électronique qui comprend Transmission pour basson et électronique (2002) et Digital pour contrebasse et électronique (2003). Chacune de ces pièces, à sa manière, interroge le rapport de l'instrumental à l'électronique. Dans Transmission, le basson n'est évidemment pas un instrument lié à l'improvisation, mais l'électronique servait à révéler l'identité sonore du basson. Dans Digital, la contrebasse était traitée dans sa composante percussions, débarrassée de ses partenaires mélodiques et jetée dans un bain d'électronique !

     

    En ce qui concerne l'électronique, vous avez, manifestement, l'intention d'adopter une attitude forte.

    Je pense que ce qui pose encore problème à une très grande partie du public, c'est l'idée que l'électronique puisse être intégrée de manière convaincante à la musique telle qu'il la connaît. On peut dire, à la limite, qu'il y a une sorte de schizophrénie sur ce point : on côtoie quotidiennement des musiques qui sont faites avec l'électronique et cependant, dans les salles de concert, on reste gêné d'avoir de l'électronique avec l'instrumental. Il faut bien dire qu'il s'agit encore d'un terrain d'investigations pour les compositeurs. Selon moi, il faut être très exigeant dans ce domaine car, contrairement à ce que l'on croit, il y a déjà des clichés dans l'utilisation de l'électronique car nous ne sommes pas sur un terrain vierge. On a déjà exploré certaines voies, avec par exemple une électronique finalement assez instrumentale, qui confère à l'instrumental une certaine réverbération ou un prolongement.

    En revanche, les oeuvres où l'électronique s'assume comme sons électroniques, ne sont pas encore très fréquentes. Dans ce type de partitions, l'écriture instrumentale s'en ressent forcément, le son instrumental devenant en particulier très complexe. Ce qui m'intéresse, c'est que son électronique et son instrumental finissent par s'aimer, avec tout ce que cela implique d'ambiguité, de conflit etc. Plutôt que de concevoir l'électronique à partir du son instrumental, donc de le subordonner quelque part à l'instrumental, je souhaite effectuer la démarche inverse, donc partir du son électronique au contact duquel l'écriture instrumentale s'enrichit et se métamorphose jusqu'à ce qu'on parvienne à une unité très forte en terme de projet musical.




    Samedi 17 juin, à 20 heures
    Création de Division
    Centre Georges Pompidou, dans le cadre du Festival Agora Résonances 2006

     

    Le 15/06/2006
    Yutha TEP


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