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ENTRETIENS 25 avril 2024

Yann Beuron, le charme fait ténor

L'atout majeur de Yann Beuron, c'est ce charme physique, vocal, qui, de Rameau à Offenbach, et plus généralement dans tout ce qu'il y a de plus éminemment français, fait des ravages. Pylade dans l'enregistrement de référence d'Iphigénie en Tauride signé Marc Minkowski, il retrouve le chef français dans une nouvelle production de l'ultime tragédie de Gluck au Palais Garnier.
 

Le 15/06/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous considĂ©rez-vous comme le dĂ©positaire de la tradition française du tĂ©nor d'opĂ©ra-comique ou de demi-caractère, notamment illustrĂ©e par le rĂ´le de Wilhelm Meister dans Mignon, que vous venez d'aborder Ă  Toulouse ?

    Absolument pas. D'autant que le ténor de demi-caractère est plutôt une voix lyrique capable d'élans dramatiques, comme par exemple Don José, ce qui n'est pas du tout mon cas. En ce qui concerne Wilhelm Meister, il est très différemment soutenu par l'orchestre que des rôles plus lourds chez Massenet, comme Des Grieux, et ses airs sont plus élégiaques. C'était un pari, parce que le rôle est plus dramatique que ceux que je chante habituellement. Mais je n'ai pas de projets de prises de rôle spectaculaires.

    Sans doute le public ne se rend-il pas compte que les Des Grieux, les Faust ne sont pas pour ma voix : je n'en ai ni la quinte aiguë, ni l'esprit. Et comme je ne suis pas fou à l'idée de chanter ces rôles un jour, cela ne me pose aucun problème. En revanche, j'adorerais chanter Nadir, mais on trouve ce répertoire un peu suranné. Pourtant, imaginez les Pêcheurs de perles avec Ludovic Tézier et Annick Massis !

     

    Qu'en est-il de Mozart et de Rossini ?

    Je donne la priorité au répertoire français, qui m'a ouvert les portes des bonnes maisons d'opéra, mais j'aimerais continuer à chanter Mozart, malgré quelques occasions manquées qui m'ont tenu un peu à l'écart de ce répertoire ces derniers temps. Quant à Rossini, j'en ai surtout chanté au début de ma carrière. Je ne me considère pas comme un rossinien type. En faire de temps en temps m'amuse, mais j'aurais du mal à imaginer ne faire que cela. Il faut aussi avoir le goût de ne chanter que cette musique, car sans la trouver insipide, j'ai besoin de me nourrir d'autre chose. Une musique comme celle de Mignon va de soi, elle nous parle, sans qu'il soit nécessaire d'en rajouter, tant elle est bien écrite. Mais si on me proposait demain de refaire une Cenerentola ou un Barbier de Séville, j'accepterais sans aucun problème.

     

    On vous associe également à l'opérette.

    À l'époque où j'ai fait Orphée aux Enfers, ma collaboration avec Marc Minkowski en était à ses balbutiements. Nous ne nous connaissions pas encore très bien, et l'occasion s'offrait à moi de rencontrer Laurent Pelly. Mais je ne rechanterai plus cette oeuvre. En revanche, Pâris et Fritz sont de vrais rôles de ténor, et la Belle Hélène et la Grande Duchesse de Gérolstein sont des opérettes montées dans le monde entier. Je ne me considère pas pour autant comme un ténor d'opérette, et je n'ai aucune envie de chanter du Francis Lopez, car on est vite catalogué quand on aborde ce type de musique.

     

    Sont-ce Marc Minkowski et Laurent Pelly qui, avec Platée, vous ont amené à aborder Rameau ?

    Avant de faire Mercure, j'avais chanté dans les Indes Galantes avec William Christie. Ce fut une expérience assez mitigée, car je me suis rendu compte qu'il était difficile pour moi de chanter les hautes-contre à la française en prétendant garder un répertoire traditionnel, c'est-à-dire les Ferrando, Belmonte, Don Ottavio et Almaviva avec lesquels j'avais commencé. Mon éducation baroque n'est d'ailleurs pas très poussée, et il ne tiendrait qu'à moi d'apprendre si je décidais un jour de chanter Platée. Pour le moment, je n'en fais pas une priorité. Mais certains rôles de haute-contre à la française m'intéressent, car je pense être en mesure, ayant gagné en maturité, de leur rendre justice, à travers un équilibre idéal entre une voix lyrique et suffisamment légère pour les chanter.

     

    De Guy Chauvet à John Aler, Pylade a été servi par des formats vocaux antagonistes. Où se situe véritablement la vocalité gluckiste, entre la haute-contre à la française et le ténor mozartien ?

    Il n'y a pas de continuité avec le ténor à la française tel que le concevait Rameau. Iphigénie en Tauride marque un changement radical de discours, à tel point que, comparées à la richesse de Rameau, certaines pages de Gluck peuvent sembler peu inspirées. Le rôle de Pylade est extrêmement raffiné ; c'est un personnage sensible, la musique le clame sans cesse, et je ne l'imagine pas chanté de manière héroïque. Je ne sais pas ce que pouvaient en faire Guy Chauvet ou Thomas Moser, qui l'incarnait au Palais Garnier il y a vingt ans. Mais Pylade est particulier, car la tessiture n'est pas meurtrière, véritablement mozartienne. La tessiture d'Admète dans Alceste est plus haute, mais exige un dramatisme qui n'est pas celui de la haute-contre à la française. À cet égard, Georges Thill n'est en rien déplacé dans l'air Bannis la crainte et les alarmes.

     

    Quelle est votre approche de la déclamation gluckiste ?

    Elle est assez simple, car il ne me semble pas que Gluck ait besoin d'être déclamé d'une façon particulière. Il faut d'autant moins en rajouter dans l'emphase que le texte est parfois un peu suranné : nous passons notre soirée à invoquer les Dieux et le ciel ! Plus nous restons proches du naturel parlé, mieux c'est. D'autant que nous abordons l'opéra dans un esprit tout à fait contemporain. Il y a mille façons de dire, et aussi de lire les choses, au-delà du cadre du texte, du lieu, de l'histoire. Nous avons tenté de créer un rapport entre les personnages. On peut fermer les yeux si l'on n'a pas envie de voir que l'action ne se passe pas dans la Grèce antique. Cet opéra est très difficile à mettre en scène, justement parce qu'il ne s'y passe rien, hormis l'expression de sentiments, de tourments, et de doutes qui sont extrêmement lourds à faire passer, sans que l'on puisse compter sur des objets, ou un quelconque décor.

     

    Concevez-vous une ambiguïté dans la relation entre Pylade et Oreste ?

    Il y a entre eux quelque chose d'urgent, d'essentiel et de passionné. Que nous trouvions ou non une vérité dans la façon de l'exprimer, cette relation est très belle, aussi forte que les quelques rares amitiés véritables, ou les quelques amours qu'on peut avoir dans une vie. On peut la rendre ambiguë, bien qu'elle n'ait pas à l'être. C'est une relation charnelle, à laquelle on peut imaginer toutes sortes d'issues, comme un film qui nous bouleverse, mais dont on ne peut vraiment pas savoir comme il se terminera.

    La façon dont ils se parlent dispense d'en dire davantage : l'essentiel est dans ce rapport symbiotique, où l'un est toujours à l'écoute de l'autre. Leur relation me fait finalement penser à celle des héros du Secret de Brokeback Mountain. Il ne s'agit en rien d'une esthétique homosexuelle : on voit simplement que rien dans leur vie ne les a préparés à cela, ils sont à la fois extrêmement brutaux et d'une force bouleversante.

     

    Vous avez enregistré ce rôle en 1999, déjà sous la direction de Marc Minkowski. Comment se fait le passage du concert et du disque à la scène ?

    Avec l'expérience, on se rend compte à quel point on passe parfois à côté du texte, en se contentant de chanter les notes. Au-delà de la simple maturation de la voix, je dois gérer des situations qu'une version de concert ne permet pas de vivre. De plus, Marc Minkowski a d'autres intentions musicales : nous serons sans doute davantage dans la jouissance de la musique, entre les extrêmes d'une approche supra-baroque, comme l'était peut-être trop celle de l'enregistrement, et de la tradition supra-lyrique toujours en vigueur à la Scala.

     

    Dans quelle mesure êtes-vous marqué par votre collaboration avec Marc Minkowski et Laurent Pelly ?

    Je suis marqué par Laurent Pelly dans la mesure où il m'apprend depuis dix ans à me comporter en scène, ce dont je lui sais gré. Il y a pire à notre époque que d'être souvent imbriqué dans le tandem Minkowski-Pelly, car nous avons créé, à notre façon, une certaine manière de concevoir le théâtre lyrique, et ce pour le plaisir d'un certain nombre de spectateurs.

    Quant à Marc Minkowski, je suppose que nous sommes avant tout marqués par la sympathie que nous avons l'un pour l'autre, ainsi que par cette envie que nous avons toujours de travailler ensemble, qui ne s'est pas démentie au bout de dix ans, et qui continue à nous inspirer des projets. Nous avons évolué dans notre façon de concevoir la musique, sans doute avec un certain recul. Je sais la chance que j'ai eue de participer à des projets aussi réjouissants que la Belle Hélène et la Grande Duchesse. Ma place est enviable, et je n'ai pas eu à faire de ronds de jambe pour l'avoir. Je les en remercie.

     

    Le 15/06/2006
    Mehdi MAHDAVI


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