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ENTRETIENS 24 avril 2024

Le passé retrouvé (20) :
Luciano Pavarotti

À l'automne 1974, invité par Liebermann à l'Opéra de Paris, Luciano Pavarotti fait ses débuts parisiens dans la Bohème. Il a pour partenaire Katia Ricciarelli dans la très belle production de Menotti. Avec une dizaine d'années de carrière internationale derrière lui, le tenorissimo est déjà une personnalité hors du commun, même s'il n'est pas encore tout à fait la superstar qu'il deviendra par la suite.
(Entretien réalisé le 20/09/1974 pour le Quotidien de Paris).

 

Le 26/07/2006
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Vous avez l'une des plus belles voix du monde. C'est un don, mais bien utiliser ce don demande aussi beaucoup de travail. Quel est, selon vous, la part des qualitĂ©s naturelles et celle du labeur dans une carrière comme la votre ?

    Depuis pas mal d'années, j'entends beaucoup de chanteurs et j'ai constaté un phénomène étonnant. Certains, dans la salle de répétitions, ont une voix formidable, mais dès qu'ils arrivent sur scène, elle disparaît totalement. C'est une question de projection. Chaque voix doit être bien projetée et si vous ne la placez pas bien, elle ne porte pas. Il ne s'agit pas de crier mais de bien projeter les sons. C'est vrai pour toutes les voix. C'est cela qui s'apprend, et qui est difficile. Heureusement, d'ailleurs, car si c'était facile, il y aurait trop de chanteurs !

     

    Vous pensez que beaucoup de gens ont une voix ?

    Il y en a des millions, mais il faut en faire un instrument apte à chanter l'opéra. Un opéra, c'est long, et il ne faut pas seulement donner de la voix. Il faut le phrasé, la justesse, les nuances, l'interprétation, beaucoup de choses encore plus importantes que la voix elle-même. C'est la maîtrise de tout cela qui fait un chanteur.

     

    Avez-vous un plan de carrière précis ou vous contentez-vous de répondre aux multiples propositions qui vous sont faites ?

    À 19 ans, j'ai commencé à chanter en solo. Derrière chaque partition se trouvait la liste des autres airs d'opéras disponibles. J'ai établi alors un plan très précis des opéras que je chanterais en 1970, 1971, 1972 et ainsi de suite. Jusqu'à présent, tout s'est déroulé selon ce plan. On me reproche parfois d'être paresseux parce que je n'ai pas appris davantage d'opéras. J'en ai quand même appris vingt-deux. Ce n'est pas mal, surtout si je les fais bien, ce que j'espère. J'en ai trois autres en préparation, Luisa Miller, le Trouvère dans un an, et ensuite Guillaume Tell, je ne sais pas exactement quand, mais j'ai une proposition très intéressante.

     

    Est-ce un plaisir d'apprendre une nouvelle partition ?

    Dans la mesure où je les choisis, c'est toujours un plaisir, une découverte, surtout quand c'est une oeuvre difficile. Je ne peux pas oublier la première fois où j'ai chanté les Puritains qui sont aux limites des possibilités humaines. Ce fut une vraie conquête. Pendant une heure, je me suis vraiment senti comme un roi, un conquérant. Pendant une heure seulement, car je suis quelqu'un de très normal. Mais c'était grisant !

     

    Quel type de difficultés préférez-vous affronter ? Des difficultés techniques ou plutôt d'interprétation ?

    J'aime bien les partitions très complètes. J'aimerais par exemple que l'on se rappelle mon nom dans Un bal masqué, qui est l'un des opéras les plus complets du répertoire. On y trouve tout, dans tous les domaines. Par ailleurs, comme je suis un peu cinglé, il y a aussi l'Élixir d'amour, que j'aime énormément. La plupart des grands ténors du passé l'ont adoré aussi, que ce soit Caruso, Tagliavini ou Di Stefano. C'est plein de musique, d'émotions, avec le fameux Una furtiva lagrima, l'un des plus beaux airs qu'on puisse chanter.

     

    Quand vous abordez une partition, comment travaillez-vous l'interprétation ?

    Tout est dans la musique. Le personnage est entièrement présent dans la musique. Quand j'arrive aux répétitions, j'ai donc une idée très précise de ce que je veux faire, mais je suis très ouvert aux propositions du metteur en scène et du chef. Il faut pourtant que je sois convaincu du bien fondé de leurs idées avant de les accepter. Sinon, je refuse.

     

    Avez-vous eu l'occasion de travailler avec des metteurs en scène d'avant-garde comme Maurice Béjart ou Luca Ronconi ?

    J'ai eu deux expériences de productions modernes d'opéras traditionnels. Ce fut un désastre. Je n'ai donc pas très envie de recommencer. Je trouve préférable de rester dans l'esprit du compositeur, car même ainsi, on peut être original et nouveau, comme l'ont prouvé certains grands metteurs en scène. Cela ne signifie pas que j'aime la routine, mais il est rare que ceux qui veulent absolument faire du nouveau aient de vraies bonnes initiatives.

     

    Vous venez chanter la Bohème à l'Opéra de Paris. Rodolfo tient une place particulière dans votre carrière.

    C'est le premier rôle que j'ai chanté, il y a treize ans. Il m'a porté chance et c'est pourquoi je le choisis chaque fois que je débute dans un nouveau théâtre, et notamment ici, dans ce magnifique Palais Garnier que je découvre.

     

    Comment définiriez-vous le personnage de Rodolfo ?

    C'est un caractère éternel. Tous les bohèmes sont des caractères modernes. Ils pourraient tous vivre aujourd'hui ou en l'an 2000. Quand je le chante, j'ai l'impression que je pourrais le vivre comme ma propre vie.

     

    Chanter à Paris est-il toujours un moment important dans une carrière.

    Les carrières prennent de l'importance, mais les hommes restent les mêmes. Pour moi, je chante toujours comme si c'était la première fois. Maintenant, je suis forcément un peu plus sûr de moi, car je commence à avoir de l'expérience, mais je suis certain qu'avant la première, pendant que je me maquille, je serai aussi excité et anxieux que pour mes débuts.

     

    Quels rôles français chantez-vous ?

    J'ai chanté Des Grieux, mais en italien, ce qui était une erreur. On doit chanter dans la langue originale. Dans ce cas, il manquait tout le charme de la langue française. C'est pareil pour tous les opéras. La musique est conçue par chaque compositeur en fonction de la sonorité de la langue du livret. J'ai chanté la Fille du régiment dans sa version originale en français et c'est beaucoup plus beau ainsi. J'adore le répertoire français et j'espère chanter l'an prochain dans Carmen en français. Je pourrais faire Faust aussi. Il n'y a que pour Guillaume Telle que la version italienne ne change pas grand chose. Elle est même parfois meilleure pour la voix. Mais si on me demande de le chanter en français, je le ferai. Cela n'implique aucun changement de style, puisque c'est le même compositeur.

     

    Travaillez-vous toujours beaucoup ?

    Absolument tous les jours, sans exception ! Dans notre métier, malheureusement et heureusement, on n'a jamais fini de travailler. Progresser est l'une de nos grandes satisfactions. Il faut toujours affiner le style, la voix, la prononciation, la musicalité. Jusqu'au moment où on s'arrête!

     

    Ne pensez-vous pas que la vie que mènent aujourd'hui les chanteurs, avec tous ces voyages, est dangereuse pour la voix ?

    Ce n'est pas trop bon ! Si vous regardez comment cela se passait à la grande époque, il y a une cinquantaine d'années, il fallait un mois pour aller en Amérique et autant pour en revenir. C'étaient de merveilleuses vacances. Aujourd'hui, on peut chanter à Sydney un jour et à New York le lendemain. Il faut donc que les chanteurs soient préparés à ce type de vie, d'autant que le public est de plus en plus exigeant. Il voit beaucoup de spectacles au cinéma, à la télévision. On explique comment il faut chanter tel rôle, avec des exemples des plus grands interprètes. Les points de comparaison se multiplient et, sans aucun doute, les gens sont bien plus difficiles à contenter.

     

    L'essor du marché du disque n'est-il pas un danger qui fausse un peu le jugement du public ?

    La manière dont les disques sont faits fausse certainement beaucoup de choses et la scène apporte des imperfections qui n'existent plus à l'enregistrement. Mais elle est aussi beaucoup plus vivante et les prises de son en direct, pendant les spectacles, bénéficient de cette vie particulière, plus intéressante que la froideur des studios. Certaines voix sont d'ailleurs toujours plus belles en vrai qu'au disque. Il ne faut donc pas écouter un disque et un spectacle de la même manière.

     

    Pouvez-vous dire quelles sont partenaires préférées ?

    C'est difficile Ă  dire car j'ai eu beaucoup de partenaires et je ne voudrais blesser personne. C'est vrai que je me sens plus en phase avec certaines d'entre elles. Elles se savent, et c'est suffisant !

     

    On parle beaucoup d'une crise de l'opéra. Y croyez-vous ?

    L'opéra connaît certainement des problèmes de financement, car il faut des spectacles de plus en plus sophistiqués. Quant au genre lui-même, je suis convaincu que l'on ne pourra jamais s'en passer. C'est la forme la plus complète de spectacle et on voit bien que les salles sont remplies de jeunes complètement passionnés.

     

    Comment vivez-vous votre grande popularité ?

    Je n'y pense guère. C'est un aspect de mon travail qui ne m'intéresse pas beaucoup. Quand je suis en scène, je m'efforce de chanter le mieux possible, et je ne sais jamais à l'avance comment je vais être accueilli. Je n'ai jamais chanté à Paris, et je ne sais pas quel succès j'aurai. Je sais seulement que je ferai de mon mieux pour ne pas décevoir et bien servir la musique de Puccini.

     

    En dehors de la musique, vous sentez-vous concerné par une autre forme d'expression artistique ?

    Je donnerais ma main droite pour savoir peindre
    sauf que je ne pourrais plus peindre ! J'adore la peinture, toute la peinture. J'ai beaucoup de tableaux chez moi, et je donnerais, sinon ma main droite, dix ans de ma vie pour être capable de peindre. Mais profondément, c'est la musique que je préfère, toutes les musiques, même si l'opéra vient en premier. Après la peinture et la musique, c'est le sport que j'aime le plus. J'étais très sportif avant de faire du chant. Je ne peux plus jouer au football comme dans ma jeunesse, mais il y a quelques jours, j'ai fait deux heures de tennis
    et j'ai d'ailleurs bien du mal à bouger depuis, car je n'avais pas joué depuis deux ans. Mais j'ai gagné !




    À suivre...

    La semaine prochaine : Luca Ronconi

     

    Le 26/07/2006
    GĂ©rard MANNONI


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