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ENTRETIENS 29 mars 2024

Catherine Naglestad, soprano phénomène
© Hans Horst Bauer

Vitellia incendiaire à l'aigu chauffé à blanc au Palais Garnier, Alcina surdimensionnée à la sensualité morbide à l'Opéra de Lyon, Catherine Naglestad brûle les planches et les notes dans les répertoires les plus divers. Elle offre à Paris sa première Salomé, qui risque bien d'être torride. Rencontre avec un phénomène.
 

Le 18/09/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Ne faut-il pas être un phénomène pour chanter à la fois Alcina et Salomé ?

    Je ne les chante heureusement pas dans la même semaine ! Et j'ai fait Tosca entre les deux ; c'est une sorte de développement naturel ! Je choisis mes rôles en fonction de mon aptitude à les chanter, et de mes affinités avec le personnage. Et je prends surtout garde à mon emploi du temps. Je ne peux pas chanter Salomé immédiatement après Rodelinda, tout simplement parce que je n'utilise pas mes muscles de la même manière. C'est pourquoi je continue à voir mon professeur : une oreille extérieure est toujours nécessaire, quelle que soit notre expérience du métier.

     

    Aviez-vous une idée précise des rôles que vous vouliez aborder au début de votre carrière ?

    Je savais que je chanterais Violetta et Norma un jour, et je m'en servais comme exercices vocaux, mais j'étais encore trop jeune pour les aborder à la scène. En revanche, je ne pensais pas du tout à Haendel, dont je ne connaissais rien à l'époque de mes études. Lorsqu'on m'a proposé Alcina, j'ai dû me rendre à la bibliothèque pour voir de quoi il s'agissait. Je suis très heureuse d'avoir eu cette opportunité. Quant à Salomé, on me l'avait déjà proposé il y a treize ans, mais j'étais encore trop jeune, et je ne chanterais sans doute plus aujourd'hui si j'avais accepté. Ce métier demande une grande capacité d'adaptation, particulièrement lorsqu'on est un chanteur indépendant.

     

    Vous chantez ici votre première Salomé.

    Et j'ai beaucoup de chance, car le chef, Hartmut Haenchen, dirige cette oeuvre depuis toujours, et il m'est d'un grand soutien. Son interprétation d'une grande clarté, qui permet d'entendre chaque ligne instrumentale, n'a rien à voir avec cette vague sonore déferlant sur certains enregistrements.

     

    Birgit Nilsson disait qu'il y avait deux catégories de Salomé : celles qui dansent le rôle, et celles qui le chantent.

    Je ne suis pas danseuse !

     

    Dans la production d'Alcina de Jossi Wieler et Sergio Morabito, présentée à Lyon en mai dernier, vous sembliez n'avoir aucune limite en tant qu'actrice, d'une totale liberté avec votre corps.

    Il a fallu beaucoup de douceur au metteur en scène pour en arriver là. Il est beaucoup plus facile d'être à moitié nue dans le feu de la représentation qu'en répétitions, lorsque vous n'êtes ni tout à fait vous-même, ni tout à fait le personnage, d'autant que je suis d'une nature très réservée. Pour cette reprise de Salomé, le chorégraphe d'origine est revenu pour tenter de faire de moi une danseuse crédible. Il m'a très bien expliqué la symbolique de cette danse, qui révèle les sept couches de la conscience, l'idée de s'exposer non par exhibitionnisme mais pour atteindre l'essence même de la personnalité. Salomé s'y prête avec un mélange d'innocence envers Jochanaan, et de rage, d'amertume vis-à-vis d'Hérode.

     

    Quel est le plus grand défi vocal de Salomé ?

    La plus grande difficulté de cette production est de chanter derrière la cage de Jochanaan, car les barreaux sont un obstacle entre le chef, le public, et moi. La relation n'est pas directe, et il est parfois délicat de ne pas se laisser aller à chanter plus fort et à pousser. D'autre part, il faut être très endurant : on sue sang et eau durant la danse, et il faut encore chanter après ! Et tout ce monde dans la fosse ! J'essaie d'être calme, car si je voulais lutter, je ne pourrais que perdre ; les musiciens peuvent tout à fait me couvrir s'ils le veulent. Birgit Nilsson a dit qu'il était inutile de vouloir se faire entendre à certains moments dans Salomé. Il me semble que le maestro Haenchen parvient ici à un bel équilibre avec l'orchestre.

     

    Vous évoquiez à propos de Salomé ce mélange d'innocence et d'amertume. Comment exprimez-vous cette ambivalence, à la fois sur le plan physique et vocal ?

    Je ne sais pas s'il s'agit d'une ambivalence, ou plus simplement de différentes facettes. Au début, il est dit que personne ne peut comprendre ce que dit Jochanaan, car il parle par énigmes, mais Salomé le comprend, justement parce qu'elle est suffisamment ouverte, et innocente. Il doit y avoir en elle une délicatesse qui réagit de manière très forte à la laideur et au bruit. Jochanaan est son oasis. Pour faire passer tout cela à travers la voix, je m'appuie avant tout sur la technique, et je suis allée voir mon professeur pour lui demander des conseils. D'autre part, j'essaie d'être totalement dans l'instant, car on trouve souvent la bonne couleur en laissant pénétrer l'émotion. Cette adolescente a également beaucoup de colère en elle.

     

    Avez-vous eu des difficultés à vous glisser dans la peau d'une adolescente ?


    à 40 ans ! Ne lésinez pas sur le maquillage ! Si j'avais accepté le rôle il y a treize ans, je m'en serais sans doute sentie plus proche. Mais ce qui compte, c'est de pouvoir bien le chanter, et dépeindre ses émotions. Peu importe qu'elle ait 13 ou 20 ans !

     

    Salomé est à bien des égards un rôle dangereux. Ne craignez-vous pas de vous laisser submerger ?

    Peut-être sur la prochaine production, ou même après quelques représentations, mais pour le moment, je suis trop concentrée. Hier, nous avons travaillé trois heures avec l'orchestre, et nous avons de nouveau répété dans la soirée. Ce matin, nous avons fait un filage, et je pouvais encore chanter. Les représentations ne pourront qu'être faciles comparées à ces deux derniers jours. Certes, l'énergie, la tension sont différentes, mais c'est toujours un défi que de dépasser cette crainte du filage à dix heures du matin après avoir chanté toute la journée la veille. Si j'avais dû me perdre, c'eût été aujourd'hui. Mais j'avoue qu'il est très difficile de se retrouver nez à nez avec la tête de Jochanaan. En vérité, c'est absolument répugnant. Puis finalement, on s'en moque, on s'habitue. Les répétitions sont justement là pour dépasser ce type d'appréhensions. Si je n'avais vu la tête qu'aujourd'hui, ce serait difficile, mais je croise son regard depuis des semaines.

     

    Après Salomé, n'importe quel rôle devrait vous paraître léger.

    Norma est aussi effrayante, et Tosca a pas mal de rage à exprimer. Je ne pourrais pas chanter Salomé tout le temps, au risque de devenir folle, mais il en irait de même si je chantais du Haendel à longueur d'année. Il faut varier les plaisirs !

     

    Salomé représente-t-elle une ouverture vers d'autres rôle straussiens, ou peut-être même Wagner ?

    Je pourrais sans doute mieux répondre après la cinquième représentation. Je ne souhaite pas changer radicalement de répertoire. Je veux toujours être capable de chanter Verdi, Puccini, les véristes, qui sont la base de mon répertoire, mais aussi Haendel et Mozart, bien qu'on ne m'en propose plus. Je chanterai peut-être un ou deux rôles wagnériens et straussiens. Chez chaque compositeur, je m'en tiens aux rôles qui me vont. D'ailleurs, les idées viennent plus souvent des agents et des directeurs de théâtres que de moi. Je me réserve le droit de refuser.

     

    Et comment revient-on à Alcina après avoir chanté des rôles beaucoup plus lourds ?

    J'étais un peu inquiète, car avant les représentations lyonnaises d'Alcina, j'avais chanté Alceste et Norma. C'est une bonne discipline que de revenir à une émission plus concentrée. Cela m'a beaucoup aidée. Le même contrôle est d'ailleurs nécessaire pour chanter Salomé, mais avec une mise en place musculaire totalement différente.

     

    Écoutez-vous des enregistrements quand vous étudiez un rôle ?

    J'écoute absolument tout ce qui me tombe sous la main, depuis les plus vieux enregistrements, et je les mets de côté lorsque je commence à travailler avec mon coach et mon professeur. Mais les disques permettent de s'interroger sur certaines difficultés, notamment les respirations. En ce qui concerne Salomé, j'ai écouté Inge Borkh, Astrid Varnay, Birgit Nilsson, Inga Nielsen. Mais dans un tel opéra, la vision du chef d'orchestre est déterminante, et je ne voulais pas me fixer sur telle ou telle interprétation. Inge Borkh, qui vient souvent à l'Opéra de Stuttgart, m'a envoyé la plus belle lettre qui soit. Elle m'a écrit que si les anges pouvaient chanter, ils auraient la même voix que moi dans le Trouvère. J'étais absolument stupéfaite qu'elle ait simplement pris le temps de m'écrire. J'ai gardé sa lettre, et en ai envoyé une photocopie à toutes mes connaissances ! Qu'Inge Borkh prenne le temps de m'écrire, c'est extraordinaire !

     

    Le 18/09/2006
    Mehdi MAHDAVI


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