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ENTRETIENS 24 avril 2024

L'Autre Côté de Bruno Mantovani

L'édition 2006 du Festival Musica à Strasbourg propose un vaste portrait de Bruno Mantovani, sans doute l'un des compositeurs les plus en vue et les plus prolixes du moment. Au sein de cette rétrospective figure la création très attendue du premier opéra de Mantovani, l'Autre Côté. Rencontre avec un créateur qui, assurément, sait ce qu'il veut.
 

Le 12/09/2006
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Comment s'est effectué le choix d'un livret pour votre opéra ?

    Le livret a d'abord été choisi avec François Regnault par élimination de ce qu'on ne voulait pas faire. Ensuite, nous avons cherché un livre qui corresponde à notre cahier des charges : un opéra politique, qui ne serait pas datable et connoté, ou qui pourrait être remis au goût du jour. Ce devait aussi être un opéra avec une collectivité – car politique –, où il y aurait un héros ballotté par plusieurs choses. François m'a alors proposé l'Autre côté d'Alfred Kubin et à la lecture, cela s'est imposé comme une évidence. Ensuite, pour ce qui est du texte, j'ai travaillé sur le découpage et sur une éventuelle dramaturgie que j'ai envoyée à François. Il a essayé de s'y tenir car il estimait que mon découpage était basé sur des préoccupations musicales ; il a ensuite écrit le livret lui-même.

     

    Votre oeuvre possède des dimensions assez importantes quant à sa longueur : était-ce initialement prévu ?

    Oh que non ! J'imaginais une oeuvre d'environ 1 h 30 ou 1 h 45, je ne pensais pas qu'elle se transformerait en un tel mastodonte. L'opéra dure en fait 2 h 30 et comporte deux actes. À vrai dire, j'ai connu un moment de panique car je ne pensais pas pouvoir écrire plus d'1 h 30 de musique en une année, mais plus la composition avançait... Je me demandais : dans les pseudo-récitatifs, devait-on écouler du texte, donner toutes les précisions et rester elliptique et énigmatique? Mais si l'on veut être elliptique et énigmatique à la fin, il faut être très précis au début. Le prologue qui est chanté et parlé correspond à lui seul à quarante-cinq minutes de musique, simplement pour planter le décor. L'oeuvre a donc pris des proportions gigantesques, malgré moi, même si maintenant je suis fier de l'avoir fait.

     

    Les personnages de votre opéra sont très largement masculins : comment avez-vous traité cette caractéristique ?

    Ce fut assez compliqué. Le livre de Kubin et le livret qu'on en a tiré n'avait qu'un personnage féminin, lequel mourait à la moitié de l'histoire. Comme je ne voulais pas faire un opéra avec uniquement des hommes, j'ai décidé de travestir un des personnages et d'utiliser une voix de contre-ténor. Mais la femme, c'est Madame Kubin, qui est très différenciée du dictateur qui s'appelle Patéra ; lui est très dictatorial, majestueux, et elle plus mélodique et ornementale.

    À ce sujet, l'ornemental est surtout porté pour moi par le quart de ton et touche à quelque chose d'orientalisant. Pour l'écriture ornementale, le modèle reste instrumental ; c'est ce que j'ai essayé de développer dans plusieurs pièces, particulièrement pour clarinette et clarinette basse, j'essaie de créer des mélodies qui ne sonnent pas comme des mélodies traditionnelles mais sonnent un peu orientales grâce à l'utilisation de la micro-tonalité.

     

    Vous avez choisi le français, dont l'utilisation pose des problèmes d'ordre esthétique à certains de vos confrères hexagonaux.

    Il est vrai qu'il est toujours plus facile d'écrire dans une langue étrangère. Car quand on est dans sa langue maternelle, une pudeur s'installe. Dans une langue étrangère, même que l'on parle couramment, on peut parfois se déconnecter du sens et ne plus se focaliser sur lui. Dans sa langue maternelle, le sens est forcément là et il devient parfois gênant de comprendre ce que les gens disent. Prenons les chansons américaines : on y dit « I love you Â» pendant deux heures et pour nous, Français, cela fonctionne très bien : on arrive à oublier que ça veut dire « Je t'aime Â» ; si on le chantait en français, cela deviendrait ridicule.

     

    Vous nous avez dit, il y a quelques temps, que vous aviez trouvé une écriture vocale proposant une alternative nouvelle vis-à-vis du chanter-parler à la française traditionnel.

    Il y a énormément d'intermédiaires entre les prosodies extrêmes que sont celles du bel canto et les prosodies parlées telles que nous les utilisons en ce moment. J'ai essayé d'en utiliser un grand nombre. Pour régler le problèmes des « e Â» muets et autres, je fais chanter vite sur le modèle des tons parlés. Les instruments au début ont permis d'établir des relais entre le parlé, le parlé en notes répétées et le chant. Le prologue de l'opéra a une sorte d'introduction avec une voix off parlée, et avant les premiers mots chantés, il y a une période avec une clarinette basse jouant sur des notes répétées qui imite en quelque sorte le français, l'idée a vraiment été de créer des intermédiaires.

     

    Sur le plan musical et de manière générale, écrire un opéra est-il pour vous plutôt un tri ou une synthèse de toutes vos manières ?

    J'ai dû faire un travail d'épuration. À l'opéra, on doit être plus évident que dans une symphonie, ou dans le Lied ou la mélodie, et il faut laisser la place au texte, à la mise en scène, laisser de l'espace à une musique qui va être représentée. On ne peut pas tout suivre en même temps. Mais je n'ai pas de regrets, car je me suis octroyé des petits interludes musicaux dans lesquels j'ai pu m'amuser comme un fou. Je n'ai donc pas du tout ressenti cette réduction comme une frustration.

     

    Qu'en est-il de votre orchestre ?

    C'est un grand orchestre symphonique. Si la nomenclature est traditionnelle – avec un piano en plus –, à l'intérieur de l'orchestre, j'essaie de conserver mon originalité à moi, dans l'écriture, c'est-à-dire de travailler sur des choses soit très doublées – à l'allemande –, soit sur des sons très bruts, donc de créer un conflit à l'intérieur de cet orchestre qui, éventuellement, n'est pas démocratique. Si tous les instruments sont sur le même plan, on a une texture homogène qui se forme ; il s'agit au contraire de créer dans un orchestre des plans superposés, parfois très complexes. Mon écriture instrumentale varie selon les situations, dans une dynamique d'accompagnement, de résonance.

    Outre l'orchestre, il y a aussi les Percussions de Strasbourg placés dans la salle, qui viennent créer un double fond quasiment électronique, c'est-à-dire qu'entre l'espace très déployé et la multiplication d'un même instrument, on arrive à créer des couleurs véritablement inouïes. Depuis 2000, c'est une de mes préoccupations constantes, car l'espace peut être générateur de contrepoint. Les Percussions de Strasbourg qui sont présentes dans la salle sont comme des instruments de l'orchestre mais aussi des instruments qui, n'ayant pas la même situation géographique, peuvent troubler notre perception, et donc générer soit du conflit soit de la continuité.

     

    Outre l'opéra, vous avez aussi la création d'une cantate, qui s'appelle simplement Cantate n° 1. N'est-il pas délicat de gérer deux créations vocales dans la même manifestation ?

    Deux oeuvres vocales de surcroît très différentes car l'une tend vers la représentation et l'autre vers le poème. La cantate est une oeuvre à l'élaboration difficile. Je l'ai écrite en 2002, elle n'a pas été créée pour diverses raisons et quand il a été question de la créer au Festival Musica, je me suis rendu compte que la partition était mauvaise ! Je l'ai réécrite après mon opéra mais la conception date de 2002. C'est une cantate assez dramatique.

    Mon point de départ pour ma cantate a été Schubert mais aussi un poème de Rilke, qui est aussi un esprit un peu du XIXe siècle. Mon rapport à la tradition n'a rien de nostalgique. Il n'y a rien de pire que la nostalgie. C'est plus un rapport moteur : partir d'une oeuvre de Schubert pour faire quelque chose qui n'a strictement rien à voir avec Schubert, comme un point de départ, comme une aspiration première. Ce dialogue avec l'histoire est constant dans mon travail mais il n'est pas de l'ordre du musée. Il ne s'agit pas de dire: « C'était mieux avant ! Â»

     

    Avec une troisième création mondiale à la clé


    L'autre pièce qui sera créée au cours du même concert, le 22 septembre, s'appelle Quelques effervescences et le titre est très descriptif de la matière musicale : c'est une pièce sur les dégustations de champagne. J'ai essayé de prendre les caractéristiques gustatives de certains vins et de les transposer avec la musique. Il s'agit forcément d'une pièce très animée parce qu'on part de vins pétillants, effervescents. Puis si un vin a tel caractère, par exemple, un vin exubérant avec de petites bulles, la musique sera très dans l'aigu, avec une espèce de luxuriance ; un vin qui aurait un arrière blanc, un derrière aromatique de type fruit sec, aura une musique dont la texture ira vers un médium un peu voilé.

    Pour le reste, c'est vraiment du terme à terme, bien qu'il s'agisse tout de même d'un travail de compositeur et qu'on puisse donc oublier la notion de vin. Il est compliqué d'écrire une musique qui soit tout le temps hystérique, de créer dix minutes de musique qui soient totalement pétillantes et d'y inscrire des ruptures. Ce sont donc des séquences séparées, même si des signaux viennent annoncer la partie suivante. Sans cela, je serais tombé dans le piège du catalogue.

     

    Votre catalogue de compositeur sera largement représenté à Musica : comment est venue l'idée de ce portrait ?

    L'opéra a été commandé par l'Opéra de Rhin, mais j'ai des affinités très fortes, humaines, avec Dominique Marco – c'est vraiment un camarade –, il a voulu accompagner mon opéra de quelque chose, afin que cela ne soit pas un one shot, et il est venu écouter beaucoup de musique, dont la création de mes quatuors à Rome, et petit à petit, cela s'est transformé en portrait. Il y a une part affective, qui explique par exemple que les oeuvres de musique de chambre soient jouées par des ensembles dont je suis proche, par exemple le Trio Modulations et le Quatuor Danel.

    Les concerts d'ensemble étaient déjà définis avant que l'idée de portrait apparaisse, donc je n'ai pas pu inviter des ensembles ou des orchestres amis. J'ai vécu cette rétrospective comme quelque chose qui s'est construite peu à peu. Mais l'idée de rétrospective est une réflexion permanente chez moi, dès que je commence une pièce. Et comme j'écris beaucoup, que j'ai une cinquantaine d'oeuvres à mon catalogue, j'essaie de réfléchir constamment pour me renouveler.

     

    Le 12/09/2006
    Yutha TEP


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