altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 29 mars 2024

Christoph Prégardien, savant Titus
© Rosa-Frank.com

Christoph Prégardien est-il un grand Titus ? Très rare à l'opéra, cet artiste admirable, évangéliste historique et Liedersänger inspiré, en parle en tout cas avec science, éloquence même, à l'occasion de la reprise de la production intemporelle des Herrmann à l'Opéra Garnier.
 

Le 25/09/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • JĂ©rĂ´me Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumĂ©

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • Pourquoi ĂŞtes-vous si rare sur les scènes d'opĂ©ra ?

    J'ai chanté beaucoup d'opéras sur scène dans les années 1980 et au début des années 1990, avant d'être accaparé par les concerts et les récitals. Comme les théâtres ont tendance à ne faire appel qu'aux chanteurs du circuit, je n'ai plus vraiment eu l'occasion de monter sur scène. Je suis très heureux que l'Opéra de Paris ait pu me demander suffisamment à l'avance si j'étais libre pour une si longue période, pour la première de cette Clémence de Titus et sa reprise.

     

    Était-ce une prise de rôle ?

    Oui, car Titus est destiné à un ténor ayant déjà atteint une certaine maturité. Un jeune ténor lyrique chantera plutôt Belmonte, Ferrando, Tamino, avant d'aborder des rôles comme Titus et Idoménée, qui réclament un sens dramatique et une expérience de la caractérisation scénique beaucoup plus développés. Car Titus est aussi difficile sur le plan scénique.

     

    Les airs de Titus sont Ă©crits dans un style moins moderne que ceux de Sextus et Vitellia. Cela isole-t-il davantage encore le personnage ?

    Titus est très solitaire, c'est la rançon du pouvoir ; il doit prendre des décisions et en assumer les conséquences seul. Mais cet opéra traite de la solitude de tous les personnages : à la fin, Sextus, Vitellia, et même Publius, qui aurait préféré voir Sextus exécuté, se retrouvent seuls, ils vont tous dans des directions opposées, à l'exception de Servilia et Annius. La musique de Titus peut sembler démodée, et ses airs sont assez monochromes comparés aux grandes scènes de Vitellia et Sextus, avec leurs récitatifs accompagnés, et ces airs qui s'ouvrent sur une partie lente et s'achèvent par des coloratures virtuoses. C'est pourquoi Titus remporte moins de succès auprès du public que Vitellia, Sextus, et même Servilia. La musique que Mozart a écrite pour ce rôle est difficile à interpréter, et parfois difficile à comprendre pour le public.

     

    En fait, Titus semble n'exister qu'à travers les récitatifs.

    Cela me semble un peu réducteur, car les récitatifs, et plus particulièrement les récitatifs secs, ne constituent pas un sommet de l'écriture mozartienne, tout simplement parce qu'il ne les a pas écrits lui-même, et que cela s'entend parfois. Dans la plupart des productions, les chefs font beaucoup de coupures, mais l'année dernière, Sylvain Cambreling a insisté pour que nous en gardions le plus possible, afin qu'ils enrichissent notre perception du caractère des personnages. Ceci représente un défi pour l'interprète de Titus, bien qu'il ait de beaux ensembles, comme le trio et le finale du deuxième acte, ainsi que ses airs, qui sont assez courts, mais permet surtout de matérialiser son parcours psychologique à travers tout l'opéra.

     

    Ne peut-on établir un parallèle entre l'initiation de Tamino et le parcours de Titus ?

    À la fin de la Flûte enchantée, Tamino est toujours le jeune homme inexpérimenté du début, bien qu'il soit plus conscient de ce qui l'entoure. Titus est un homme mûr, un guerrier, avec des idées arrêtées sur l'exercice du pouvoir. Il revient de la guerre et se remet en question : il veut qu'on se souvienne de lui non pour ses exploits militaires, mais pour sa clémence. Il est déjà dans cet état d'esprit lorsque l'opéra commence. Et il se retrouve face une épreuve : son meilleur ami a voulu l'assassiner. Pour un guerrier, la réaction normale serait de prendre un couteau, et de le tuer, mais Titus résiste à son instinct, prend cette décision en son âme et conscience, ce qui est très moderne. La forme de l'opera seria était sans déjà démodée en 1791, mais les personnages ont déjà acquis un sens très dix-neuvièmiste de la responsabilité individuelle.

     

    Dans le livret, Titus pardonne à Sextus, mais le finale tel que l'ont conçu les Herrmann montre le contraire.

    S'ils avaient montré Titus pardonnant à tous comme si de rien n'était, la situation ne serait pas réaliste. Il pardonne à Sextus en le laissant en vie, mais il est clair qu'ils devront s'éloigner l'un de l'autre, et que leur amitié est détruite. La structure musicale ne dit pas le contraire : Titus chante seul contre tous les autres, qui ne sont pas d'accord avec lui. Sextus aurait sans doute préféré mourir, et Vitellia ne voit plus aucun sens à sa vie, puisqu'elle a anéanti toutes ses chances d'accéder au trône. Cette fin n'est heureuse qu'en apparence.

     

    Comment expliquez-vous que le mise en scène des Herrmann, créée il y a près de vingt-cinq ans, soit toujours aussi forte et moderne ?

    Certaines productions du début des années 1950 et 1960, notamment les grandes productions de Wieland Wagner à Bayreuth, sont toujours des références. Cette mise en scène est encore moderne car elle ne prétend pas à une quelconque actualité. Le décor, la direction d'acteurs sont très classiques, et les Herrmann ont eu soin de reprendre eux-mêmes leur travail avec chaque nouvelle distribution. Ils n'ont pu revenir pour cette reprise, car ils répètent une nouvelle production de la Clémence de Titus à Prague, mais leur assistant Joel Lauwers nous a beaucoup aidés.

     

    Votre vision du rĂ´le Ă©volue-t-elle en fonction de vos partenaires ?

    On est évidemment influencé et inspiré par ses partenaires. De plus, j'ai chanté ce rôle pour la première fois l'année dernière, et mon interprétation a évolué, non seulement pendant les représentations, mais en la laissant reposer. En retravaillant Titus pour cette reprise, de nouvelles choses me sont venues à l'esprit, et dans la voix. Bien que j'aie désormais atteint une certaine maturité, ce rôle est encore nouveau pour moi, et mon interprétation ne constitue en rien un achèvement. J'espère pouvoir chanter Titus plus souvent afin de le mûrir encore.

     

    Y a-t-il des rôles que vous voudriez aborder avec le poids de la maturité ?

    Quand j'écoute ma voix, il est clair qu'elle restera lyrique. Je n'aborderai donc pas de rôles plus héroïques. Titus est souvent distribué à des ténors plus dramatiques ; c'est une question de goût, mais il n'en faut pas moins voir ce rôle à travers le regard de Mozart, et non de Berlioz, Tchaïkovski ou de qui sais-je encore. C'est un rôle classique, et il en va de même pour Florestan, qui est le plus souvent distribué à des voix trop lourdes.

    Tout dépend évidemment du volume de l'orchestre, mais à l'Opéra Garnier, cela n'est pas un problème, car l'acoustique est très belle, et ma voix développe des harmoniques qui passent très bien la rampe. Je pense que Titus est un très bon rôle pour moi. Je voudrais également chanter Idoménée, des rôles de caractère dans des opéras de Britten, du Haendel, et aussi Max du Freishütz, que j'ai enregistré sans l'aborder à la scène, mais ce rôle constitue ma limite dans une perspective plus dramatique.

     

    Travaillez-vous différemment le Lied et l'opéra ?

    Il faut évidemment beaucoup plus de temps pour étudier un rôle d'opéra, mais le type de travail est le même. Je commence par la musique, puis le texte, j'essaie de chanter le rôle ou la mélodie et de forger mon interprétation. Beaucoup de mélodies sont très lyriques, et il n'est pas si différent de chanter un rôle d'opéra et de donner un récital dans une grande salle comme le Théâtre des Champs-Élysées. D'un point de vue technique, la palette de nuances est aussi étendue. En revanche, je me sens beaucoup plus responsable en récital : je suis seul avec un pianiste, tandis que sur scène, les partenaires, le chef peuvent me venir en aide. La concentration est aussi très différente. Mon expérience de récitaliste m'a beaucoup apporté pour l'opéra, et inversement. D'ailleurs, que ce soit en concert ou en récital, on peut tout de suite voir et entendre si un chanteur a l'expérience de la scène.

     

    Cela vous pèse-t-il d'être considéré comme un spécialiste, que ce soit de Bach ou de l'interprétation du Lied avec instrument d'époque ?

    Durant mes Ă©tudes, je chantais aussi bien la musique ancienne que contemporaine. J'ai Ă©tĂ© Ă©levĂ© en Allemagne dans la grande tradition romantique, et nous chantions Bach, Haendel et Mozart avec des orchestres et des choeurs gigantesques. Les interprĂ©tations « authentiques Â» ne sont venues que bien plus tard. Le public s'est forgĂ© une image de moi Ă  travers mes disques, la presse, Internet, qui me classent parmi les baroqueux, comme un spĂ©cialiste de Schubert, ou de Bach, mais je ne me considère absolument pas comme tel. Ce sont diffĂ©rentes expĂ©riences.

    Mon répertoire est très vaste ; c'est l'avantage de la voix de ténor lyrique. Avec une voix plus dramatique, on reste cantonné à un répertoire très particulier. Ben Heppner, à la base un ténor lyrique, est un chanteur pour lequel j'ai beaucoup d'admiration, mais peut-il encore chanter Mozart ? Une voix de ce type peut très bien rendre les passages les plus dramatiques d'Idoménée, mais peut-elle affronter les coloratures de Fuor del mar ? Pavarotti et Domingo s'y sont essayés, mais Idoménée a été écrit en 1781, et Titus en 1791, pour une voix agile capable d'élans dramatiques, à l'instar de Tamino et Ottavio.

     

    Le 25/09/2006
    Mehdi MAHDAVI


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com