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ENTRETIENS 29 mars 2024

Jon Villars, ténor colossal
© Eric Mahoudeau

Pas une Ariane à Naxos ne s'est faite sans lui ces dernières saisons, et surtout sans qu'il y fasse sensation. C'est que stature et voix colossale, envahissante même, Jon Villars est en Bacchus l'évidence même. Le ténor américain se mesure de nouveau à Énée dans la production des Troyens présentée à l'Opéra Bastille en hommage à Herbert Wernicke.
 

Le 09/10/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Par votre voix comme par votre stature, vous semblez né pour affronter des rôles impossibles comme Bacchus dans l'Ariane de Strauss. Était-ce une difficulté à vos débuts ?

    La difficulté vient des attentes des personnes qui ne connaissent ni votre voix, ni votre personnalité. Je me suis toujours considéré comme un ténor lyrique, à l'instar de mon professeur, et il était sans doute plus sain de le penser à l'époque. D'ailleurs, je ne rêvais pas du tout de ce répertoire, mais c'est dans cette direction que ma voix m'entraîne, et je dois la suivre. Cela génère pas mal de stress, à cause de la difficulté de la musique, de l'équilibre qu'il faut trouver dans un rôle comme Bacchus, vingt minutes de musique aussi belle que peu gratifiante. Je ne me suis jamais dit que j'avais une grosse voix, et j'essaie de chanter de manière lyrique. Je me tiens à l'écart de Wagner, parce que beaucoup de gens pensent que c'est ce je devrais faire. Lorsqu'un chef m'entend, il me propose Siegfried et Tristan, mais ma tessiture est plus haute que celle de la plupart des ténors héroïques.

     

    Strauss n'aimait pas les ténors. Cela se ressent-il dans son écriture ?

    Il les détestait. Bacchus est difficile pour tout le monde, mais la hauteur de ma tessiture me permet de le chanter avec une relative facilité, si je fais attention et si tout va bien. On peut très facilement forcer et se mettre en danger dans un rôle comme celui-ci, mais j'ai la chance que ma voix s'y épanouisse vraiment. Sans doute Strauss ne l'aurait-il pas écrit comme cela s'il me l'avait destiné ! Je dois d'ailleurs dire que je ne l'aime pas beaucoup, mais il m'a ouvert les portes des plus grands théâtres. Je ressens donc comme l'obligation de le chanter, même si j'aimerais me consacrer davantage à d'autres rôles.

     

    Énée est sans doute plus lyrique que tonitruant, ne serait-ce que par son ascendance gluckiste.

    Je ne suis pas historien de la musique. Je sais seulement comment j'aimerais le chanter, en me référant au personnage. Énée est le fils de Vénus, un guerrier et un prédicateur ; son timbre se doit d'être héroïque. Sa voie est tracée, rien ne peut l'en distraire. Les grands interprètes du rôle ne sont d'ailleurs pas des ténors lyriques. Néanmoins, le duo Nuit d'ivresse est écrit dans la zone la moins confortable de sa tessiture, contrairement à Didon. Dieu merci, Deborah Polaski, qui chante Didon, a une aussi grande voix que la mienne, et je ne serai pas obligé de trop alléger, sans pour autant renoncer à la délicatesse nécessaire.

     

    Énée est un rôle assez épisodique. Comme parvenez-vous à en garder le fil ?

    Le rôle n'en est pas moins long. Hormis le premier air, qu'il faut attaquer à froid, les deux premiers actes ne sont pas si difficiles. Mais je dois trouver mon rythme de croisière, et surtout rester concentré, car la plupart des rôles que je chante ne sont pas aussi longs. Je profite des pauses pour me désaltérer, manger, me relaxer, sans jamais oublier que je vais devoir chanter de nouveau. Le troisième acte n'est guère plus difficile, contrairement au duo Nuit d'ivresse et à la scène finale, périlleuse vocalement et émotionnellement.

     

    Vous reprenez cette production, créée à Salzbourg en 2000, en hommage à Herbert Wernicke. Comment se déroule le processus de recréation ?

    La relation de travail que j'ai développée avec Herbert est sans doute la plus belle de ma carrière, parce qu'elle ne se limitait pas aux répétitions. Le processus se poursuivait autour d'un verre ou d'un dîner, durant des conversations extraordinaires. Il avait une idée très précise du personnage, du but ultime de sa mission, de ses croyances et de la rigidité qu'elles impliquent, tout en restant extrêmement flexible : si quelque chose ne fonctionnait pas avec l'un d'entre nous, il le changeait. Je me rends à présent compte de tout ce que j'ai oublié. Nous avions tant parlé du personnage ensemble que travailler sur la même mise en scène avec quelqu'un d'autre constitue un défi. Herbert me manque, et je suis très heureux de reprendre cette production à sa mémoire.

     

    Chanter Berlioz à Paris est-il un défi supplémentaire ?

    Je pense que mon français chanté est suffisamment bon. Les Parisiens sont particuliers, mais je ne m'en inquiète pas trop, car nous avons un très bon coach. D'autant que la langue française met ma voix en valeur. J'y trouve davantage de couleurs que dans n'importe quelle autre langue. Mon père est basque, j'ai ces sonorités dans le sang. Je ne chanterai jamais assez cette langue.

     

    Avez-vous d'autres opéras français à votre répertoire ?

    J'ai débuté dans Werther, qu'on ne me propose malheureusement plus. Mais je n'aurais sans doute pas accepté si j'avais su à quel point ce rôle était difficile. J'ai une passion pour le répertoire français. Je vais chanter mon premier Samson à Miami au printemps prochain. Je pense également à la Juive, qu'on ne m'a pas encore proposée. C'est une aubaine que de pouvoir m'éloigner un peu du répertoire allemand où on me distribue systématiquement. Mais cela a peu d'importance tant que je ne chante pas que du Strauss ! Je n'en suis pas moins impatient de reprendre l'Empereur de la Femme sans ombre, que j'ai chanté à la Monnaie de Bruxelles en juin 2005, à l'Opéra Bastille.

    On m'a beaucoup proposé le rôle-titre de Benvenuto Cellini. J'ai encore regardé la partition avant mon départ pour Paris, et c'est totalement fou ; je ne veux pas me faire une chose pareille. J'aurais pu il y a quelques années, mais je n'en ai simplement pas eu le courage. J'aimerais aussi chanter Verdi, mais encore une fois, on m'imagine difficilement dans le répertoire italien. C'est d'ailleurs pour cette raison que je ne chante pas encore Wagner, car une fois que j'en aurai fait un, j'y serai condamné pour toujours.

     

    Vous ne pourrez pourtant pas l'éviter éternellement !

    Après avoir systématiquement rejeté l'idée de chanter Wagner, je commence à envisager cette possibilité ; j'ai acheté des partitions, je les regarde. Le temps viendra, mais je veux explorer le plus de choses possibles avant de m'y lancer. Je ne sais pas encore quels rôles me conviendraient. Lohengrin m'irait sans doute très bien, Erik ne serait pas difficile. Je ne sais pas quelle est la tessiture exacte de Tristan, mais ma voix prend du corps dans le médium et le grave. Parsifal est un rôle court, j'y pense, sans pour autant éprouver le désir pressant de m'y mesurer.

     

    Écoutez-vous des enregistrements pour préparer vos rôles ?

    J'en écoutais beaucoup durant mes études. Désormais, j'écoute toutes sortes de musiques, excepté de l'opéra, car cela me rappelle trop le travail. Je n'ai de toute façon jamais écouté beaucoup de ténors, parce que je suis très difficile en la matière. C'est pourquoi je n'ai pas d'affinités avec les wagnériens. Je ne peux pas en nommer un seul qui ait selon moi une belle voix. Je ne veux offenser personne, mais cela ressemble la plupart du temps à un grognement poussif et désagréable. Il y a sans doute des exceptions, mais je ne les ai pas entendues. Être qualifié de Heldentenor est pour moi une insulte, car je ne veux pas avoir ce type de voix ! D'ailleurs, je préfère les voix de femmes.

     

    Vous êtes-vous finalement résigné à l'idée qu'on ne vous proposerait sans doute plus Rodolfo ?

    Je dois absolument le chanter de nouveau ! Je ne sais pas où, ni avec qui – Alessandra Marc peut-être ! Je n'ai pas de regrets, je reçois beaucoup de propositions, et je suis très reconnaissant à ceux qui m'engagent. Certes, j'aimerais un peu plus de variété, faire des choses un peu plus ordinaires, mais je ne m'en soucie pas. Tout comme on ne me proposera plus certains rôles que j'aurais encore pu chanter il y a cinq ans.

    Pierre Boulez m'a demandé de faire le Requiem de Berlioz. Je n'avais jamais entendu que des ténors lyriques le chanter. Tout le monde a évidemment poussé des hauts cris, mais Boulez connaissait ma voix et savait ce qu'il voulait. J'étais terrifié, mais il m'a dit de le chanter avec ma voix. Peut-être n'était-ce pas dans la norme, mais ne devons-nous pas avant tout nous référer à la conscience que nous avons de nos propres moyens et de ce qu'ils nous permettent de faire ?

     

    Le 09/10/2006
    Mehdi MAHDAVI


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