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ENTRETIENS 26 avril 2024

Rosemary Joshua, ou les délices d'une haendélienne émue
© Alvaro Yanez

Pétillante, délicieuse Suzanne, petite renarde rusée, malicieuse même, Rosemary Joshua est avant tout une haendélienne née, sacrée Sémélé de sa génération par la production iconoclaste de Robert Carsen. Qui mieux que la soprano britannique pouvait incarner Cléopâtre dans la nouvelle production du Théâtre des Champs-Élysées, confiée à Christophe Rousset et Irina Brook ?
 

Le 12/10/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Il semble que vous chantez Haendel depuis toujours.

    Sa musique convient très bien à la flexibilité de mon soprano lyrique léger. Il y a en outre une grande tradition haendélienne en Angleterre. J'ai non seulement étudié un grand nombre de ses oeuvres durant mes études, mais ai vu ses opéras à l'English National Opera, où je n'ai d'ailleurs chanté que Sémélé. C'est sans doute ce qui a fait jaillir l'étincelle !

     

    Parmi les rôles de soprano haendélien, Cléopâtre n'est-il pas le plus varié ?

    C'est le meilleur. Aussi merveilleux soit-il, Sémélé reste un rôle d'oratorio. Le voyage intérieur de Cléopâtre est beaucoup plus développé. Dans les huit airs qu'il lui a composés, Haendel explore toutes les facettes de cette femme extraordinaire, aussi sexy qu'intelligente et manipulatrice. Dans son premier air, elle joue avec son frère Ptolémée, sans la moindre sincérité : elle n'a qu'une ambition, monter sur le trône. Mais petit à petit, les autres facettes de son caractère se dévoilent.

    Sa rencontre avec César est une étape cruciale. Pour la première fois, elle se retrouve face à son équivalent masculin. Elle ne peut lui résister et commence à fendre sa cuirasse de femme dure et forte, finalement très masculine. Elle met beaucoup de sincérité dans le spectacle qu'elle lui organise, car elle veut qu'il tombe amoureux d'elle. Dans , le trouble émotionnel atteint son paroxysme. Cette musique, sans doute la plus belle que Haendel ait jamais écrite, vous prend aux tripes !

     

    Cléopâtre est donc littéralement vaincue par César.

    Il doit être très beau et très séduisant ! Non seulement leurs volontés de puissance s'attirent, mais César lui révèle son humanité : lorsqu'elle apparaît sous les traits de Lydie et lui expose la situation à laquelle Ptolémée l'a réduite, il est immédiatement prêt à la sauver, alors même qu'elle ne se fait passer que pour une suivante de Cléopâtre. C'est une chose tout à fait nouvelle pour elle, habituée à la froideur des grands personnages qui l'entourent. Cette facette de la personnalité de César, qu'il ne montre d'ailleurs que rarement, crée entre eux une alchimie, comme deux pièces d'un puzzle qui s'assemblent.

     

    La forme du théâtre haendélien, l'opera seria, est-elle compatible avec un théâtre contemporain, comme peut l'être celui d'Irina Brook ou de Robert Carsen, qui vous a mise en scène dans Orlando et Sémélé ?

    Il s'agit en effet d'une forme très spécifique, et qui est loin d'être évidente. Il est très difficile de soutenir l'attention, et la tension, dans un air de quatre minutes où l'on répète sans arrêt la même chose, comme dans le vide. La rhétorique qui consiste à renforcer l'idée principale à travers le da capo est d'autant plus délicate à traduire et à rendre intéressante sur une scène de théâtre.

    Certains metteurs en scène ont font trop, parce qu'ils craignent que le fil soit rompu, mais il est clair que le chanteur doit communiquer directement avec le public. Dès la première attaque de l'orchestre, Haendel devient le maître des émotions, et peu importe, d'ailleurs, que les spectateurs ne comprennent pas l'italien. Cette forme doit donc être respectée ; c'est pourquoi l'opera seria constitue toujours un grand défi pour les metteurs en scène.

     

    Certains ne s'embarrassent pas de scrupules, et coupent allégrement dans les da capi, voire des airs entiers.

    Il est nécessaire de couper quand l'opéra est long, et Haendel le faisait lui-même, mais chaque air a sa raison d'être dans la structure globale : la juxtaposition d'un air léger et d'un air de bravoure est nécessaire à la respiration de l'oeuvre, le charme succède à la tension. S'il y a trop de coupures, on perd le fil, mais c'est assez difficile à comprendre pour un metteur en scène, parce qu'il veut rester en plein coeur de l'intrigue.

     

    Comment réagissez-vous quand un metteur en scène ne respecte pas cette structure ?

    Quand un metteur en scène propose quelque chose, il est très important d'essayer, même plusieurs fois. Je suis très flexible, mais ma personnalité n'en est pas moins forte. Alors si cela ne marche pas, je lui demande de me convaincre autrement ; s'il en est incapable, je refuse. Les metteurs en scène ont une vision globale de l'opéra ; nous devons la respecter, et être prêts à entrer dans leur monde. Si je me sens inhibée par ce qu'ils me demandent, ils s'en rendent compte tout de suite, parce que le confort des chanteurs est important pour eux.

    Irina Brook est avant tout une femme de théâtre, et travaille dans l'instant, davantage à partir du texte et des situations que de la musique. Cette flexibilité est très stimulante pour nous qui sommes habitués à suivre les ordres d'un metteur en scène pour nous couler dans un concept préétabli – c'est plus clair, plus rapide, plus facile, mais certainement moins intéressant que de développer les choses ensemble.

     

    Avez-vous élaboré l'ornementation avec Christophe Rousset ?

    Je chante sous la direction de Christophe pour la première fois – ce qui est tout à fait ridicule, étant données toutes les oeuvres de Haendel que j'ai abordées dans ma carrière –, mais je connais bien son travail et le respecte beaucoup. Je préfère modeler mon ornementation en fonction de ce que nous trouvons ensemble, et de nos goûts respectifs. Si j'arrivais avec une ornementation toute faite, je n'aurais pas la flexibilité nécessaire.

     

    Quels sont les rôles haendéliens que vous aimeriez aborder à l'avenir ?

    J'aimerais chanter Romilda dans Serse, car si le rôle n'est pas passionnant, la musique est très belle. Et Alcina, évidemment, qui est écrite pour la même voix qu'Angelica dans Orlando, dans une tessiture toujours très haute, alors que Cléopâtre navigue sans cesse entre le grave et l'aigu. J'ai abordé Ginevra dans Ariodante, qui est un rôle très sérieux comparé à Cléopâtre et Sémélé. Je m'amuse beaucoup en jouant les coquettes, mais le parcours émotionnel de Ginevra est vraiment très intéressant.

     

    Grâce au directeur du Théâtre des Champs-Élysées, Dominique Meyer, le public parisien a découvert que vous ne chantiez pas que Haendel !

    Je suis connue comme chanteuse haendélienne, et il m'est très agréable d'être considérée comme l'une des meilleures interprètes de ce répertoire. Mais il est aussi intéressant pour un artiste d'essayer autre chose –autrement la vie serait un peu triste. En principe, je suis très prudente, et ne fais que très peu de choses qui s'éloignent de mon univers, mais j'aime être provoquée ! L'année prochaine, par exemple, je vais chanter Amenaide dans Tancredi de Rossini, dont je n'avais jusqu'à présent abordé que la Comtesse Adèle du Comte Ory dans le cadre de mes études.

     

    Mais ce Tancredi sur instruments d'époque, qui marque les débuts de René Jacobs dans Rossini, risque bien de ne pas être tout à fait comme les autres.

    Et c'est bien pour cette raison que René a choisi des chanteurs venant de la musique baroque. Je ne sais pas ce qu'il nous proposera, mais il sera certainement très enrichissant de développer ensemble le style qui convient. Il y a davantage de liberté chez Rossini que chez Haendel dans l'ornementation et les cadences, mais ils n'en sont pas moins proches quant à la virtuosité et à la discipline. Ce sera d'autant plus intéressant pour René qu'il veut toujours tout contrôler.

     

    Avez-vous le sentiment d'une continuité entre l'opera seria haendélien, mozartien et rossinien ?

    Haendel est pyrotechnique, tandis que Mozart est très technique, et Rossini beaucoup plus lyrique. Dans Mozart, l'expression est déjà dans la partition, et il n'est guère besoin d'en rajouter, alors que Haendel fait appel à l'imagination pour donner vie à cette musique merveilleuse.

     

    Auriez-vous aimé avoir une voix gigantesque de soprano dramatique ?

    J'en rêve toutes les nuits ! Brünnhilde ! La Forza del Destino ! Mais j'aurais préféré une voix de mezzo dramatique, pour chanter Ulrica ! En vérité, j'aime Puccini et Verdi, et ai beaucoup d'admiration pour ceux qui chantent cette musique, mais elle me touche beaucoup moins que la musique baroque et Mozart. J'ai la chance de servir un répertoire où je peux clairement exprimer mes émotions, du moins je l'espère.

     

    Le 12/10/2006
    Mehdi MAHDAVI


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