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ENTRETIENS 20 avril 2024

Laurent Naouri, des basses lullystes aux barytons Verdi

Sous l'inspiration de Marc Minkowski, Laurent Naouri a longtemps été identifié à ces emplois ramistes et offenbachiens dont il reste l'insurpassable titulaire. Hier Falstaff à Lyon, aujourd'hui Belcore de l'Élixir d'amour à la Bastille, demain Germont, et sans doute Rigoletto, le baryton français lorgne même vers Wagner et Strauss. Récit d'un parcours hors norme.
 

Le 07/11/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Comment avez-vous réussi à déterminer la tessiture de cette longue voix qu'est la vôtre ?

    Il s'agissait avant tout d'un problème de couleur. Lorsque j'ai commencé, ma voix montait très difficilement dans l'aigu, mais je n'ai jamais eu une vraie couleur sombre de basse, comme Nicolaï Ghiaurov. Un certain nombre de personnes que j'entendais dans le chant français étaient pour moi soit des ténors paresseux, et donc barytons, soit des barytons paresseux, et donc basses.

    Ce côté un peu académique que j'ai toujours eu me faisait dire que même si je n'arrivais pas encore à monter, je ne serais pas satisfait de moi si je ne parvenais pas à avoir les aigus qui correspondaient à cette couleur que j'entendais – que je n'étais d'ailleurs pas seul à entendre –, contrairement à la majorité, qui pense qu'un chanteur de 27 ans qui ne monte pas au-dessus du fa ne peut être qu'une basse, même si la voix est claire. Beaucoup de jeunes chanteurs se considèrent ainsi, parce qu'ils n'ont pas eu la détermination suffisante, ou parce qu'on ne leur a pas fait sentir qu'il était possible de développer leur voix jusqu'au bout. Et à 40 ans, ils n'ont généralement plus ni graves ni aigus.

     

    Est-ce pour cette raison que vous vous êtes tourné vers le répertoire baroque ?

    J'ai commencé là où je pouvais. Même si ma voix n'est pas sombre, j'ai la chance d'avoir toujours eu beaucoup de grave, c'est-à-dire que je descends beaucoup plus bas que bien des basses, et même une quarte en dessous si cela me chante. Mon agent m'a présenté Marc Minkowski, et il est vrai que je pouvais chanter ces emplois. La clarté de la voix faisait qu'on comprenait ce que je disais, tandis que son extension dans le grave me permettait d'atteindre des notes parfois absurdes à des diapasons très bas. Pendant longtemps, j'ai donc pris des emplois de baryton-basse, tout simplement parce que je pouvais les chanter. Mais cela n'a jamais été bêtement alimentaire, dans la mesure où j'étais très content de faire certains rôles.

    De toute manière, l'appareil humain est fait de telle manière que la frontière entre baryton et baryton-basse est peuplée de personnes dont le répertoire est déterminé par un choix plutôt que par une catégorie précise à laquelle elles appartiendraient. Je me trouvais moi-même sur cette frange, d'autant que j'ai longtemps eu des problèmes de reflux gastro-œsophagien, très courants chez les chanteurs depuis une quinzaine d'années, avec, une à deux fois par an, des crises que je ne savais pas comment traiter, et qui m'empêchaient de monter au-dessus du mi. Heureusement, certaines personnes m'ont fait confiance, ce qui a permis de débloquer les choses, bien que cela me reste encore collé à la peau, et que des faits objectifs justifient certains jugements qui ne prenaient évidemment pas ces éléments en compte.

     

    N'avez-vous pas craint d'être cantonné au répertoire français ?

    On a toujours peur de cela. Deux Belges, Serge Dorny et Gerard Mortier, m'ont heureusement donné des chances, ainsi que la direction de l'Opéra de Santa Fe, qui a fait autre chose que de me donner des Contes d'Hoffmann et Pelléas et Mélisande, ne seraient-ce que d'autres emplois dans le répertoire français. Si j'avais dû compter sur les directeurs français pour le faire, il y a en effet longtemps que j'y serais cantonné. J'ai fait Falstaff à Lyon, et vais le refaire à Santa Fe. Certaines personnes ont peut-être un peu plus d'imagination, ce qui me permet de travailler dans d'autres sphères.

     

    Ainsi, Belcore de l'Élixir d'amour est souvent distribué à des barytons plus clairs.

    Je sais que je ne corresponds absolument pas au profil du Belcore habituel. Mais la façon dont Laurent Pelly a décidé de le caractériser n'y correspond pas non plus : il le tire vers la caricature, très assumée, brutale, et le personnage n'est pas gentil du tout. Cela plaît ou pas, mais après tout, ce n'est pas tellement mon problème. Il s'agit plutôt pour moi de plaire au directeur du théâtre, pour qu'il ait envie de me réengager – c'est fait –, et au metteur en scène, pour qu'il veuille retravailler avec moi – c'est fait aussi ! Ce dont je suis content, c'est que lorsque Evelino Pidò l'a vu, il était très heureux de le refaire avec moi l'automne prochain. D'ailleurs, je ne sais pas qui est le public. Je fais donc en fonction de mes interlocuteurs.

     

    Le répertoire italien figure-t-il parmi vos principaux objectifs ?

    J'ai fait Roberto Devereux, Falstaff, je vais chanter Germont en 2009, et on m'a proposé Rigoletto, que j'aurais accepté si j'avais été libre.

     

    Les grands emplois verdiens ne vous font pas peur ?

    Celui qui dira qu'ils ne lui font pas peur est, à mon avis, le dernier des crétins ! Ils me font peur, mais je me sens désormais capable de les affronter. Cela ne paraîtra peut-être pas tout à fait immodeste si je dis que nous ne sommes pas cinquante sur terre à bien chanter Golaud : j'ai confiance dans ce que j'y fais, car j'ai bien rencontré le personnage. Mais ce n'est pas parce que je suis pratiquement sûr de ne pas être le Rigoletto du siècle que je n'ai pas envie de m'y mesurer.

    Si je ne chantais que les rôles où je suis champion du monde, je resterais à la maison ! Et je ne progresserais pas vocalement. Je sais en tout cas que les italiens qui m'ont entendu dans Roberto Devereux étaient très contents, et même certains collectionneurs de disques. Ce qui veut dire que même si je ne suis pas le grand spécialiste de ce répertoire, je n'y parais pas déplacé.

     

    Ces perspectives sont-elles compatibles avec le répertoire baroque français en termes de vocalité ?

    Elles le seraient beaucoup moins pour une soprano. Juste avant Il Tabarro de Puccini, je vais faire Castor et Pollux, certes en concert, mais avec Gardiner, ce qui veut dire que je vais le chanter à peu près soixante-treize fois en une semaine. C'est le seul grand Rameau que je n'ai pas encore fait, et je suis d'autant plus content de l'aborder avec quelqu'un dont je garde un souvenir inoubliable : lorsque les accords des Troyens ont résonné pour la dernière fois, je me suis dit que je n'allais plus entendre Berlioz joué de cette manière avant très longtemps.

    Mais en ce qui concerne le baroque, j'ai désormais davantage de projets, et d'envies, dans le répertoire italien. J'espère que nous allons finir par faire, avec Emmanuelle Haïm, les cantates inchantables du jeune Haendel comme Nell'africane selve, que nous sommes assez peu à pouvoir chanter, à l'instar du Polifemo d'Aci, Galatea e Polifemo, ainsi que des Stradella du même genre.

    Ces pièces exploitent non seulement la longueur de ma voix, mais on y trouve en même temps une incroyable sauvagerie harmonique. J'ai toujours envie de demander à Haendel pourquoi il s'était à ce point embourgeoisé dans les récitatifs de sa période anglaise. Je préfère le garçon de 20 ans qui débarque à Rome, avec ses fusées et ses enchaînements d'accords qu'on relit deux fois pour être sûr qu'il ne s'est pas trompé.

     

    Appréhendez-vous de reprendre Golaud avec le même chef, le même orchestre, et dans le même théâtre où a eu lieu en 2000 cette inoubliable version de concert de Pelléas et Mélisande, cette fois en version scénique ?

    Je n'affronte pas le souvenir. D'autant qu'il ne faut pas se méprendre sur ce Pelléas : s'il y a une chose géniale, c'est l'Orchestre National de France sous la direction de Bernard Haitink, car Anne Sofie von Otter et moi, qui débutions dans nos rôles, étions accrochés à la partition. Si l'orchestre est aussi bon, nous avons toutes les chances de faire mieux, parce que j'en serai à mes soixantièmes Golaud, que Magdalena Kožená, qui n'est pas non plus innocente dans son rôle, est encore moins dénuée de talent, que Jean-François Lapointe, avec qui je l'ai chanté avec grand plaisir à Glasgow et Edimbourg, vit avec Pelléas depuis quelques années déjà.

    J'espère qu'on ne m'attribue pas trop le crédit de cet enregistrement de Pelléas, car une fois encore, il vaut surtout par une direction et un orchestre que j'ai rarement entendus à ce niveau – je viens de le faire avec le Philharmonique de Berlin, mais ce n'était pas aussi bien. Et dieu sait que je ne suis pas toujours tendre avec le National !

     

    Dans quelle mesure vous sentez-vous marqué par l'esthétique Minkowski ?

    J'en suis certainement le produit, en tout cas un collaborateur. J'ose espérer que nous avons forgé certaines choses ensemble, même si Marc en reste le grand initiateur. Il m'a beaucoup orienté vers la théâtralisation des mots, et la dernière fois que nous avons travaillé ensemble, sur la reprise des Contes d'Hoffmann, je n'avais parfois presque plus l'impression de chanter, parce que nous étions en train de raconter une histoire. Car Marc est avant tout un raconteur d'histoires, même s'il dirige une oeuvre purement symphonique, et même si elle n'est pas programmatique. On pourra nous faire le même reproche, et peut-être est-ce pour cela que nous nous entendons, de surligner parfois certains effets par peur de ne pas être compris. Mais il me semble que nous nous améliorons avec l'âge.

     

    Autre présence récurrente dans votre carrière, celle de Laurent Pelly. Que lui doit l'acteur que vous êtes devenu ?

    Lorsque nous avons fait Orphée aux enfers, au début – comme d'habitude d'ailleurs, car en répétitions, j'essaie toujours mille choses les une après les autres, ce qui donne l'impression que je fais n'importe quoi, mais j'espère de moins en moins –, je partais dans tous les sens. Laurent sait très bien circonscrire la précision et la clarté des intentions. On peut même dire que ses mises en scène sont souvent graphiques. C'est sa façon de s'exprimer : vous n'allez pas par mille détours à l'endroit où vous allez, que ce soit dans l'intention, ou purement géographiquement sur le plateau.

    Laurent m'a appris la ligne droite, à raconter une histoire en une série de segments. C'est un style de jeu. Et parce que nous avons beaucoup pratiqué un certain style de comique, travailler sur Pelléas et Mélisande, comme nous allons le faire à Vienne dans deux ans, ou sur la Traviata, dans trois ans, sera très amusant. Il s'agit en effet d'univers où il nous faudra forcément renouveler notre vocabulaire.

    J'ai de toute manière eu la chance de travailler avec beaucoup de metteurs en scène très intéressants. Peter Stein m'a appris à trouver une grande liberté après avoir construit un univers très précis. Christian Gangneron, qui est moins connu, m'a fait découvrir mes premiers récitatifs mozartiens en les lisant d'une façon très sensible. David McVicar, qui est aussi un très grand raconteur d'histoires, a su élaguer mon jeu. Les grands metteurs en scène sont ceux qui savent focaliser l'énergie des acteurs, avec la singularité de leurs regards.

     

    Quand on vous propose un rôle, pensez-vous d'abord à ses possibilités dramatiques ou musicales ?

    J'ai du mal à faire la séparation. J'ai la chance d'avoir une tessiture dont les rôles sont rarement inintéressants, alors que ma femme [Natalie Dessay] est parfois obligée de se battre avec le personnage, de se demander ce qu'elle va pouvoir en faire. Heureusement qu'elle a le talent qu'elle a d'ailleurs ! Les rôles qu'on me propose sont intéressants a priori, alors je pense à la musique parce que je n'ai pas à me battre avec le reste.

     

    Envisagez-vous d'aborder le répertoire allemand ?

    Il en a été question. Des Vaisseaux sont passés non loin de mon phare, et en effet, le Hollandais m'intéresse, ainsi que Barak, Jochanaan, mais davantage sur le plan vocal, car le personnage ne me fascine pas. A priori, ma vocalité s'y prête bien, et même mieux qu'à l'italien du point de vue de la couleur. Loin de moi l'idée de me comparer à lui, mais même si Fischer-Dieskau n'avait pas du tout une couleur italienne, son Rigoletto est loin d'être inintéressant. Je n'ai d'ailleurs jamais très bien compris cette problématique. Il a beaucoup été reproché à Paul Groves de ne pas avoir la couleur italienne pour chanter Nemorino. Il n'en reste pas moins, et je le dis avec une grande sincérité, que j'ai adoré sa composition. Si le personnage me plaît et qu'il est bien chanté, je n'ai pas ce genre de préoccupation. Et je préfère quelqu'un qui sait jouer à certains chanteurs qui ont une très belle couleur, mais qui restent plantés sur scène, incommodés par le moindre geste.

     

    Quel rôle auriez-vous aimé chanter si vous aviez été ténor ?

    Hoffmann, sans aucun doute. Et Don José, parce que j'adore chanter le duo final. Je casse les oreilles de tous mes collègues sur les productions de Carmen, parce que je double généralement le ténor à travers les haut-parleurs, d'autant que le duo n'est pas très aigu et que je peux tout faire. Mais Hoffmann, j'aurais bien couru après.

     

    Le 07/11/2006
    Mehdi MAHDAVI


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