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ENTRETIENS 25 avril 2024

Joyce DiDonato, mezzo Pasión !

Après le choc d'une Déjanire hallucinée, Joyce DiDonato revient sur la scène du Palais Garnier dans une nouvelle production d'Idoménée, où elle retrouve Luc Bondy, révélateur de sa folie haendélienne, et enflamme son timbre clair et frémissant avec Pasión !, un récital de mélodies espagnoles paru chez Eloquentia.
 

Le 29/11/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Dans quel état d'esprit abordez-vous cet Idamante, qui ne manquera pas de résonner comme un hommage à votre père récemment disparu ?

    Les événements se succèdent parfois de manière inattendue. Idoménée est certainement le dernier opéra que j'aurais imaginé pouvoir chanter après la perte d'un père. Pourtant, c'est sans doute aussi le meilleur, car il me permet de cicatriser cette blessure tout à fait nouvelle – mais peut-être vais-je m'effondrer durant les représentations ? Cette perfection venue d'un autre monde qui caractérise la musique de Mozart se double d'une telle humanité qu'elle agit sur moi comme un baume, et son génie est si proche de notre coeur que je l'apprécie davantage encore dans cette situation. Je suis heureuse d'avoir la chance de revenir travailler, car j'aurais très facilement pu rester à la maison, à ressasser mon chagrin, mais ce n'est pas ce que mon père aurait voulu.

     

    Idamante apparaît comme un personnage d'une inaltérable bonté. N'est-ce pas parfois ennuyeux ?

    Sur le papier, il est trop bon pour être vrai. Mais Luc Bondy ne peut s'en tenir là. Nous essayons de montrer qu'Idamante n'a pas l'autorité nécessaire pour libérer les prisonniers, d'autant qu'Idoménée est encore officiellement au pouvoir. Il outrepasse ses limites en tentant d'impressionner Ilia pour gagner ses faveurs. J'espère être capable d'exprimer cette maladresse, cette jeunesse et cette naïveté, afin que son évolution soit plus perceptible. Au début, il pense pouvoir résoudre tous les problèmes grâce à son amour pour Ilia, mais soudain, son monde s'effondre, non seulement à l'annonce de la mort de son père, mais aussi lorsque celui-ci le rejette. Dans le merveilleux récitatif qui précède son duo avec Ilia au troisième acte, il l'attaque de manière cinglante pour essayer de la blesser comme lui-même l'a été, d'autant qu'elle est la seule à qui il puisse parler ainsi, mais heureusement, elle lui résiste. C'est un personnage très humain. Il faut donc qu'il lutte un peu, car ce qu'il traverse est loin d'être facile.

     

    Mozart dut apprendre le rôle note après note au castrat qui le créa. Cet élément est-il perceptible dans la musique ? Est-elle, par exemple, plus facile que celle de Sextus ?

    Le personnage d'Idamante peut être à la fois très simple et très complexe. En ce qui concerne la musique, j'attends les représentations pour savoir ce que je ressens, particulièrement dans cette production. De prime abord, je préfère Sextus, aussi bien dramatiquement que musicalement, mais je sens qu'il me reste encore quelque chose à trouver chez Idamante. Ces opéras sont très différents, et certains éléments d'Idoménée tellement en avance sur leur temps que Mozart n'y reviendra plus. Les meilleurs moments d'Idamante sont les confrontations avec son père, et non ses airs : le premier est un véritable défi à chanter – tout dépend évidemment du chef et de l'intensité avec laquelle on investit la musique –, et le second, Il padre adorato, qui n'est sans doute pas le meilleur que Mozart ait écrit, s'intègre brillamment au contexte dramatique, avec quelques passages vraiment sublimes. Ils ne valent donc pas Parto, ma tu ben moi et Deh per questo istante solo, mais la substance d'Idamante est à chercher dans les récitatifs accompagnés, et ce que nous trouvons avec Thomas Hengelbrock est particulièrement stimulant.

     

    Vous semblez chanter de plus en plus de rôles travestis.

    J'en ai toujours chanté, mais en prenant soin d'alterner, pour ne pas risquer d'être cataloguée. Je tiens à exprimer la variété de mes goûts. Cette année, j'ai eu la chance de faire mon premier Sextus dans la Clémence de Titus, puis le rôle-titre de Cendrillon de Massenet, et à présent de reprendre Idamante. Je viens de chanter mon premier Compositeur dans Ariane à Naxos à Madrid, et je suis tombée amoureuse de ce personnage. Je suis en train de me préparer pour mes débuts en Octavian, en juin. Pour le moment, je me bats encore avec l'allemand et le langage musical de Strauss, mais une fois que je les maîtriserai, ce sera le paradis !

     

    Pensez-vous qu'il soit nécessaire d'avoir chanté Mozart pour aborder Strauss ?

    Je ne sais pas si c'est nécessaire. Je suis sûre que certaines personnes ont très bien chanté Strauss sans passer par Mozart, mais je suis très heureuse d'avoir cette base, car la tentation est grande de se laisser aller à chanter cette musique de manière trop héroïque et romantique. Cette qualité argentine de la voix qui convient si bien à Mozart s'adapte parfaitement à Strauss, et constitue pour moi un véritable point de départ. Ils ont également en commun d'avoir travaillé avec de grands librettistes, et d'avoir parfaitement su accorder le texte avec leur style musical. Il y a chez ces compositeurs une cohérence que j'apprécie particulièrement.

     

    Vous avez récemment incarné Élisabeth dans Marie Stuart de Donizetti. Avez-vous d'autres défis de ce genre à l'horizon ?

    Je vais chanter mon premier Roméo dans les Capulets et les Montaigus de Bellini, une nouvelle étape dans mon parcours belcantiste. Je pense également à deux ou trois rôles français, dans le sillage de Janet Baker, sans aller aussi loin qu'elle, mais en avançant sur cette voie dans les quatre ou cinq années à venir, tout en revenant à Mozart et Rossini. Les facilités que j'ai pour Rossini constituent en effet un point de repère : si je peux y revenir après un rôle plus large, c'est que ma voix et ma technique restent à la bonne place, tout en continuant à élargir mon horizon musical, dramatique, et vocal. Chanter Idamante après le Compositeur me permet de retrouver ce sens de la ligne indispensable à Mozart, et qui est l'assurance d'une bonne santé vocale. C'est d'ailleurs une telle chance que de ressentir de nouveau la joie que procure la musique de Mozart et de Rossini.

     

    Ne serait-ce pas aussi une marque de prudence ?

    En ce moment, je crains plutôt d'être légèrement trop ambitieuse. Dans ce métier, une prudence excessive est à mon sens immédiatement visible, et freine notre évolution artistique. Quelqu'un comme Placido Domingo n'a jamais eu peur de rien. Cela ne veut pas dire que tout ce qu'il a fait était une réussite aussi complète que son Cavaradossi – et il y aura toujours quelques personnes bien calées dans leur fauteuil pour dire qu'il aurait mieux fait de ne pas aborder tel ou tel rôle –, mais je fonctionne ainsi, et pense avoir chanté une assez grande variété de rôles pour qu'on me donne une chance. Tous les chanteurs n'ont pas ce luxe, car le déroulement d'une carrière ne l'offre pas systématiquement.

    Si je choisis un rôle susceptible de faire sourciller quelques personnes, c'est que j'ai envie de progresser musicalement pour grandir artistiquement. Sans doute suis-je naïve, et peut-être même un peu stupide, mais je n'ai pas peur d'essayer. Je ne m'interdis rien sous prétexte qu'un mezzo rossinien n'est pas supposé le faire, et je me donne la permission d'échouer. J'ai beaucoup appris en chantant Elisabeth dans Marie Stuart, tout en sachant pertinemment que je n'allais pas soudain me mettre à ne plus chanter que ce type de rôle, ni y devenir la référence de tout amateur d'opéra. Je pense avoir apporté quelque chose d'intéressant, et sans doute aurai-je davantage à offrir si j'y reviens dans un ou deux ans.

     

    Un rôle aussi extrême que Déjanire a-t-il été une étape importante dans votre parcours d'actrice ?

    J'ai eu la chance de le chanter un grand nombre de fois à Aix-en-Provence, puis à Paris, et de le reprendre à New York et à Londres un an et demi plus tard. Il avait mûri sans que j'y pense. J'étais bien plus mesurée, mais le personnage n'avait en rien perdu de sa force, et en avait peut-être même davantage, car j'avais pris confiance dans le fait que je n'avais pas à en faire autant. Dans la scène de la folie, il faut être à cent pour cent, mais dans mon cas, particulièrement en répétitions, j'étais à cent cinquante pour cent. J'ai abattu toutes mes barrières, et peut-être en ai-je parfois trop fait, mais il faut se dépasser pour parvenir à son but. Après une telle expérience, on peut tout faire sur scène. Ce fut un formidable cadeau, et je suis très heureuse de retrouver Luc Bondy sur cette production d'Idoménée, bien que les débuts de notre relation aient été difficiles. À Aix-en-Provence, je ne comprenais pas sa manière de travailler, et cela n'a servi qu'à me frustrer durant l'élaboration des premières scènes. Mais nous avons appris à nous connaître, et je n'ai désormais plus besoin de me battre, car je sais ce qu'il cherche, et qu'il a une idée en tête s'il me demande d'essayer quelque chose.

     

    On ne pouvait imaginer plus grand contraste entre votre précédent disque, consacré à des mélodies contemporaines américaines très sombres, et Pasión !, qui célèbre la mélodie espagnole.

    Entre-temps, un récital plus ensoleillé que The Deepest Desire est paru dans la série du Wigmore Hall, qui fait en quelque sorte le lien entre les deux. Pour moi, l'Espagne est un rayon de soleil, qui inonde à la fois le ciel et la terre. Mon intention est d'exprimer toutes ces couleurs, car le monde est fait de lumière et d'obscurité. Laurence Heym, la productrice d'Amor e gelosia, un récital Haendel en duo avec Patrizia Ciofi dirigé par Alan Curtis, m'avait fait part durant les séances d'enregistrement, de son rêve de créer son propre label, en me demandant d'enregistrer chez elle. J'avais accepté, sans trop y croire. Il y a deux ans, elle m'a appelé pour m'annoncer qu'elle avait fondé Eloquentia, et me demander ce que je voulais enregistrer. J'avais fait quelques récitals avec des pièces de Jake Heggie, qui n'avaient jamais été enregistrées, ainsi que des Bernstein. Quant à Copland, aucun des enregistrements que j'avais écouté ne me satisfaisait. J'avais quelque chose de différent à dire, d'autant que nous avons en Amérique de la merveilleuse musique que personne ne connaît. Je voulais partager ces oeuvres avec l'Europe, qui m'a tant apporté. Si Deutsche Grammophon m'avait proposé un récital, et que je leur avais présenté ce programme, je doute qu'ils aient accepté. Laurence, grâce à sa curiosité pour les oeuvres rares ou peu enregistrées, m'a donc fait un vrai cadeau.

    En janvier dernier, le pianiste Julius Drake et moi cherchions du répertoire pour notre tournée du printemps prochain. Je lui ai parlé de mon amour pour la musique espagnole, et il m'a montré des mélodies de Turina et Elegia eterna de Granados, que je ne connaissais pas. J'ai tout de suite eu envie de les enregistrer. J'ai appelé Laurence et lui ai dit que nous n'avions que trois jours de liberté, et que l'enregistrement ne pouvait se faire qu'à Barcelone, entre deux concerts. Nous avons donc fait en deux jours et demi ce que nous aurions dû faire en cinq. Je ne referai sans doute pas un enregistrement dans ces conditions, mais nous savions que c'était indispensable pour qu'il paraisse avant la tournée. C'est cette flexibilité qu'offre quelqu'un qui a son propre label, et qui ne doit rendre de comptes à aucune hiérarchie. Ces deux disques très spéciaux sont le résultat de cette belle rencontre.

     

    Avez-vous écouté des chanteuses espagnoles pour préparer ce disque ?

    J'ai eu besoin d'en écouter, bien que l'espagnol ne soit pas si difficile à chanter, pour que ma prononciation soit idiomatique. Mais j'ai dû faire attention, car si j'avais trop écouté Teresa Berganza dans les Granados, je n'aurais pu produire qu'une pâle imitation, et je la respecte trop pour faire une chose pareille. J'ai donc choisi d'écouter des mélodies que je ne chante pas, simplement pour m'imprégner d'un parfum, d'une saveur. En revanche, j'ai beaucoup récité les textes pour des amis espagnols, et pas nécessairement musiciens, en leur demandant ce qu'ils pensaient de ma prononciation. Il me semble avoir un bon instinct pour cette musique, je me suis donc vraiment concentrée sur la langue. Mais si je devais ne citer qu'une chanteuse pour ce répertoire, ce serait Victoria de Los Angeles.

     

    Le 29/11/2006
    Mehdi MAHDAVI


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