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ENTRETIENS 18 avril 2024

Jean-Yves Ossonce, entrepreneur d'enthousiasme
© DR

Après huit mois de travaux de modernisation des cintres, le Grand Théâtre de Tours rouvre ses portes au seuil de l'année 2007 avec trois concerts au programme résolument viennois. Rencontre avec son directeur, le très dynamique Jean-Yves Ossonce, l'un des rares chefs d'orchestre à présider aux destinées d'une maison d'opéra en France.
 

Le 27/12/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu'est-ce qui vous a incité, jeune chef dynamique et prometteur, à accepter la direction d'un théâtre ?

    J'ai d'abord été nommé à la tête de l'orchestre, qui était à l'époque dans un état préoccupant, un mélange de professeurs de conservatoire, de grands élèves, de supplémentaires extérieurs et de semi-amateurs, comme on en rencontrait dans les villes où n'avait pas été créé d'orchestre régional à l'époque Landowski. Comme la question de l'existence même de l'orchestre se posait, et que le Grand Théâtre de Tours est l'endroit où j'ai appris mon métier, on m'a proposé ce poste, d'autant que nous avions déjà commencé à faire évoluer les choses au niveau de l'opéra.

    L'enchaînement sur le théâtre s'est fait naturellement, mais je me demande maintenant si j'aurais pris si jeune la direction d'un théâtre s'il n'y avait eu ce concours de circonstances. Cela dit, j'ai attrapé très tôt le virus du théâtre. Lorsque j'ai été nommé à 21 ans, un an avant de diriger mon premier spectacle, à mes toutes premières responsabilités, cela faisait au moins dix ans que je venais systématiquement voir tous les opéras. Le prédécesseur de mon prédécesseur, qui m'a engagé, a été très surpris que je suis puisse lui réciter tous les opéras et toutes les distributions depuis son arrivée !

     

    Quelles contraintes entraîne cette double casquette de directeur et de chef d'orchestre ?

    Ce sont des contraintes de temps – c'est-à-dire, par exemple, que d'un pianiste pas mauvais, je suis devenu un pianiste exécrable –, car on est obligé de consacrer beaucoup d'espace de cerveau disponible à des choses qui ne sont pas en liaison directe avec ce pour quoi on est fait. Mais il y a selon moi un grand avantage à faire diriger une maison d'opéra par des musiciens, et la tradition inverse, qui consiste à les confier à des personnes qui ne sont ni metteurs en scène, ni régisseurs, ni chefs d'orchestre, ni ex-chanteurs, est récente.

    L'extraordinaire niveau que peut avoir le Capitole de Toulouse, justement parce qu'il est dirigé par un metteur en scène, qui est lui aussi tombé dans le théâtre quand il était petit, montre bien que ce n'est pas une mauvaise solution. Il faut aussi être capable d'être en phase avec les différents corps de métiers d'un théâtre. On gagne donc du temps, et je pense que, de manière ultime, on maximise l'emploi des deniers publics : puisqu'on connaît les oeuvres de l'intérieur, on voit bien ce qu'il faut laisser faire de soi-même, et ce sur quoi il faut faire porter l'effort.

     

    Cette nécessité de maximiser l'emploi des deniers publics n'entraîne-t-elle pas quelquefois des frustrations sur le plan purement artistique ?

    Même si elles varient en fonction des budgets mis à disposition, ces limites existent quel que soit le niveau de la maison. Il y a ainsi des ouvrages dont on sait à l'avance qu'ils vont pousser l'opéra un peu hors de ses murs, mais qu'il faut faire pour la bonne marche de la maison, parce qu'on ne pas rester tout le temps dans une espèce de sécurité de fonctionnement. On doit donc créer une insécurité, qui peut aussi être d'ordre stylistique quand on se lance avec l'orchestre dans un Gluck, en montant des oeuvres imposantes comme Don Carlo. Je sais bien que c'était surdimensionné par rapport au lieu, mais le jeu en valait la chandelle, parce qu'un orchestre qui sort de Don Carlo, ou de Tristan, que nous avions monté en version de concert, se démontre à lui-même qu'il sait le faire.

     

    Comment choisissez-vous les metteurs en scène et les productions que vous importez ?

    C'est une question de pragmatisme. En ce qui concerne les metteurs en scène, je regarde ce sur quoi ils sont habitués à travailler, dans quel contexte, quel type de cachet ils sont habitués à recevoir
    ce qui élimine un certain nombre de noms. Puis, quand on décide de faire une nouvelle production, il faut voir si des collègues sont intéressés par une coproduction. Il est aussi intéressant de suivre une ligne sur plusieurs saisons, ce que j'ai choisi de faire ici avec Gilles Bouillon, le directeur du Centre Dramatique Régional, qui a fait la quasi-totalité de ses productions lyriques sur cette scène. J'aime la manière dont il aborde les oeuvres en général, la technique qu'il a pour s'adapter aussi bien à de très jeunes chanteurs, auxquels il apprend une multitude de choses en un temps limité, qu'à des artistes plus expérimentés, dont il sait recevoir les richesses. C'est donc un axe fort de programmation.

    D'autre part – mais avec les travaux sur le cintre, ce sera désormais moins crucial –, le directeur technique a une grande importance pour déterminer le type de production qu'il est possible d'accueillir sur cette scène. Le problème de la rareté peut également se poser : pour Iphigénie en Tauride, nous avons pris la seule production disponible hormis celle de Patrice Caurier et Moshe Leiser, techniquement difficile, et hors de portée budgétaire.

     

    Beaucoup de chanteurs ont quasiment débuté à Tours. Où allez-vous les chercher ?

    Il faut être curieux. Dieu merci, certains agents font très bien leur travail, mais il faut avoir des oreilles pour écouter les collègues, les amis chanteurs, qui me rabattent parfois sur des personnes intéressantes, des conseillers artistiques bénévoles encore plus proches, qui attirent mon attention sur tel ou tel. Parmi les chanteurs que nous suivons, Jean-Sébastien Bou est le premier que j'ai écouté à ma nomination en 1999. Comme j'étais, plus encore que d'habitude, obligé de faire ma saison très tard, et qu'il était très libre parce qu'il débutait, j'ai choisi de lui faire chanter Ottokar dans le Freischütz, le second baryton dans la Chauve-Souris, et Schaunard dans la Bohème, qui est un rôle idéal pour un jeune baryton aigu, moins exposé et large que Marcello.

    L'entendant attaquer des sol# jour après jour, sans forcer, je lui ai demandé s'il avait regardé Pelléas. Il m'a répondu qu'il avait regardé Golaud, mais je lui parlais du rôle-titre, qu'il n'avait absolument pas dans l'idée de chanter. Il l'a fait pour la première fois à Tours en 2000, puis à l'Opéra-Comique dès 2002. Il a beaucoup évolué – et je ne veux pas parler de progression, parce qu'il y a dans ce terme un côté scolaire, et cela n'a rien à voir : les chanteurs évoluent, ouvrent leur voix, leur répertoire, et nous reviennent au fur et à mesure des saisons nourris des expériences qui font d'eux des artistes de plus en plus riches. C'est un des vrais grands plaisirs de ce métier, et même quand on passe des après-midis à faire des auditions, on a toujours l'espoir d'entendre quelqu'un de particulier.

     

    Comment choisit-on les ouvrages d'une programmation qui n'en compte que six ou sept par saison ?

    Il faut avoir des idées sur trois ou quatre saisons, même si on n'en parle pas. Les circonstances budgétaires étant parfois ce qu'elles sont, j'ai appris que nos maisons étaient toujours sur la corde raide. Plutôt que de lancer les projets, y compris dans le métier, il vaut donc mieux les garder pour soi. J'essaie d'équilibrer entre des oeuvres inattendues, au moins pour une partie du public, et d'autres plus régulièrement jouées – mais notre impression de mélomane est parfois trompeuse : un Bal masqué n'avait pas été joué à Tours depuis 1986, Roméo et Juliette de Gounod depuis dix ans, quant à Iphigénie en Tauride, selon moi un des ouvrages importants de l'histoire de la musique, il n'avait carrément jamais été donné.

    On ne peut pas non plus faire une saison de raretés, parce qu'on ne peut pas compter collectivement sur l'ensemble du public pour être curieux de la même manière au même moment. Nous n'avons pas une mission d'évangélisation du public. Et il y a des choses dont on n'est pas responsable, qu'on ne comprend qu'avec le recul. Pour nous, au moment où nous le faisons, un spectacle est un investissement énorme, alors qu'il ne laissera aux spectateurs qu'un souvenir, ou pas de souvenir du tout, et ne remplira que quelques heures de leur vie, quand ils ne pensent pas à autre chose. Cela rend modeste.

     

    Nous avons le sentiment, depuis une douzaine d'années que nous fréquentons ce théâtre, que le public tourangeau est très fidèle.

    Il ne l'est pas toujours. Une partie du public, et pas nécessairement les personnes les moins âgées, m'a absolument accompagné dans l'évolution de la maison, et a été enthousiasmée quand, dès la première année, nous avons fait venir Olivier Py pour ce fameux Freischütz. Parmi les autres, qui ne venaient que pour de la pure distraction, seule une minorité continue de nous accompagner, et quelquefois plus par habitude et reconnaissance sociale que par adhésion véritable. Grâce à l'opération en faveur des jeunes, que j'ai initiée, de manière sauvage, dès 1986, je peux dire que notre public, qui commence au monde étudiant, voire même collégial, pour les plus motivés d'entre eux, est assez diversifié, et comparable à celui de théâtre et de cinéma.

     

    Vous dirigez et enregistrez beaucoup de musique française rarement jouée.

    Ma collaboration avec Hyperion a commencé par Briséïs de Chabrier, une idée du festival d'Édimbourg, qui leur a fait parvenir les bandes du concert, qu'ils ont décidé de publier. Lorsqu'à la suite du très bon accueil de ce disque, ils m'ont proposé d'enregistrer pour eux – c'était l'époque où les maisons de disques pouvaient encore enregistrer un peu de musique symphonique dans d'assez bonnes conditions – j'ai suggéré à Ted Perry, le créateur du label, disparu depuis, les symphonies de Magnard, des oeuvres absolument passionnantes que je venais de lire par curiosité, et dont je savais qu'il n'existait qu'un enregistrement par Michel Plasson, ainsi qu'une vague version de la troisième symphonie, « corrigée et augmentée Â» par Ansermet, grâce à laquelle j'avais d'ailleurs découvert le compositeur. Quant au Pays de Ropartz, c'était une vieille idée de Stéphane Topakian, le directeur de Timpani. Voilà une oeuvre que j'aimerais bien refaire en concert, d'autant qu'elle ne fonctionnerait sans doute pas à la scène.

     

    N'avez-vous pas quelquefois envie de reprendre votre liberté pour vous consacrer davantage à votre carrière ?

    Le jour où la colonne des inconvénients dépasse celle des avantages, il faut savoir arrêter. À ma nomination, j'ai dû laisser tomber beaucoup de connexions, en particulier avec la Grande-Bretagne. J'adorais aller enregistrer pour la BBC, parce qu'ils sont très imaginatifs – je ne sais pas s'ils ont toujours les mêmes libertés, mais c'était toujours extrêmement risqué, et au dernier moment : je me suis retrouvé avec la partition de Ferval de Vincent d'Indy pour enregistrer un des actes dix jours avant d'entrer en studio pour quatre ou cinq sessions, avec des chanteurs qui ne savait pas plus que moi à quoi sa musique était censée ressembler, n'en ayant jamais entendu la moindre note ! J'aimais l'aspect sportif de la chose, qui m'a donné beaucoup de sang froid et d'expérience.

    D'autre part, je suis du tempérament des bâtisseurs : être dans le circuit, et faire du répertoire dans des grandes boîtes où on arrive deux jours avant pour voir à peine l'orchestre – quand on le voit – ne correspond pas à ce que j'aime faire le plus. Cela a quand même un certain intérêt de porter les projets de A à Z, et même quand on est invité dans certaines maisons comme Toulouse ou Lausanne, de les porter vraiment, même si les collègues décident naturellement de la distribution.

     

    Avez-vous été confronté à cette légendaire méfiance des orchestres français vis-à-vis des chefs français ?

    Il en a toujours été ainsi, mais il ne faut pas sombrer dans la paranoïa. D'autant que les musiciens français auraient raison d'être paranoïaques avec tout ce qu'on raconte sur eux, parce que ce n'est la plupart du temps plus justifié, même si cela a pu l'être par le passé. Bernard Haitink a dit qu'un jeune chef était un mal nécessaire. J'avais discuté avec des musiciens anglais du BBC Scottish Orchestra qui ne comprenait pas que Simon Rattle fasse une telle carrière, parce qu'ils n'en avaient pas un bon souvenir en tant qu'assistant, comme si quelqu'un ne pouvait évoluer de manière positive dans cette profession.

    Christian Merlin a écrit un très bel article, le Coeur et la raison, dans un numéro de l'Avant-Scène Opéra, sur cette problématique : il s'agit d'une conquête de la sérénité, savoir vraiment où on se place, sans se tromper sur ses vraies responsabilités, sans non plus les évacuer, en sachant qu'il y a des choses qu'on aura à décider sans en avoir honte, que l'orchestre a parfois davantage d'expérience que nous dans telle oeuvre ou tel style, et qu'il faut justement être capable de la recevoir – mais cela n'est possible que lorsqu'on est suffisamment sûr de soi.

    Il faut donc laisser aux chefs le temps d'être de moins en moins autistes, et j'en parle en connaissance de cause, parce que pendant des années, je ne le savais absolument pas. Comme j'ai commencé très tôt, j'ai commis un nombre incalculable de bévues face à mes collègues musiciens. Et quand en plus, on est soi-même d'une personnalité un peu timide, cela peut rapidement devenir épouvantable. Ce n'est pas forcément le métier du monde qui rend le plus heureux, même si les musiciens, les chanteurs, les metteurs en scène, et les mélomanes ont des tas de projections fantasmatiques sur le chef d'orchestre.

    J'ai eu la chance d'en discuter de manière assez directe et personnelle avec Rafael Kubelik durant les pauses d'une Masterclass. Il était très confraternel, même avec de futurs jeunes collègues qui ne savaient pas encore grand-chose. Cette attitude par rapport au métier et à la musique m'avait beaucoup frappé, et je la comprends de mieux en mieux.

     

    Comment se sent-on un soir de première quand on porte à la fois la responsabilité du chef d'orchestre et du directeur de théâtre ?

    On n'est plus du tout sur soi au moment où on fait les choses, donc absolument pas dans l'angoisse. Et c'est là où j'exerce davantage un métier de médiateur, ou d'entrepreneur d'enthousiasme, comme l'avait fait inscrire sur sa carte de visite un chef de claque italien. Je suis fraternel avec les chanteurs, car je suis quand même là pour les aider, conduire, parce qu'ils ont besoin d'un guide. Il n'y a rien de pire que les chefs qui prétendent suivre, on accompagne, mais main dans la main. Il faut vraiment essayer d'être sur la même longueur d'onde, avec l'orchestre aussi, faire en sorte que la musique se fasse entre la fosse et le plateau, ce qui n'est pas une mince affaire, et créer une atmosphère où les chanteurs puissent donner le meilleur d'eux-mêmes, en sachant que ce n'est pas une science exacte.

    Et puis il y a des choses dont il ne faut pas se mêler : le solo de violoncelle pendant le deuxième air d'Amelia du Bal masqué, il faut les laisser faire, ne pas déranger, en étant bien sûr un peu plus explicite à la première, parce que c'est un soir pas comme les autres. Je ne me dope pas, je ne prends ni lexomil ni cognac, j'essaie d'être là, à cent pour cent, et des choses très triviales, comme ne voir personne l'après-midi. Il y a quelques années, j'étais capable de sortir d'une réunion à sept heures et quart pour être dans la fosse à huit, mais je ne le fais plus, par conscience de mes responsabilités.





    À voir :

    Concert lyrique du nouvel an (Mozart, Johann et Richard Strauss), avec Delphine Haidan, Marina Lodygenski et Ingrid Perruche, Orchestre Symphonique Région Centre – Tours, sous la direction de Jean-Yves Ossonce, Grand Théâtre de Tours, les 29, 30 et 31 décembre 2006.

     

    Le 27/12/2006
    Mehdi MAHDAVI


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