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ENTRETIENS 29 mars 2024

David Stern, au service de l'écoute
© Johann Grimm

S'il s'est illustré dans Haendel, Opera Fuoco est bien plus qu'un orchestre baroque. Sans doute parce que son fondateur David Stern contribue de toute sa fougue à un projet artistique original. Alors que paraît son enregistrement de Jephtha, le jeune ensemble s'apprête à défendre le Jugement dernier de Telemann avec vigueur.
 

Le 13/03/2007
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu'est-ce qui vous attiré chez Telemann, et plus particulièrement dans son oratorio Der Tag des Gerichts ?

    J'ai eu envie de soutenir un musicien qui, s'il fut le plus apprécié de son temps, souffre d'avoir été trop prolifique, opinion divulguée dans un article paru quatre ans seulement après sa mort, et toujours aussi répandue, y compris chez certains grands connaisseurs de la musique allemande du XVIIIe siècle. Il me semble avoir, aux côtés de Bach, le même statut que Haydn aux côtés de Mozart, en ce que sa musique est plus novatrice, mais pas en liaison directe avec Dieu.

    Grâce à son ouverture d'esprit, son écriture a évolué du baroque pur à un classicisme aisément comparable à celui de Carl Philip Emmanuel Bach. Mais contrairement à Haendel, dont le style est devenu typiquement italien, puis anglais, Telemann a su conserver une couleur spécifiquement allemande. L'influence de la musique française sur son oeuvre n'en est pas moins sous-estimée. Il ne faut donc pas trop le germaniser, au risque de le rendre pompeux et le faire passer pour un imitateur de Bach.

    Telemann a voulu adopter le style français à sa manière, différente de celles de Haendel et de Bach. À l'instar de la Tafelmusik et de la cantate Ino, Der Tag des Gerichts est un authentique chef-d'oeuvre, un véritable opéra écrit sous forme d'oratorio, avec un orchestre d'un poids dramatique phénoménal. Dominique Meyer, le directeur du Théâtre des Champs-Élysées, qui a beaucoup fait pour la musique baroque italienne, a décidé de se lancer dans la réhabilitation du répertoire allemand de cette période, et nous nous sommes décidés pour cette oeuvre.

     

    Quelle est sa place dans la production pléthorique du compositeur, dont la postérité a surtout retenu le versant instrumental ?

    Der Tag des Gerichts est une oeuvre tardive, et Telemann y fait preuve de la même sagesse que Haendel dans Jephtha, que nous avons enregistré avec Opera Fuoco. Il n'y a pas plus de précédent à cette oeuvre qu'à la Passion selon saint Matthieu. Il y exprime la rage d'un ancien, qui ne peut être comparée qu'au Chaos des Élémens de Jean-Féry Rebel, bien que ce dernier use d'un effet ponctuel, alors que l'audace d'un Telemann très en avance sur son temps s'exprime à travers un langage personnel et particulièrement stimulant, qui ne flatte pas les goûts du public, et exige un grand travail de préparation.

     

    Son écriture vocale est-elle spécifique ?

    Si l'écriture vocale de Bach est instrumentale, l'écriture instrumentale de Telemann, dont Haendel s'est beaucoup inspiré, est d'un lyrisme rare à cette époque. J'ai été beaucoup influencé par John Eliot Gardiner, dont j'ai été l'assistant pour les opéras de Mozart, notamment par son appréciation des nuances et de l'articulation. Mais il fait partie d'une génération qui a mis en évidence l'instrumentalité des voix. Je tente à l'inverse de « vocaliser Â» les instruments. Je récite souvent aux musiciens de l'orchestre le texte du chanteur qu'ils accompagnent, et cela change complètement les nuances, leur façon de jouer.

    La raison pour laquelle je suis entré avec tant de bonheur dans le monde des instruments anciens est que le fait d'utiliser un archet spécifique force le musicien à se confronter à la question de la rhétorique musicale. Et lorsque je fais de la musique ancienne avec des orchestres modernes, j'essaie de leur faire sentir que le bras droit est celui de la respiration. On est beaucoup plus responsable de chaque note dans la musique baroque que dans les répertoires plus récents. Soit on la joue comme du papier peint, soit comme quelque chose de vivant.

     

    Votre approche semble résolument tournée vers le drame. Dans cette perspective, vous avez pratiqué un certain nombre de coupures dans votre enregistrement de Semele de Haendel, paru en mars 2004.

    En tant qu'interprète, mon rôle est de dégager une ligne dramatique, et de lui rester fidèle. Dans Semele, certains airs ne sont qu'un prétexte à une exhibition de virtuosité vocale. Certes, la beauté de la voix est primordiale, mais si nous travaillons tant sur la couleur vocale, aussi bien des chanteurs que de l'orchestre, c'est avant tout pour faire vivre le texte. Une exécution authentique supposerait un public authentique, c'est-à-dire libre d'aller et venir comme il le souhaite, de prêter plus ou moins d'attention à la musique. Haendel en était conscient, et savait parfaitement quand il devait écrire une musique plus décorative pour permettre aux spectateurs de se libérer l'esprit entre deux passages d'une grande intensité.

    J'ai monté Hercules en coupant l'intégralité du rôle de contre-ténor, avant de me rendre compte que le compositeur avait lui-même fini par faire ce choix. Mais je ne revendique pas pour autant des raisons historiques. On fait aujourd'hui des coupures dans Molière, Racine, et lorsque Peter Brook a remanié Hamlet, ce n'était ni par manque de réflexion, ni par mépris, mais parce qu'une interprétation se doit d'être vivante.

     

    D'aucuns vous ont reproché d'utiliser un effectif orchestral trop réduit dans les oratorios de la maturité de Haendel.

    Il est vrai que Haendel voulait des effectifs de plus en plus importants, mais il me semble que certains numéros, écrits pour l'ensemble des premiers et seconds violons sont mieux servis par un soliste : il s'agit d'un choix purement musical, car même si j'avais suffisamment d'argent pour engager dix premiers violons dans cette musique, je ne le ferais pas. Je revendique cette approche chambriste aussi bien avec l'orchestre que le choeur et les chanteurs. Si j'étoffais l'orchestre, je devrais faire de même avec le choeur, et les chanteurs devraient crier. Je veux servir les voix pour servir l'écoute, et que chaque musicien soit responsable. Mais s'il est perdu au fin fond du huitième pupitre, il est très difficile de conserver ce rapport intime.

     

    Comment parvient-on à restituer cette intimité dans une salle aussi vaste que le Théâtre des Champs-Élysées, où vous allez donner Der Tag des Gerichts ?

    Mon père disait qu'un bon musicien va vers le public, mais qu'un très bon musicien le fait venir à lui. Lorsque j'ai assisté pour la première fois à un récital d'Andreas Staier, avec qui je travaille beaucoup, tout le monde a commencé par tendre l'oreille, car nous n'entendions rien. Mais petit à petit, nous sommes rentrés dans son univers, et avons eu l'impression d'être remplis par le son, tant il y avait de couleurs et de nuances dans son jeu. Voilà ce que je recherche. Nous gagnons en fragilité et en expression ce que nous perdons en puissance sonore.

     

    Alors que la mode est aux continuos foisonnants, en légions de cordes pincées, et ce jusque dans le baroque tardif, quelle limite convient-il de ne pas dépasser en la matière ?

    La question n'est pas de savoir combien, mais qui. J'ai créé Opera Fuoco avec Jay Bernfeld, qui est connu pour sa manière surprenante d'accompagner les récitatifs. Il a su exalter les possibilités de la viole de gambe de manière extraordinaire, et très peu de musiciens, tous répertoires confondus, ont un jeu aussi expressif que le sien. Il faut certes savoir doser, mais je préfère oser, et parfois dépasser de soi-disant normes dans un but expressif.

    La relation entre récitatif et air est primordiale, et j'insiste toujours pour avoir suffisamment de temps pour travailler cet aspect, car c'est là qu'est le drame. Quand un chanteur prend vraiment le récitatif au sérieux, et non comme une petite phrase pour patienter avant son air, il raconte une histoire. Nous préparons un Don Giovanni avec Opera Fuoco, et les dix premiers jours de répétitions seront consacrés aux récitatifs. Jay, qui a une culture lyrique gigantesque et qui vient d'une tradition extrêmement rigoureuse pour les récitatifs, assurera le rôle de chef de chant.

     

    Vous semblez très fidèle à vos chanteurs.

    Je cherche des personnes qui ne chantent pas que les notes. Parmi les chanteurs qui ont beaucoup d'expérience, je fais appel à ceux, en définitive pas si nombreux, qui chantent par intérêt pour la musique, et non pour exhiber leur voix. En ce qui concerne les jeunes, je travaille souvent avec les mêmes car je considère qu'un véritable parcours ne peut se faire que sur plusieurs projets, et dans des répertoires différents. Je veux leur donner leur chance, et c'est pour cette raison que nous envisageons, avec Opera Fuoco, de créer une troupe. Nous allons faire des auditions, et réunir un groupe de dix à quinze personnes, que nous garderons deux à trois ans, en le renouvelant dès la deuxième année, pour un travail inscrit dans la continuité.

    Lorsqu'un musicien apparaît totalement différent au bout de quelques représentations, ce n'est pas une récompense, mais simplement le fruit du désir de partager quelque chose avec quelqu'un qui le mérite. À moins d'aller à l'étranger, il y a très peu d'opportunités de travailler sur la durée pour les jeunes chanteurs français au terme de leur formation. Nous allons donc monter Don Giovanni dans le cadre de notre résidence à Saint-Quentin-en-Yvelines, suivant le modèle de la Finta giardiniera à Royaumont, c'est-à-dire d'abord en version concertante, puis avec une mise en scène la saison suivante, avec la plupart des jeunes chanteurs avec qui nous avons déjà travaillé.

     

    Qu'attendez-vous d'un metteur en scène ?

    J'espère être ému par son regard sur les choses. J'ai eu la chance de travailler plusieurs fois avec Yoshi Oïda, qui a un rapport très fin à toutes les sensibilités. S'il nous arrive d'envisager certaines choses de la même façon, il me surprend parfois par son regard totalement différent du mien. J'ai beaucoup appris à son contact. Je cherche un metteur en scène capable d'incorporer le geste musical, sans l'envahir, ni le mépriser. Certains metteurs en scène ont peur de la musique, et n'osent rien ajouter, tandis que d'autres l'ignorent pour garder leur idée propre.

    Trop souvent à l'opéra, les relations entre chef et metteur en scène sont mauvaises, et le résultat n'est pas là. C'est pour cela qu'avec Opera Fuoco, je privilégie les versions concertantes mises en espace et en lumières, mais plus je travaille, plus j'essaie d'établir de vraies relations avec les metteurs en scène. Très souvent, je dis aux chanteurs qu'ils ont perdu le contact avec leur voix, parce qu'ils cherchent à reproduire un son qui n'est pas le leur. Un bon metteur doit travailler dans le même sens, pour réconcilier le chanteur avec son corps.

     

    Seriez-vous tenté par la mise en scène ?

    J'ai réglé des mises en espace pour des versions concertantes, mais je ne me sens pas metteur en scène. J'en ai l'ego, mais pas le talent !




    À voir :

    Der Tag des Gerichts de Telemann, Théâtre des Champs-Élysées le 15 mars, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines le 27 mars.

    À paraître :

    Jephtha de Haendel, 2CD Arion-Pierre Verany-Radio France.

     

    Le 13/03/2007
    Mehdi MAHDAVI


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