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ENTRETIENS 18 avril 2024

Karine Deshayes, graine de star
© Johann Grimm

Parmi la génération florissante qui porte haut les couleurs du chant français, le mezzo-soprano pulpeux et chatoyant de Karine Deshayes se distingue aussi bien dans Rossini que dans l'opéra français. Mais c'est encore une fois dans un rôle tchèque qu'elle foule les planches de l'Opéra de Paris, dans la nouvelle production de l'Affaire Makropoulos de Janáček à la Bastille.
 

Le 27/04/2007
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Dans l'Affaire Makropoulos, vous êtes Krista, apprentie chanteuse et admiratrice d'Emilia Marty. L'avez-vous nourrie d'une expérience personnelle ?

    Le plaisir de chanter avec Renée Fleming dans Rusalka ! J'ai tant appris, rien qu'en l'observant. C'est intéressant dans l'optique du personnage, d'autant que Krzysztof Warlikowski l'a étoffé en me confiant dans cette nouvelle production les deux autres rôles féminins, l'habilleuse et la femme de chambre, ce qui me rapproche d'Emilia Marty et ajoute à ma fascination pour elle.

     

    Le metteur en scène polonais a une réputation sulfureuse, que son Iphigénie en Tauride à l'Opéra Garnier n'a guère démentie la saison passée. Craigniez-vous de travailler avec lui ?

    J'ai appris à le connaître dans le travail. Il est très humain. Nous avons vraiment eu le temps d'approfondir les choses en cinq semaines de répétitions. L'oeuvre est difficile, certes, mais elle ne dure qu'une heure et demie. De plus, le chef est tchèque, et il connaît parfaitement la partition. C'est un vrai bonheur pour nous, parce que certains passages, notamment certains changements de mesure, sont très délicats. D'autant que sur huit chanteurs, nous sommes six à effectuer une prise de rôle. On se serre donc vraiment les coudes.

    L'Affaire Makropoulos est la superposition de deux histoires, celle d'Emilia Marty, qui a vécu trois cents ans sous des identités différentes après avoir bu un élixir de longévité, et celle du procès Gregor-Prus. Cette complexité se reflète dans l'imbrication des décors – une piscine, une salle de projection. Krzysztof Warlikowski s'est également beaucoup inspiré du film Ève de Joseph Mankiewicz, avec Bette Davis.

     

    Le tchèque est-il difficile à chanter ?

    Pas plus qu'une autre langue, une fois qu'on l'a bien intégré. Il est vrai qu'il y a beaucoup de consonnes, mais les voyelles sont toutes ouvertes, on n'a donc pas à se poser la question comme en allemand. C'est une langue très agréable pour le chant. Lorsqu'il écrit pour Krista, Janáček déploie des phrases très lyriques, alors que les deux autres filles sont un peu surexcitées, s'expriment dans un débit très rapide, dans un langage complètement atonal mais néanmoins populaire, très proche du Sprechgesang. Si le rôle d'Emilia Marty est le préféré de toutes celles qui l'ont chanté, elles s'accordent également sur sa difficulté, supérieure à celle de certains Berg et Schoenberg.

     

    Votre carrière est de plus en plus internationale. Est-ce un rêve qui se réalise ?

    Lorsque j'ai fait mes débuts au Metropolitan Opera de New York, dans cette salle de quatre mille places absolument mythique, j'ai été très impressionnée – je ne m'imaginais pas y chanter un jour. Mais l'équipe m'a beaucoup soutenue, et j'ai déjà signé un contrat pour Benvenuto Cellini en 2010, avec James Levine. À la suite de la Flûte enchantée à Salzbourg avec Riccardo Muti, où je chantais la deuxième dame, j'ai été engagée pour chanter un oratorio d'Alessandro Scarlatti au Festival de Pentecôte, sous sa direction. J'avance lentement, mais sûrement.

     

    Vous avez une voix très longue. Comment avez-vous déterminé votre tessiture ?

    Tous mes professeurs se sont demandés si j'étais soprano ou mezzo. Mais je travaille avec la même personne depuis quinze ans, et lorsque j'ai commencé avec elle, nous ne nous sommes pas posé cette question. Nous avons travaillé le médium, l'homogénéité, toujours dans la clarté. C'était une véritable libération, même si ce n'est pas toujours facile d'avoir une voix à tiroirs. Et grâce à cela, j'ai pu commencer plus vite, chanter Siébel, Stéphano dans des grandes maisons, qui ne m'auraient pas tout de suite engagée dans des premiers plans. Comme la voix monte, prend de l'ampleur en mûrissant, je peux désormais aborder des Berlioz, des Bellini, et pourquoi pas des Strauss. C'est une découverte permanente.

     

    Votre agilité est-elle naturelle ?

    Elle était là dès le début, mais j'ai quand même dû travailler pour aller de plus en plus en vite, respirer de moins en moins. J'adore les vocalises, c'est un jeu pour moi, je travaille donc plutôt le contraire, les grandes phrases, le legato.

     

    Vous donnez beaucoup de récitals.

    C'est toujours très enrichissant, notamment sur le plan de la diction : il faut faire l'effort de prononcer davantage pour que le sens parvienne jusqu'au public, et ne pas se focaliser sur la ligne, la voix. À l'opéra, après un mois de répétitions, on a des réflexes scéniques, vocaux, alors qu'en récital, on est seul avec un piano pendant une heure. C'est une discipline difficile, mais que je ne veux pas abandonner. Je chante surtout des mélodies françaises, mais aussi quelques Lieder, surtout de Brahms, parce qu'ils privilégient la ligne, et des airs de zarzuelas, parce que le public en est friand, et que cela permet de faire une transition avec l'opéra. La mélodie française présente un tel éventail, avec des cycles comme la Chanson d'Ève de Fauré, que je défends ardemment, bien que certaines personnes la trouvent hermétique. J'adore les mélodies de Gounod, de Berlioz, de Ravel, certains Poulenc, les Mallarmé de Debussy, ce sont des univers qui me parlent vraiment.

     

    Comment expliquez-vous le renouveau du chant français ?

    À chaque fois que je vais à l'étranger, on me demande si je suis française, si j'ai étudié en France, avec un professeur français. Eh bien oui, et j'en suis fière ! La fin des troupes d'opéra était sans doute à l'origine de ce déclin dont on a tant parlé. Il ne faut pas oublier que Ludovic Tézier, Stéphane Degout et moi sommes tous passés par la troupe de l'Opéra de Lyon, qui a été un tremplin formidable. Lorsqu'on sort du conservatoire, on a un bagage technique et musical, mais aucune expérience de la scène.

    En troupe, on est pris en main pendant neuf mois, avec des chefs de chant toute la semaine, un contrôle vocal, un travail sur les langues, des récitals, des productions différentes étalées sur l'année, avec des chefs, des metteurs en scène et des partenaires différents. J'ai fait quatre ans la troupe de Lyon, et je regrette sa dissolution l'année suivant mon départ. Il est triste qu'il faille désormais aller en Allemagne pour apprendre convenablement son métier. Restent évidemment les écoles comme l'Atelier lyrique de l'Opéra de Paris, les Jeunes voix du Rhin, ou le CNIPAL, mais elles ne proposent pas suffisamment d'expériences scéniques dans des rôles vraiment intéressants.

     

    Quand avez-vous décidé de faire du chant votre métier ?

    Mon père est musicien, j'ai donc pratiqué la musique très jeune. J'ai commencé par le violon, mais j'ai toujours aimé chanter. Lorsqu'on me demandait à quatre ans ce que je voulais faire comme métier, je répondais Blanche-Neige. Mon père faisait de la musique de scène à l'Opéra de Paris, et m'emmenait aux générales. J'étais fascinée par la sensation physique que procure la réception de la voix. J'étais aussi très intéressée par le mélange des arts. Mes professeurs m'ont beaucoup encouragée. Mais c'est aussi une question de rencontres.

     

    Que vous ont apporté les concours que vous avez remportés ?

    J'ai tenté les Voix d'or, les Voix Nouvelles, et Opéralia. Je ne garde pas un mauvais souvenir de ce dernier, mais comme je chantais le même soir dans Rusalka à l'Opéra Bastille, j'ai dû passer la première, et n'ai pas pu chanter l'air de zarzuela que j'avais préparé, alors que j'étais arrivée en finale dans cette catégorie. Mais je l'ai d'autant moins regretté que Thierry Fouquet, qui était dans le jury, m'a engagée suite à ce concours pour ma première Cenerentola à Bordeaux.

    C'est un rôle que j'adore, très bien écrit, avec une véritable progression du grave à l'aigu. À la fin, on ressent une formidable énergie : les choeurs, les partenaires vous sourient, on est vraiment porté. J'aime aussi beaucoup Rosine, que j'ai chantée deux fois, et que j'espère faire de nouveau. Je vais aborder Isolier dans le Comte Ory à Nantes et Angers à la fin de l'année. On m'a aussi proposé l'Italienne à Alger, mais je préfère aller vers l'aigu. J'ai plutôt une voix claire, je n'ai pas envie de la tasser.

     

    Avez-vous des références, des modèles ?

    J'adore Teresa Berganza, Ann Murray, et je m'inspire de leurs parcours. J'admire aussi beaucoup Christa Ludwig, dont l'évolution vers les rôles de soprano m'interpelle, et Frederica von Stade. Parmi les mezzos du moment, j'écoute Joyce DiDonato, Anne Sofie von Otter dans la mélodie française et Susan Graham, dont les Berlioz sont extraordinaires. J'écoute aussi d'autres artistes, comme Renée Fleming, qui me touche beaucoup, par-delà les polémiques que suscite sa voix.

    Lorsque j'ai chanté Siébel au Met, Méphisto était tenu par Ildar Abdrazakov, un Russe de trente ans avec la voix du bon dieu, et un français parfait alors qu'il n'en parle pas un mot. J'adore Ramón Vargas, Rolando Villazón, et tous mes partenaires français, Degout, Tézier, Cavallier, Dessay, que j'admire musicalement et scéniquement. C'est un vrai bonheur que de se retrouver ensemble sur une production.

     

    Le 27/04/2007
    Mehdi MAHDAVI


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