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ENTRETIENS 24 avril 2024

Semyon Bychkov se démasque pour le bal
© Sheila Rock

Américain d'origine russe, directeur du WDR Sinfonieorchester de Cologne, Semyon Bychkov habite à l'ombre du Centre Pompidou. Ce cosmopolite qui connaît bien la capitale pour avoir été pendant neuf ans directeur de l'Orchestre de Paris fait ses débuts dans la fosse de l'Opéra pour la nouvelle production d'Un bal masqué de Verdi.
 

Le 31/05/2007
Propos recueillis par Nicole DUAULT
 



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  • Quelle place occupe Verdi dans votre vie ?

    Quand Gerard Mortier m'a proposé de diriger Un bal masqué à l'Opéra, j'ai immédiatement accepté car il y a douze ans, j'avais dirigé cet ouvrage au Mai musical de florentin et cela reste un des plus beaux souvenirs de ma carrière. Je suis fasciné par cet opéra, et plus généralement par Verdi qui a beaucoup compté pendant mes années de formation à Saint-Pétersbourg. Trois maisons d'opéra avaient à l'époque la Traviata à leur répertoire, et je me rendais à chaque représentation à laquelle je pouvais assister. Aujourd'hui, après avoir abordé tant d'opéras de Wagner et de Richard Strauss, je crois qu'il me fallait revenir à Verdi. Avec Mozart, Wagner et Strauss, il est le quatrième pilier du genre opéra.

    Au Maggio depuis 1993, j'ai partagé la vie des Italiens, je suis entré dans le monde verdien par l'intérieur, pas en touriste. J'ai commencé ce retour à Verdi il y a un an avec Don Carlo. Dans quelques semaines, je dirigerai le Requiem à Bologne, puis ce sera Otello au Met et à nouveau Don Carlo à Covent Garden. Verdi est une sorte de dieu, il a trop de visages, de facettes, de complexité pour être décrit. Dans Verdi, il y a toujours quelque chose qui vous étreint. Les musiciens comme les auteurs littéraires écrivent en fait toujours le même ouvrage : le titre, les sujets de surface, les personnages changent mais c'est toujours le même cri qu'ils lancent sur ce qu'ils ont déjà vécu, sur ce qu'ils ont envie ou ce qu'ils s'imaginent avoir envie de vivre.

     

    Que représente pour vous Un bal masqué ?

    Ce n'est pas par hasard si Verdi a trouvé passionnant le sujet d'Un bal masqué, qui traite du prix à payer pour obtenir puis conserver le pouvoir. Verdi n'était pas seulement un compositeur, mais un homme politique, député au Parlement à un moment crucial. Il a partagé le destin de son pays, il lui a donné de l'espoir, il a trouvé une adhésion du peuple. Cela explique une partie de sa popularité : il faut se souvenir qu'à la fin de sa vie, quand il était très malade, la circulation sous ses fenêtres avait été interrompue pour lui permettre de se reposer. Qu'Un bal masqué ait été censuré, transformé n'a aucune importance. Que cela se passe en Italie, en Suède, aux Etats-Unis, que soit mis en scène un roi ou un comte. Il s'agit simplement d'une tragédie du pouvoir, d'une tragédie humaine et d'une tragédie de l'amour.

     

    Comment situez-vous la musique de cet opéra dans la production du compositeur ?

    Elle est déjà loin des traditions du bel canto. Il y a un développement symphonique qui rend le drame inévitable. Verdi met en oeuvre son don de réunir la mélodie, les paroles, le rythme pour rendre concrètement ce que ressentent les personnages. L'orchestre est un protagoniste majeur, complexe. Quand Oscar annonce le bal, l'orchestre est pétillant : c'est du champagne, mais du champagne empoisonné. Là réside le génie. C'est un opéra symphonique, mais aussi une synthèse d'éléments où la voix a bien sûr une importance cruciale.

     

    Quelle part a prise Gerard Mortier dans la mise en place de la production ?

    C'est la première fois que l'on travaille ensemble, et j'ai apprécié cette collaboration dès le départ. Il a compris que je ne voulais pas travailler avec un metteur en scène qui fasse de la provocation et qui se mette devant le créateur. Ce n'est pas là que réside selon moi la nouveauté. Gerard Mortier m'a proposé Gilbert Deflo comme metteur en scène. Je suis allé voir sa production de l'Amour des trois oranges de Prokofiev, que j'ai beaucoup appréciée. Nous nous sommes rencontrés et j'ai senti qu'il était très sensible à la musique.

    J'ai eu à l'opéra des expériences positives et bien d'autres négatives. Parmi ces dernières, je me souviens récemment d'un Lohengrin à Vienne où le metteur en scène m'assurait que le personnage principal n'était pas Lohengrin mais Ortrud. Je lui ai alors demandé pourquoi Wagner n'avait pas intitulé son opéra Ortrud ? En revanche, quand j'ai entendu Deflo indiquer aux chanteurs un pianissimo écrit sur la partition, cela m'a touché.

    Pour ce qui est de l'implication de Gerard Mortier, elle est immense, il est présent à toutes les répétitions. Il a un point de vue, de vraies convictions, il soutient les artistes qu'il a engagés. Il est controversé certes, mais parce qu'il a quelque chose d'important à dire. Il a la capacité de faire réfléchir les artistes.

     

    Entre Gerard Mortier toujours présent, le metteur en scène Gilbert Deflo et vous même, qui est finalement le patron de la production ?

    Je ne vous répondrai pas Verdi, car vous me diriez que c'est de la langue de bois ! Je dirais les trois : le directeur, le metteur en scène et le chef ont à collaborer, mais la base d'un opéra, c'est la musique. Y-a-t-il un opéra qui soit resté au grand répertoire grâce à son livret ? Non. En revanche, il y a des ouvrages dont le livret est très faible mais où seule compte la musique.

    Dès que le rideau se lève, le metteur en scène est comme l'entraîneur d'une équipe de football, il reste sur la touche, il observe et ne peut plus rien faire, alors que le chef participe à chaque instant. Il est alors à la fois joueur et entraîneur, il agit, c'est lui qui fait la représentation. Ce qui compte, c'est la fraîcheur de l'oeuvre qu'il peut, qu'il doit communiquer aux chanteurs, aux musiciens et au public. Ce que je cherche alors à transmettre, c'est le frisson que j'ai ressenti la première fois que j'ai entendu l'oeuvre.

     

    Que pouvez-vous dire des musiciens de l'Orchestre de l'Opéra ?

    Ils sont vifs, réactifs et inventifs. Ils savent s'écouter et écouter les chanteurs. Je les ai entendus communiquer entre eux certaines précisions. Ils font de la musique de chambre à grande échelle. Les orchestres symphoniques privilégient le côté technique, performant, et cherchent avant tout une propreté d'exécution, ils ont une conception abstraite de la musique. Les musiciens de fosse sont habitués à jouer des notes qui symbolisent les affects d'êtres humains présents sur scène, à raconter une histoire. Leur réactions à la musique sont plus concrètes.

    L'ambiance des répétions est chaleureuse, je me sens en harmonie avec les musiciens. En fait, dans cette production, je n'ai rien à prouver, j'ai tout à exprimer. Je reviendrai à l'Opéra pour Tristan et Isolde que nous emmènerons au Japon à l'été 2008. J'ai aimé la mise en scène de Peter Sellars, elle élargit les horizons. Et je reprendrai ensuite cet opéra à Paris.

     

    L'Orchestre de l'Opéra doit nécessairement vous changer de l'Orchestre de Paris que vous avez dirigé pendant neuf ans.

    Je vis une belle histoire avec l'Orchestre de la WDR de Cologne. Après dix ans, les musiciens se sont prononcés à 90% pour que nous continuions ensemble. Cette harmonie, je ne l'avais pas trouvée avec l'Orchestre de Paris. Il n'y a rien à en dire, certains mariages fonctionnent, d'autres non.

     

    Vous arrive-t-il de regretter votre Russie natale ?

    Je suis parti d'Union soviétique à l'âge 22 ans, privé de mon passeport. J'ai appris plus sur l'histoire de la Russie en Occident que lorsque j'y vivais. Me priver de ma citoyenneté n'a quoi qu'il en soit pas réussi à extirper mes racines. J'ai simplement tourné la page. Ma vie est maintenant en Europe, ma femme est française, et je suis d'une famille française entre Paris et Biarritz.

     

    Le 31/05/2007
    Nicole DUAULT


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