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ENTRETIENS 19 avril 2024

Centenaire Chostakovitch :
Krzysztof Meyer, l'homme, le sens et la place de son oeuvre (2)

Krzysztof Meyer fait la connaissance de Dimitri Chostakovitch, qui vit ses dernières années, en tant que jeune compositeur. Il écrit plus tard une biographie de référence. C'est donc en tant que témoin privilégié et musicologue averti qu'il fait aujourd'hui le point sur l'homme, le sens de son oeuvre ainsi que sa place dans l'histoire musicale russe. (Deuxième partie)
 

Le 21/06/2007
Propos recueillis par Benjamin GRENARD
 



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  • De manière générale, comment Chostakovitch se situe-t-il dans la grande tradition musicale russe ?

    Il est un élément très important de cette grande tradition, l'un de ses plus grands compositeurs. Mais en comparaison de Prokofiev et Stravinski, il était davantage attaché à sa terre natale, tellement fort que l'on a peine à imaginer que son talent ait pu s'épanouir hors des frontières de la Russie. Ajoutons que beaucoup de ses oeuvres majeures ont été écrites pour être susceptibles d'être appréciées par le peuple russe. Ce n'est pas sans raison qu'on l'a qualifié de « chroniqueur de son époque Â».

     

    On a dès le XIXe siècle deux tendances du réalisme qui se confrontent en Russie : celle de Moussorgski qui prétend dépeindre la mort, la psychologie des personnages sous des aspects réalistes, et celle de Tchaïkovski, plus romantique, qui dépeint les sentiments humains dans leur exacerbation, leur « réalité ». Vous parlez de Chostakovitch comme d'un « chroniqueur de son époque Â» : peut-on le rattacher à la tradition du réalisme russe ?

    Bien sûr ! Chostakovitch représente toujours cette tendance au réalisme non romantique qui prolonge la tradition issue de Moussorgski. Il dépeint aussi la psychologie des personnages – surtout dans ses opéras –, la mort – dans ses derniers ouvrages – mais aussi sa propre tragédie – par exemple dans le 8e quatuor – et celle de sa nation – la 8e symphonie. Sur la question du réalisme, il est, s'il l'on veut, le Moussorgski du XXe siècle.

     

    Chostakovitch a été un compositeur d'extrême avant-garde avec le Nez, qu'il considérait comme un de ses chefs-d'oeuvre. Après l'échec de ce premier opéra, il a renoncé à son langage radical pour une musique toujours moderne mais plus accessible avec Lady Macbeth, comme s'il faisait déjà en quelque sorte des concessions esthétiques. Revient-il à ce moment-là à moins de radicalité parce qu'il pense réellement que sa musique n'est pas assez intelligible pour le peuple ?

    Je ne crois pas que l'échec du Nez ait décidé du changement de l'orientation de son langage musical. Après 1926, Chostakovitch s'essaie à des techniques et à des styles différents, un processus somme toute bien naturel pour chaque créateur. Dans toutes ses partitions d'importance, il expérimente, au niveau du langage, du style. Naturellement, son Concerto pour piano et trompette est plus traditionnel que sa 2e symphonie.

    Par analogie, l'Octuor de Stravinski est plus traditionnel que le Sacre du printemps et la symphonie Mathis le peintre de Hindemith plus traditionnelle que son opéra Assassin. Dans la musique de notre temps, on trouve souvent le même phénomène : les Fluorescences de Penderecki et sa 2e symphonie, le Grand macabre de Ligeti et son Concerto pour piano. Chostakovitch demeure très libre quant au style jusqu'en 1936.

     

    A-t-il été un créateur de formes nouvelles ?

    Il a plutôt été un créateur de formes d'une grande originalité. Par exemple dans la 3e symphonie, où aucun thème ne se répète, dans la 4e symphonie dont le Finale est construit à la manière d'une mosaïque, dans le premier mouvement de la 6e ou dans toute la 11e symphonie pour ne citer que quelques exemples seulement. D'une part, ce sont des formes construites sur la tradition de la musique européenne – surtout allemande –, d'autre part la réalisation de leurs modèles – sonate, variation, fugue – est très particulière.

    Mais Chostakovitch n'a pas été un créateur de formes entièrement nouvelles car il a toujours cherché l'inspiration dans la musique du passé. Il n'a pas innové tel Bartók dans le premier mouvement de sa Musique pour cordes percussion et célesta, tel Stravinski dans les Symphonies d'instruments à vent, ou encore Webern, Varèse ou Messiaen. Et il faut bien penser qu'à l'époque de la 11e symphonie, c'est-à-dire en 1957, on trouvait déjà en Europe occidentale la forme ouverte, par exemple dans la 3e sonate pour piano de Boulez ou le Klavierstück XI de Stockhausen.

     

    On évoque beaucoup le génie d'orchestrateur de Chostakovitch.

    Son orchestration est géniale mais en même temps assez simple, comme celle de Beethoven ou de Tchaïkovski. Mais cette simplicité est également une grande qualité. Rien n'est laissé au hasard ou accidentel dans ses partitions. Chaque instrument est bien perceptible, chaque effet optimal. L'usage du timbre est des plus originaux et porte une vraie signature sonore reconnaissable. Mais Chostakovitch ne s'est jamais intéressé à une orchestration dans laquelle les couleurs seraient le but, comme c'est le cas dans la musique française – Debussy, Ravel, Messiaen, Dutilleux – ou polonaise – Lutoslawski. Son orchestration est toujours au service de la dramaturgie.

     

    Avait-il une bonne connaissance des nouvelles tendances de la musique occidentale de son temps ?

    Nous n'avons pas beaucoup parlé de ce sujet ensemble. Autant que je sache, il s'est intéressé à la musique d'avant-garde polonaise. Il a bien connu les oeuvres de Penderecki et surtout celles de Lutoslawski, déclaré même au sujet de ce dernier qu'il était « un grand maître Â». Je sais qu'il admirait la pièce sérielle de Stravinski Requiem canticles, et aussi le Concerto à la mémoire d'un ange et Wozzeck d'Alban Berg. Il n'appréciait pas en revanche la musique de Nono.




    Relire la première partie

     

    Le 21/06/2007
    Benjamin GRENARD


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