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ENTRETIENS 20 avril 2024

Le Passé retrouvé (25) :
Antoine Vitez

Grand metteur en scène de théâtre et maître à penser de plusieurs générations d'acteurs qu'il forma, Antoine Vitez n'échappa pas à la mode des années 1970-1980, qui virent le monde de l'opéra faire appel aux metteurs en scène de théâtre. L'Opéra de Paris lui confiait alors le Macbeth de Verdi.
(Entretien réalisé en 1984 pour le Quotidien de Paris)

 

Le 18/07/2007
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Vous avez dĂ©jĂ  une expĂ©rience riche dans le domaine du théâtre lyrique, avec notamment les Noces de Figaro, l'Orfeo de Monteverdi, la Voix humaine de Poulenc, l'Écharpe rouge d'Arperghis. Dans ce type d'expĂ©rience, et en particulier pour ce Macbeth Ă  l'OpĂ©ra de Paris, pouvez-vous travailler avec les exigences très prĂ©cises que vous avez au théâtre dramatique ?

    Dans les apprentissages qui m'ont conduit à cette rencontre avec l'Opéra de Paris et le Macbeth de Verdi, je tiens à souligner l'importance qu'a eu l'Écharpe rouge, véritable opéra contemporain. Un opéra se caractérise pour moi essentiellement par le texte ou par une fable où des personnages expriment leurs actions et leurs sentiments par le chant. L'Écharpe rouge fait rigoureusement partie de cette catégorie, comme toutes les oeuvres que j'ai montées en théâtre lyrique. Macbeth aussi, naturellement, ne serait-ce que par Shakespeare à travers Piave.

    Mais travailler sur un opéra qui n'a jamais encore été donné vous apprend beaucoup plus que toute autre expérience. J'étais dans la découverte de faire chanter et jouer pour la première fois des rôles à des chanteurs-acteurs. Il fallait bien que je prenne à bras le corps la partition que je n'avais jamais pu entendre, car je ne lis pas la musique au point de pouvoir me chanter les notes, et que je fasse jouer au chanteurs le texte littéraire et musical. J'ai vu le très grand nombre de possibilités dont on dispose.

    Les rôles ne sont pas écrits une fois pour toute, bien que le compositeur fasse déjà une moitié de la mise en scène puisque les caractères sont décrits pas la musique. J'ai appris ainsi quelle est la nature de l'intervention que je peux faire. Dans le cas présent, je ne suis pas du tout gêné par le fait que les deux chanteurs principaux, Shirley Verrett et Renato Bruson, possèdent leurs rôles. Ce n'est pas une convention à laquelle je suis habitué dans le théâtre parlé, mais c'est une très belle convention du théâtre.

     

    Comment avez-vous travaillé avec eux, car ce sont deux immenses chanteurs ?

    D'abord, j'ai compris très vite que je n'avais pas à leur apprendre leur rapport à leur personnage. Bruson s'identifie à Macbeth, qu'il connaît dans la musique. Mon intervention ne se limite pourtant pas à une mise en place, mais elle implique, à l'occasion des contraintes spatiales que je lui impose, des séries de contradictions qui se révèlent très intéressantes, car nous sommes des individus civilisés et nous pouvons nous expliquer, discuter, expliquer nos points de vue sans nous heurter de front.

    J'ai vécu il y a quelques jours un moment magnifique à cet égard J'avais imaginé une certaine manière d'organiser la scène du banquet. Bruson n'était pas d'accord avec un point précis qu'il n'avait pas envie de faire. Ce ne fut pas finalement un affrontement de pouvoir, car j'ai écouté son argument que j'ai trouvé respectable, utilisable. Nous avons refait cette scène et le résultat est magnifique car il conserve la totalité des images que j'avais en tête, mais dans un autre ordre de montage que celui auquel j'avais pensé. On opère donc avec ces chanteurs un véritable travail d'intelligence du rôle, de réflexion sur le rôle.

    Il en va de même pour le travail réalisé avec Shirley Verrett. Je n'ai pas du tout l'impression de travailler dans un monde différent de celui du théâtre dramatique, bien que le temps soit donné, bien qu'elle ait une Lady Macbeth en elle. Il y a une intervention sur le sens de chaque action. Cette intervention me montre, avec plaisir, que je suis nécessaire, que je ne suis pas un simple metteur en place. En travaillant avec ces chanteurs-là, j'ai l'impression de vivre au temps de la tragédie grecque, qui devait ressembler à cela, un art assez simple où le protagoniste vient dans un endroit où il est parfaitement visible et, à plein voix, développe les partitions de son âme. Cette convention extrême, loin de me gêner, m'enthousiasme.

    Je n'ai pas de théorie historique sur les raisons de l'invention de l'opéra en Europe, mais j'ai la sensation que, de toutes façons, cycliquement, les gens réinventent une forme de théâtre comme celle-là, fondée sur une convention très puissante, très simple, très physique, l'être humain seul devant les autres et le choeur. Au XIXe siècle, l'arrivée du choeur est une métaphore de l'arrivée du peuple dans l'Histoire, de l'irruption des masses sur la scène de l'Histoire. Dans l'Écharpe rouge, nous avons pensé continuer, avec un opéra communiste, une tradition à la Schiller.

     

    À l'opéra, le temps est mesuré par le compositeur et non par vous. Comment gérez vous cette contrainte ?

    Il s'agit seulement de créer son espace de liberté dans un autre type de conventions. Je travaille beaucoup sur le théâtre de marionnettes. Là, c'est comme au théâtre dramatique, sauf que les personnages sont en bois, coupés à mi-corps. Cela ne permet pas de longs monologues, ni que les personnages prennent de la profondeur car on ne les voit plus, et ainsi de suite.

    Cette convention dans l'ordre de l'espace détermine aussi le temps. Je me glisse dans le temps que j'ai. Par exemple, je viens de régler la descente de Lady Macbeth au moment du Brindisi. C'est toute une histoire, car il y a un espace au fond du plateau, ici un escalier, et elle doit parcourir tel chemin dans tel temps. Peut-on anticiper, ne peut-on pas ? Ce n'est pas une simple question technique pour un artiste. Notre travail n'est fait que de la contingence, de l'obligation. C'est de là que naît le sens. J'ai donc vu que j'avais un peu de temps en trop. Je pourrais seulement la faire ralentir, mais j'ai pensé à lui faire faire un peu de chemin en plus, un tour sur elle-même. Cela a plu à Shirley Verrett car, comme actrice, puisqu'elle ne chante pas à ce moment-là, cela lui permet de jouer l'égarement. On a donc donné un grain de sens à une contingence matérielle. C'est ça le travail de mise en scène, sinon ce n'est pas un travail d'art.

     

    Le contrĂ´le du texte lui-mĂŞme ne vous Ă©chappe-t-il pas ?

    Nous avons prise non pas sur le schéma voulu par la phrase musicale mais sur l'expression. On peut très bien orienter l'expression sans toucher à la musique vers un certain nombre, certes limité, de sentiments essentiels : la gaîté, l'affliction, le découragement, la fatigue et ainsi de suite. C'est comme si on jouait avec un théâtre des masques, fait de conventions. Plus j'y pense plus cela m'intéresse car cela me ramène à ce qui est à l'origine de ma vocation personnelle de faire du théâtre, avant que je commence à me tourner, à 36 ans, ce qui est tard, vers la mise en scène.

    J'ai eu le temps de lire, d'avoir envie de faire beaucoup de choses. Comme metteur en scène, je n'ai pas de maître vivant. Je n'ai pas été directement influencé par un maître vivant. C'est à la fois dommage et pas dommage. Mais j'ai des maîtres morts, imaginaires. Et en premier lieu Meyerhold. C'est lui qui a exalté le plaisir de s'affronter à la convention. Il nous a enseigné la nécessité de considérer le théâtre comme convention.

    Par opposition à Stanislawski qui exigeait le réalisme et la vraisemblance, il a revendiqué la non vraisemblance, c'est-à-dire le théâtre comme un art dont la chair même est la convention, l'artifice. Il a beaucoup écrit sur l'art de la marionnette. Il a fait peu de théâtre lyrique, mais tout ce qu'il a écrit s'y applique pleinement. Toutes ces contraintes sont le théâtre. Sous cet angle, le théâtre lyrique est d'une certaine façon l'essence du théâtre.

     

    Le 18/07/2007
    GĂ©rard MANNONI


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