altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 29 mars 2024

Le passé retrouvé (26) :
André Boucourechliev

© Souse

Au Festival d'Avignon 1978, André Boucourechliev voit son opéra le Nom d'Œdipe créé dans la Cour d'honneur du Palais des papes. La distribution est brillante, avec Sigune von Osten, Catherine Sellers, Claude Méloni, Michael Lonsdale, Daniel Berlioux, Axel Bogousslaski et au pupitre Yves Ortin. Rencontre avec le compositeur quelques jours avec cette création.
(Entretien réalisé en juillet 1978 pour le Quotidien de Paris)

 

Le 25/07/2007
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • JĂ©rĂ´me Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumĂ©

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • Qu'est-ce qui vous a attirĂ© dans le mythe d'ÂŚdipe ?

    C'est une commande de Radio France. J'ai très peu réfléchi car Œdipe s'est tout de suite imposé comme sujet, pour deux raisons. La première est assez personnelle et obscure. Il y avait quelque chose en moi qui voulait parler de cela. Je ne dois pas être un cas unique, mais c'est trop intime pour que je puisse en dire plus. L'autre raison est que je pense qu'un mythe universel est un appui nécessaire pour un opéra, ou du moins très désirable.

    La musique en général et l'opéra en particulier sont pour moi des sujets très graves et mon tempérament est sans doute aussi très grave. Je ne suis à l'aise que dans le tragique. Cela passe un peu dans toutes mes oeuvres. L'opéra est quelque chose qui doit concerner directement les gens. Il faut pouvoir s'identifier à ce que l'on nous montre. Voilà pourquoi j'ai choisi ce mythe.

    En tant que compositeur d'aujourd'hui, je ne voulais pas reprendre Sophocle, mais avoir un texte contemporain, moderne, actuel. Je me suis donc adressé à Hélène Cixous qui a ressenti le même intérêt que moi. Elle avait aussi envie de donner libre cour à une incitation d'opéra. C'était en elle et ma proposition l'a donc touchée. Elle a adopté le sujet en sachant d'emblée vers quel rivage elle allait le conduire, en l'occurrence au moins autant vers le rivage de Jocaste, en tant que femme engagée.

     

    Et cela correspondait aussi Ă  ce que vous souhaitiez ?

    Cela correspondait chez moi à mon goût pour les voix féminines. J'ai un faible particulier pour les grandes voix de femmes. L'importance du rôle chanté de Jocaste que j'aurais sans doute donné même avec un texte différent me convenait totalement. Cela ne veut pas dire qu'Œdipe soit moins important, mais il émerge de l'ombre de Jocaste.

    Le texte met l'accent non plus sur la transgression de l'interdit mais sur le silence de l'autre et la mort de l'autre. Je m'éloigne totalement des approches de Carl Orff ou de Stravinski. Je n'ignore pas ce passé, mais j'essaie de le dépasser. Dans ma version du mythe, je me réfère aussi bien à Sophocle qu'à Stravinski ou Freud.

     

    Combien de temps avez-vous travaillé à l'élaboration de cette partition ?

    J'y ai travaillé deux ans, dont une partie importante à l'élaboration du texte qui s'écrivait selon le rythme de Cixous. Il est arrivé très volumineux, il fallait le réduire, l'articuler, le préparer en vue de sa mise en musique. Cela a pris beaucoup de temps et nous avons travaillé dans une harmonie de collaboration exceptionnelle qui comptera dans ma vie. Ce fut un travail rigoureux, quotidien, constant. Elle est allée de l'avant. Je l'écoutais tout en la conduisant. Le chant était quelque chose qui surgissait constamment, premièrement.

    C'est ce chant qui m'a conforté dans ma conviction que le langage de l'opéra n'est pas celui de la musique instrumentale, qu'il faut déjouer les pièges à la fois d'un traitement musical traditionnel et de l'hermétisme. L'opéra ne peut pas fonctionner avec un langage qui se déchiffre. Il lui faut un accord immédiat entre parole et musique. Ce n'est pas une affaire de spécialistes.

     

    Comment vous situez-vous dans l'histoire de l'opéra au XXe siècle ?

    Il y a une tonalité, un son, dans cet opéra, qui échappe à toutes les catégories. Je pense donc ne me situer dans aucun héritage particulier ni dans aucune école. C'est aussi loin des trois grands chefs-d'oeuvre écrits depuis un siècle, qui sont Pelléas, Wozzeck et Boris. Ce n'est pas non plus wagnérien, ni belcantiste, ni vériste, ni symboliste. C'est une tentative, un désir d'accéder au vrai chant dans un langage actuel qui n'est pas pour autant expérimental ni hermétique, mais qui prime tout. Les rôles sont dédoublés. J'ai eu d'emblée la conviction qu'il fallait donner chaque rôle à un chanteur et à un comédien pour préserver à la parole comme au chant leur plénitude.

    Je ne voulais pas utiliser les intermédiaires que pouvaient être le récitatif ou le Sprechgesang, non seulement parce qu'ils ne cadraient pas avec le désir violent de chant pur que j'avais, mais parce que je les ressentais comme surannés, dépassés. Le Sprechgesang, plus proche de nous dans l'histoire, me paraissant encore plus dépassé que le récitatif. Si on a la présence de la vraie parole concurrente au chant, on n'a absolument pas besoin de ces états intermédiaires.

     

    Quel orchestre avez-vous souhaité ?

    On choisit un orchestre comme on choisit un thème, un rythme. On fait son amalgame sonore personnel. J'ai pris un ensemble de seize instrumentistes, avec cinq percussions importantes, deux flûtes, deux clarinettes, deux trombones, deux violoncelles, deux contrebasses, une harpe. Je voulais que surtout l'aigu et le grave soient nourris. Je me sens bien dans les extrêmes. Les percussions sont importantes non pas au niveau des décibels, mais dans un travail de raffinement de la matière sonore, d'appui, de jeu rythmique. Les voix sont très intégrées.

    Il y a aussi un petit choeur de douze exécutants, avec un rôle théâtral, comme dans le dédoublement des rôles. Chacun des protagonistes peut être l'autre moi de son double, à tour de rôle, ce qui permet des contrepoints scéniques intéressants. Le choeur peut donc être l'autre moi de chacun et de tous, également. La diversité d'écriture pour le choeur est assez grande, avec tantôt des blocs, tantôt des dispersions, des éparpillements, où le même texte étant pris et repris par tous les chanteurs, on capte tous les mots. Le choeur participe des sentiments des personnages, il est toujours concerné. Il ne se contente pas de commenter. Il peut être triste, affligé ou provocateur.

     

    Par rapport à ce que vous avez composé jusqu'à présent, la musique elle-même de cet opéra est-elle nouvelle ou au contraire la somme de vos recherches ?

    C'est sûrement un aboutissement dans mon langage personnel, mais en même temps un langage qui s'est imposé pour l'opéra qui demande un langage spécifique. J'y ai répondu de façon spontanée et naturelle, sans me poser un programme de départ. J'avais eu il y a vingt ans une proposition identique de la Radio, mais j'avais refusé, car je n'étais pas prêt.

    Aujourd'hui l'opéra est quelque chose qui vit en moi. Malgré toutes les catégories d'opéra, malgré tout ce qu'il est devenu et peut encore devenir, malgré l'importance du texte parlé, je garde pour cette oeuvre le nom d'opéra. Ce n'est pas du théâtre musical, si tant est que l'on sache exactement ce que ce terme veut dire. J'ai réellement voulu retrouver la permanence du mythe de l'opéra, de son fantasme.

     

    Le 25/07/2007
    GĂ©rard MANNONI


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com