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ENTRETIENS 26 avril 2024

Jean-Louis Ollu,
un Français à Bayreuth (2) :
Le Festival de Bayreuth

© Yannick Millon

Comptant parmi ceux qui ont fait l'histoire de l'Orchestre de Paris depuis les débuts de la formation en 1968, le violoniste Jean-Louis Ollu est aussi à l'heure actuelle le seul Français évoluant dans un orchestre français à jouer dans la fosse de Bayreuth, chaque été depuis 1989. Rencontre avec un musicien comblé dont la vie se partage avec la même passion entre Paris et Bayreuth.
 

Le 10/08/2007
Propos recueillis par Yannick MILLON
 



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  • Quel a été votre premier contact avec Bayreuth ?

    C'est une histoire assez incroyable. Je passe mon permis aussi tard qu'en 1981. Le premier voyage que j'entreprends à l'été 1982 avec ma voiture me conduit à Bayreuth, sachant que Daniel Barenboïm y dirige Tristan depuis l'été précédent. J'arrive à midi au Festspielhaus, et le croise par hasard. Il me propose alors d'assister à la représentation de l'après-midi même à 16 h. Je suis mort de honte à l'idée de pénétrer dans ce lieu sacré accoutré comme un simple touriste, mais on me trouve une marche dans la salle, et je peux voir le Tristan de Ponnelle, avec René Kollo et Johanna Maier.

    À l'issue du premier acte, Barenboïm me prend par la main et me dit à l'oreille avant de me présenter à Eva et Wolfgang Wagner : « rendez-vous compte que ce sont les petits enfants de Liszt et de Wagner ! Â» Émouvant raccourci de l'Histoire. Puis il me demande de le suivre, et je me vois encore descendre derrière lui, dans la fosse, où il me fait asseoir entre les seconds violons et les altos, pour écouter le deuxième acte. Vous pensez bien que je suis ressorti de là dans un état second.

    Une fois la représentation terminée, on me présente le directeur de l'orchestre, M. Burgmüller, contrebassiste de l'époque, et je demande tout naturellement quelles sont les conditions pour intégrer l'orchestre du festival. Il me dit alors d'envoyer une lettre de motivation avec un CV et une photo. Je m'exécute dès mon retour à Paris, mais j'attends encore la réponse à ce courrier.

     

    Un coup pour rien…


    Exactement. Les années passent, on rejoue du Wagner avec l'Orchestre de Paris : la Walkyrie, le troisième acte de Siegfried, puis, en mai 1988, l'Or du Rhin à la salle Pleyel. Ce soir-là, étant en disponibilité, je peux écouter mes collègues dans la salle. Je me rends ensuite dans les coulisses pour féliciter tout le monde, et tout particulièrement l'une des chanteuses. Bon contact ; un petit coup de foudre survient !

    On prend un verre, et elle me dit qu'elle doit chanter dans le Ring à Bayreuth quelques semaines plus tard. Au bluff, je lui dis que j'ai prévu moi aussi de m'y rendre. Une relation s'engage, et je me pointe sur la Colline pour les générales, vers la mi-juillet. Au titre de petit-ami de cette Freia, j'ai droit à assister à toutes les répétitions, et peux ainsi voir l'intégralité du nouveau Ring de Harry Kupfer dont c'est la première. Je me retrouve donc avec la carte d'invité prioritaire, dans tous les lieux que fréquentent les artistes, y compris les réceptions chez les Wagner.

    Je reste le mois d'août entier à Bayreuth et passe la majeure partie de mon temps dans le Festspielhaus. Un jour à la cantine se présente un énorme gaillard, Bertram Banz, altiste de l'Orchestre de Francfort, qui me demande si je suis bien violoniste à l'Orchestre de Paris. Je confirme. Il me conseille alors de faire ma demande pour intégrer l'orchestre l'été suivant. Je lui explique que ma demande de 1982 n'a jamais abouti. Il part alors interroger le directeur de l'orchestre, qui en ma compagnie après avoir consulté les archives, se rend compte que ma lettre n'est jamais arrivée à Bayreuth.

     

    Vous refaites donc une demande en bonne et due forme.

    Le retour sur Paris s'opère, les sentiments s'émoussent, et comme les chanteuses sont souvent impossibles à vivre, la rupture arrive très vite. Je ne pense donc plus beaucoup à Bayreuth. C'est alors que l'Orchestre de Paris part en tournée en Allemagne avec Barenboïm. À Berlin en novembre, juste avant un concert à la Philharmonie, on m'informe que le maître veut me voir dans sa loge. Il m'annonce alors que je suis engagé dans les premiers violons pour le festival de Bayreuth 1989, en me faisant bien comprendre que je ne dois pas le décevoir.

    Je n'avais pas le droit à l'erreur, c'était un pari un peu fou mais le challenge était établi. Il m'a fallu apprendre les dix grands opéras de Wagner sur le bout des doigts, ingurgiter des kilomètres de partition, pratiquer mon allemand et prendre conscience des règles à suivre, telles que les Allemands se les appliquent.

     

    Comment est-on intégré à l'Orchestre du festival de Bayreuth quand on est français ?

    Je peux vous garantir que je suis arrivé sur la pointe des pieds, mais très vite, j'ai été accueilli à bras ouverts, chaleureusement. L'Orchestre de Paris avait déjà une bonne réputation, j'ai trouvé un excellent esprit de travail, des collègues d'une grande cordialité, d'une amitié presque spontanée, qui m'ont beaucoup aidé à m'adapter à l'environnement sonore.

    Mais le premier été n'a pas été facile pour moi, en ce sens que tous les soirs, je travaillais mes partitions d'arrache-pied, j'apprenais tout par cœur, parce que le festival est un véritable marathon, et qu'on ne peut se permettre d'improviser.

     

    Avez-vous participé à toutes les éditions du festival depuis 1989 ?

    Oui, à l'exception de l'été 2000, quand nous avons joué avec l'Orchestre de Paris les Troyens de Berlioz à Salzbourg sous la direction de Sylvain Cambreling. En tant que musicien d'orchestre, Bayreuth est une chance exceptionnelle de côtoyer des collègues de Berlin, de Francfort, de Munich, de Cologne, au cœur d'une Europe musicale.

    C'est un peu un sacerdoce, mais j'y reviens toujours avec plaisir, car une tranche de ma vie s'y déroule, malgré la dose de sacrifice qu'exige le festival. Ce qui est extraordinaire dans cette petite bourgade de rien du tout, c'est à la fois l'extrême simplicité des lieux et la concentration unique de talents au kilomètre carré.

    L'atmosphère de Bayreuth est inimitable pour un musicien : on se mêle au public aux entractes, on mange une saucisse au Freiluftbad, ce petit coin de verdure et de nature entre les parkings où l'on peut se détendre, côtoyer tous ces passionnés, ces wagnériens fervents. Le mondain n'a pas sa place à Bayreuth, même s'il tente aujourd'hui plus qu'autrefois de s'y insinuer.

    Mais le tri s'opère tout seul : sans la motivation nécessaire, on imagine assez mal un spectateur venir écouter pendant quatre heures de l'opéra dans une salle pas climatisée, sans surtitrage, et au fond pas vraiment confortable, juste pour se montrer.

     

    Vous avez parlé de sacrifice. Cette année, par exemple, quand a commencé pour vous le festival de Bayreuth ?

    Quant à l'organisation de cette période, je m'en remets à l'amitié de certains de mes collègues de l'Orchestre de Paris pour pouvoir planifier mon emploi du temps à partir du 20 juin et jusqu'à la fin juillet, afin d'éviter au maximum les allers-retours Bayreuth-Paris. Pour que tout cela soit possible, il faut une bonne santé et une bonne voiture !

    Parfois, il y a des missions quasi impossibles comme l'année dernière lors du déplacement de l'Orchestre de Paris à Londres et à Madrid. Après avoir joué Siegfried en version de concert à l'Escurial jusqu'à 1h15 du matin, je devais rejoindre Bayreuth pour jouer… Siegfried en fosse à 16h. Après quelques émotions et une bonne dose de fatigue, le pari a été réussi.

    À Bayreuth, tout est incroyablement bien organisé, pour que chacun puisse au mieux combiner sa fonction dans les saisons traditionnelles avec le festival. C'est là la souplesse de Wolfgang Wagner, qui a toujours été très habile pour chapeauter les petits détails. Les pré-générales commencent toujours autour du 10 juillet, et inutile de vous dire que l'on ne fait pas de répétitions pupitre par pupitre.

     

    Boulez avait pourtant exigé des partielles pour le Ring de 1976.

    Oui, mais c'était un autre orchestre, et le niveau a progressé depuis. Les jeunes d'aujourd'hui, notamment ceux qui sont arrivés l'an passé dans les premiers violons, sont d'une solidité technique impressionnante. Et je dirais même que le niveau est supérieur à celui que j'ai connu en arrivant en 1989.

     

    Quelle est la spécificité de cet orchestre ?

    Cette sonorité particulière de l'école allemande de cordes, de violon et d'alto notamment, très dense, très profonde, mais aussi la solidité des cuivres, qui jouent ensemble comme deux poumons expirant exactement en même temps. Il faut voir les solides gaillards qui tiennent ces parties-là, endurants et résistants comme on ne peut pas se l'imaginer en France.

    C'est comme les timbaliers, qui démontrent à quel point la timbale peut tout guider dans Wagner, être le bras droit du chef, et même prendre sa place par moments. Ils sont vraiment stupéfiants, et l'on peut s'en rendre compte dans l'Annonce de la Mort de la Walkyrie. L'orchestre entier est suspendu à leur pulsation, à ce battement de cœur. Mais à Bayreuth, je dirais que c'est le lieu, la salle qui guide tout, même si l'orchestre peut changer de personnalité en fonction du chef.

     

    Vous êtes depuis 1989 le seul Français dans la fosse de Bayreuth ?

    Pas exactement. Les premières années, il y avait aussi un violoniste de Lyon, Jean Bisciglia, puis pendant un temps Jean Dupouy de l'Orchestre de Paris, qui a terminé sa carrière à Bayreuth alto solo dans les Maîtres Chanteurs avec Christian Thielemann en 2002, la dernière année où était donnée la mise en scène de Wolfgang Wagner. Thielemann lui-même a beaucoup regretté son départ. Et puis il y a encore aujourd'hui un autre Français, mais qui fait carrière à Berlin.

     

    Quels sont vos souvenirs les plus marquants au long de ces dix-neuf étés ?

    Avant tout le Tristan de Heiner Müller et Barenboïm, avec Waltraud Meier et Siegfried Jerusalem. Je me souviens avoir pensé, après la dernière représentation le 28 août 1999 en clôture du festival, que Jean et moi pouvions mourir après avoir vécu des instants pareils. C'était d'une telle intensité, d'une telle beauté, ça nous arrachait les tripes. Il y eu aussi le Ring de Kupfer et Barenboïm, avec Graham Clark, ce phénomène, et John Tomlinson, Deborah Polaski. Daniel les avait bien choisis, le cast était remarquable.

    Je citerais également les Maîtres Chanteurs, toujours avec Barenboïm, dans la très belle production de Wolfgang Wagner, mais aussi la 9e symphonie de Beethoven avec Thielemann en 2001, pour le cinquantenaire de la réouverture du festival, dans le décor des Meistersinger justement, et enfin le concert de commémoration des soixante-quinze ans de la mort de Cosima et Siegfried Wagner, en 2005.

     

    Et vos pires souvenirs ?

    Paix à son âme, mais avec Sinopoli, ça n'a pas toujours été facile, entre autres dans l'excellent Vaisseau fantôme de Dieter Dorn. Sa gestique était souvent incompréhensible, il se battait contre le plateau, contre l'orchestre, contre tout le monde, et cela devenait très pénible. Comme souvenir douloureux, je citerais aussi de manière générale la chaleur étouffante dans la fosse certains étés au milieu des années 1990. Avec Levine au pupitre, les deux bonnes heures du premier acte de Crépuscule ou de Parsifal paraissaient parfois interminables.

     

    Quels sont selon vous les plus grands chefs wagnériens de notre époque ?

    Barenboïm évidemment, surtout dans Tristan, l'ouvrage de Wagner qu'il dirige avec tellement de passion. Il y a aussi Boulez, le roi des dosages, de la justesse, qui reste un lecteur, un exégète de partition, un technicien d'orchestre sans pareil, mais je dirais aussi Thielemann, qui est déjà excellent et qui sera sans aucun doute LE grand wagnérien de demain.

    Ce qu'il fait depuis l'été dernier dans le Ring est admirable. Voilà un vrai chef, un meneur d'hommes, un interprète à personnalité, qui fait passer ses idées avec une autorité naturelle, mais qui sait aussi avoir une battue très souple. Et quoi que puissent en penser beaucoup de critiques français, on estime tous à Bayreuth que Thielemann est un grand parmi les grands.

     

    Le 10/08/2007
    Yannick MILLON


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