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ENTRETIENS 27 avril 2024

Deborah Polaski, l'âme d'une aventurière
© Ruth Walz

Après avoir endossé le costume d'Elektra, qui lui est une seconde peau, et relevé le défi surhumain des berlioziennes Cassandre et Didon dans la même soirée, Deborah Polaski, soprano dramatique fétiche de Gerard Mortier, était simplement incontournable pour incarner l'héroïne du trop rare Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas.
 

Le 13/09/2007
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Anna Viebrock voit en Ariane une aventurière. Vous sentez-vous l'âme d'une super-héroïne ?

    Cette femme s'est fixée une mission, dont rien ne semble pouvoir la détourner, pas même les éblouissants diamants que révèle la sixième porte. Elle s'en pare l'espace d'un air, y prend plaisir, mais ne succombe pas à cette fascination qui a perdu les femmes qui l'ont précédée. Elle refuse de se laisser distraire de son objectif, qui est d'atteindre la septième porte.

     

    Dans la mesure où les épouses restent avec Barbe-Bleue, remplit-elle sa mission ?

    Si son but est de les emmener avec elle, elle échoue. Mais s'il s'agit d'offrir à ces femmes la liberté, le droit de choisir – ce qui est à mon sens bien plus fort –, elle réussit. Les portes sont ouvertes ; ce sont les épouses qui décident de ne pas en franchir le seuil.

     

    Ariane est-elle féministe ?

    Ce terme revêt pour moi une saveur désobligeante. C'est avant tout une femme forte, qui sait ce qu'elle veut. Elle fait face à un défi : sept clés lui ont été remises, mais elle ne peut en utiliser que six. Elle réagit comme une enfant voulant braver un interdit. De plus, elle sait que les femmes qui l'ont précédée ont été privées de leur volonté. La sienne est très forte, et elle veut à tout prix percer le mystère de la septième porte. Barbe-Bleue ne l'intéresse pas, il n'est qu'une des couleurs du tableau.

     

    Quel rapport entretient-elle avec la nourrice ?

    La nourrice est sa complice. Elle est happée par les bijoux, mais Ariane l'entraîne d'une pièce à l'autre, la poussant à ouvrir les portes. À l'ouverture de la cinquième porte, la vision des rubis, ces pierres couleur de sang, l'effraie, et elle hésite d'abord à ouvrir la suivante. Le lien qui unit ces deux femmes est très fort : il n'y a pas entre elles de rapport de servitude, ce sont pour ainsi dire des copines. Ariane est la plus active, la plus déterminée, et la nourrice la soutient.

     

    Dukas admirait beaucoup Wagner. A-t-il subi son influence dans le traitement de la ligne vocale ?

    Les phrases sont beaucoup plus courtes que chez Wagner, mais les couleurs de l'orchestre sont très similaires : il utilise une formation gigantesque, au son massif, mais qu'il sait soudain parer de transparences, de fragilités impressionnistes. Le danger existe que la voix soit engloutie par l'orchestre, d'autant que le rôle d'Ariane est relativement grave, mais Dukas écrit très bien pour la langue française. Je suis très heureuse d'avoir chanté les Troyens avant Ariane et Barbe-Bleue, car l'inverse eût été bien plus difficile. La langue de Maeterlinck est en effet très délicate à mémoriser, même pour les Français. J'ai d'ailleurs dû faire traduire le livret par un Français, car j'en aurais été incapable moi-même.

     

    Anna Viebrock est connue pour le réalisme de ses décors. Comment a-t-elle concilié son esthétique avec le symbolisme, l'impressionnisme même de cet opéra ?

    Les pièces sont divisées de manière à ce que l'on puisse voir dans chacune d'elles. Elles ont toutes une porte, mais on peut y pénétrer à travers les murs. C'est une combinaison intéressante, qu'elle utilise avec une grande maîtrise : les barrières physiques ne sont pas nécessairement visuelles, ce qui permet au public de les ressentir au même titre que les émotions.

     

    La profonde connaissance qu'a Sylvain Cambreling de ce répertoire vous a-t-elle aidé à vous en imprégner ?

    La partition regorge de changements de tempo, mais contrairement aux oeuvres de Berg et Schönberg, qui sont très précises à cet égard, elle ne porte aucune indication métronomique, avec des transitions toujours ambiguës. Grâce à son expérience, Sylvain Cambreling a su lui conférer une structure découlant à la fois de la situation dramatique, du mouvement de la musique, et de la prosodie, qui m'a rendu les choses bien plus évidentes. J'aime collaborer avec lui car il est extrêmement encourageant, très peu critique dans sa manière de travailler, et généreux face aux difficultés que peuvent éprouver les chanteurs. Il est toujours prêt à discuter une idée musicale. Il sourit presque constamment, et sait installer une bonne atmosphère de travail, ce qui est très important pour un chanteur.

     

    Pourquoi cet opéra est-il si rarement monté ?

    Sans doute parce que le rôle d'Ariane est ardu. Le sujet est d'autant plus connu que le Château de Barbe-Bleue de Bartók est fréquemment monté. Évidemment, la distribution implique plus de deux personnes, il faut un grand orchestre, un bon choeur. Les théâtres ont peur de mettre ce type d'oeuvres à l'affiche, parce qu'ils ne veulent être ni les premiers, ni les deuxièmes. En effet, si un chanteur tombait malade, ils auraient de grandes difficultés à le remplacer. Le public ne connaît pas l'oeuvre, car il n'en existe que de rares enregistrements difficilement accessibles, donc les théâtres ne prennent pas le risque de la monter, donc de susciter un intérêt. Il s'agit ni plus ni moins du problème de l'œuf et de la poule.

     

    Le défi n'en est donc que plus grand de s'y confronter.

    Je l'ai chanté une fois en concert il y a un peu plus d'un an. Lorsque qu'on me l'a proposé, j'ai répondu à mon agent que l'idée était fantastique, mais que c'était beaucoup de travail pour un concert. Il m'a convaincue en m'assurant que je le rechanterais. Après Paris, cette production sera présentée au Japon, et j'espère prendre part à une autre production, car l'apprentissage de cette pièce a représenté des mois de travail. Et puis, j'ai envie de savourer le développement de ce rôle ; ce n'est qu'après une dizaine de représentations que je le connaîtrai vraiment. De plus, il est nécessaire de se confronter à la nouveauté pour repousser ses limites.

     

    Un grand soprano dramatique dont les personnages de prédilection sont Elektra, Brünnhilde et Isolde rêve-t-il encore de nouveaux rôles ?

    Pas de rôles d'opéra. Mais j'ai envie de refaire certaines choses dans le répertoire de concert. Je dis souvent que j'aimerais aborder la Sorcière dans Hänsel et Gretel de Humperdinck, mais je mourrais sans regret si je ne la chantais pas.

     

    Seriez-vous prête, à l'instar de Martha Mödl, Astrid Varnay ou Leonie Rysanek, à aborder des rôles tels que Clytemnestre ou la Comtesse de la Dame de Pique pour continuer à chanter, si j'ose dire, jusqu'à ce que mort s'ensuive ?

    J'aime mon métier, la communication avec le public, mais il doit y avoir une fin. Plus le corps vieillit, plus il est difficile de le garder à un bon niveau de performance, surtout si l'on exige le meilleur de soi-même. Que suis-je prête à sacrifier pour cela ? Tant que je chanterai sur scène, je n'aurai pas suffisamment de temps pour enseigner autant que je le souhaite. En ce moment par exemple, je n'enseigne pas du tout. J'ai le désir de transmettre à d'autres chanteurs, d'une part ce que j'ai appris de mon professeur, d'autre part ce que m'a enseigné ma carrière. Écouter, analyser, résoudre les problèmes, cela demande une énergie totalement différente de celle que l'on déploie sur scène. Et cette lueur qui apparaît dans le regard d'un élève lorsqu'il saisit quelque chose est la meilleure des récompenses.

     

    Le 13/09/2007
    Mehdi MAHDAVI


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