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ENTRETIENS 20 avril 2024

Solveig Kringelborn, prima la Contessa
© Sigbjorn Sigbjornsen

Ariane dans la reprise de la production de Laurent Pelly, et Maréchale d'un soir la saison dernière, Solveig Kringelborn est désormais une straussienne incontournable. Gerard Mortier lui a confié sa première Comtesse Madeleine dans la reprise du Capriccio créé par Robert Carsen aux voluptueuses mesures de Renée Fleming, à qui elle a la lourde tâche de succéder.
 

Le 25/09/2007
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Prima la musica, o prima le parole ?

    Il me paraît plus important d'être une bonne actrice que de ne faire que du beau son. Le public doit pouvoir s'identifier aux personnages. L'époque des chanteurs plantés les bras en croix à l'avant-scène s'est éteinte avec Pavarotti. De plus en plus, les distributions sont composées en fonction du physique, et non de la voix. Il faut avoir la tête de l'emploi, et pouvoir jouer la comédie.

     

    Quels sont les difficultés techniques spécifiques à une conversation en musique comme Capriccio ?

    Mon expérience du Lied a été une clé pour acquérir une bonne diction. Il ne faut pas chanter trop legato, car Strauss frise ici le Sprechgesang. Dans ses Réflexions sur Capriccio, il indique que les chanteurs doivent dire le texte sans la musique, jusqu'au stade le plus avancé des répétitions. Mais il y a vraiment deux opéras en un ; la scène finale est totalement différente, particulièrement dans cette production, où il me faut surjouer un peu pour montrer que je suis une chanteuse qui interprète le rôle de la comtesse.

    Par fidélité à l'époque de la création, où il fallait que le rideau tombe avant le couvre-feu, nous jouons l'opéra sans entracte. Il est désormais très courant de ménager une pause après Wie werden die Schokolade hier im Salon einnehmen, et j'aurais préféré que ce fût le cas. La pièce est longue, tant pour le public que pour les chanteurs, et particulièrement pour moi, qui dois soudain chanter une grande scène lyrique après avoir adopté le ton de la conversation pendant près de deux heures. Je n'en avais pas mesuré la difficulté avant la générale. Je m'y sentirai certainement plus à l'aise après quelques représentations.

     

    On s'est souvent étonné que Strauss ait choisi un sujet qui peut passer pour futile, s'agissant d'une oeuvre écrite durant la Seconde Guerre mondiale.

    Il s'agit d'un commentaire sur son oeuvre, avec des références qui dénotent son sens de l'humour, d'une réflexion sur ce que l'opéra devrait être, où sont confrontées toutes sortes de points de vue : celui du comte, qui est réfractaire à cette forme, de La Roche, qui défend la tradition, de Flamand, qui donne le primat à la musique, ou encore d'Olivier, le poète. Strauss éclaire les différents aspects de la conception d'un opéra, et agit en homme d'expérience, soignant notamment l'équilibre entre les chanteurs et un effectif orchestral important, surtout lorsqu'on a à l'esprit que l'orchestre de chambre qu'il emploie dans Ariane à Naxos est parfois difficile à passer. Sans doute est-il étrange d'avoir choisi un tel sujet en temps de guerre, mais peut-être était-ce une manière de s'évader.

     

    Vous chantez principalement le répertoire allemand. Vous considérez-vous comme un soprano lyrique ou dramatique ?

    Durant les premières années de ma carrière, on ne me proposait que du Mozart, ce qui est très sain avant la quarantaine, car sa vocalité est idéale pour asseoir les bases de la technique. Mais après une douzaine de productions des Noces de Figaro, j'ai eu envie d'explorer d'autres contrées, et le répertoire germanique est venu naturellement, comme il est de tradition pour les chanteurs scandinaves.

    Strauss s'inscrit véritablement dans la continuité de Mozart, et je m'y sens chez moi. J'aime aussi chanter le répertoire slave. Il est évident qu'on n'utilise pas la voix de la même manière dans Mozart et Wagner, Strauss, ou Tchaïkovski. J'ai donc besoin de quelques semaines pour passer de l'un à l'autre. Tassis Christoyannis, qui chante Olivier dans cette production, me disait combien il était déroutant de chanter trois opéras de styles totalement différents dans une même semaine lorsqu'il était en troupe à Düsseldorf.

     

    Comment expliquer la vitalité de la nouvelle génération de chanteurs scandinaves ?

    Nous n'avons pas de professeur miracle. Sans doute cette génération a-t-elle davantage confiance en elle. Les Scandinaves ont toujours été un peu réservés, considérant que la famille était plus importante que la carrière. On a vu beaucoup de chanteurs partir un ou deux ans avant de rentrer au bercail. Aujourd'hui, la tendance est à vouloir explorer le monde. Je n'en ai pas moins pour règle de ne jamais être éloignée de mes enfants plus de deux semaines. J'ai besoin d'être heureuse pour faire mon métier, donc d'avoir ma famille autour de moi. Soit je rentre chez moi, soit ils viennent me voir. Chaque famille doit trouver son équilibre entre vie professionnelle et vie privée. C'est pourquoi je ne fais pas plus de trois productions d'opéras par an, en alternant avec des concerts, des récitals, des enregistrements.

     

    Comment composez-vous le programme de vos récitals ?

    Comme je viens d'un pays « exotique Â», je ressens la responsabilité d'en interpréter la musique. Je chante beaucoup Grieg, mais aussi d'autres compositeurs scandinaves. D'ailleurs, c'est ce que le public attend de moi. Il est plus intéressant pour moi de faire entendre ma langue natale, au moins durant une partie du récital, que de chanter Schubert. Je n'en suis pas moins attachée aux Lieder de Wolf et Strauss.

     

    Vous avez pris part à la création d'Adriana Mater de Kaija Saariaho. Considérez-vous comme un devoir d'interpréter la musique contemporaine ?

    Qui chanterait cette musique si nous refusions de le faire ? J'aime beaucoup travailler avec des compositeurs vivants, dialoguer avec eux, parfois même les guider. Ils sont si prompts à faire des modifications. Si seulement nous pouvions faire de même avec les compositeurs du passé ! Et c'est un bon exercice pour l'esprit que d'apprendre ce type de musique.

     

    De quels rôles rêvez-vous ?

    Cela change tout le temps. J'aimerais chanter Arabella, un jour peut-être Salomé, qui est un défi fantastique pour une actrice, et davantage le répertoire slave. Mais je ne suis pas suffisamment célèbre pour imposer mes choix. J'accepte les propositions lorsque je me sens à la hauteur. Ce que je fais en ce moment à Garnier est assez fou, mais Gerard Mortier m'a assuré que j'en étais capable. J'ai donc pris le parti d'essayer. Si j'échoue, ce ne sera pas la fin du monde, mais je pense que le rôle de la Comtesse Madeleine me convient. Les circonstances n'étaient sans doute pas idéales, car nous n'avons eu que deux semaines et demie pour monter un opéra d'autant plus délicat qu'il est indispensable de connaître tous les rôles, afin de pouvoir retomber sur ses pieds si quelqu'un faisait une erreur. C'était un grand risque, mais je suis heureuse de l'avoir pris.

     

    Y a-t-il des rôles que vous ne rechanterez jamais ?

    J'ai chanté Senta une fois. On me l'a sans doute proposé à l'époque parce que j'avais la tête de l'emploi, et mon agent m'avait dit que je pourrais le chanter de manière moins dramatique, mais je suis presque sûre que je ne le rechanterai jamais. De l'avis de tous mes collègues, ce rôle doit couronner un parcours wagnérien, non le commencer. Pour l'heure, je me contente des trois E, Elisabeth, Elsa, et Eva. Peut-être pourrai-je chanter Sieglinde un jour. Tout dépend des dimensions de la salle et de la capacité du chef d'orchestre à contenir le volume de l'orchestre. Mieux vaut un instrument qui se projette au-dessus de la fosse qu'une voix épaisse et gorgée de vibrato.

     

    Vous faites-vous souvent des amis dans cette profession ?

    Pendant six semaines, nous sommes anormalement proches : il faut embrasser des inconnus, repousser les limites de l'intimité. Même si je ne mêle pas ma vie professionnelle à ma vie privée, je reste en contact avec certains collègues, Bryn Terfel par exemple. Mon mari m'aide à communiquer avec eux, car je suis incapable de me servir d'un ordinateur. D'ailleurs, je ne sais pas conduire, et je déteste le téléphone. Je suis faite pour la musique, pas pour la technologie !

     

    Le 25/09/2007
    Mehdi MAHDAVI


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