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ENTRETIENS 25 avril 2024

Ian Bostridge, la liberté de choisir

Récemment en concert au Théâtre des Champs-Élysées de Paris avec le programme Haendel de son dernier CD chez EMI, le ténor britannique Ian Bostridge reste l'un des chanteurs les plus passionnants du moment. Un répertoire bien spécifique, une personnalité qui choque certains mais passionne le plus grand nombre, et un artiste qui peut se permettre de choisir.
 

Le 28/09/2007
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Pourquoi un disque tout Haendel ?

    De manière générale, je préfère consacrer un programme à un seul compositeur, sans doute pour en montrer les différentes facettes, pour bâtir quelque chose de cohérent. J'ai déjà fait un disque Bach, et Haendel me semblait être l'autre pilier fondamental de la musique baroque. J'ai d'abord songé à n'enregistrer que des airs d'opéra. Il y en a de très dramatiques et émouvants pour les ténors. Je pensais en particulier à ceux de Bajazet dans Tamerlano écrits pour Francesco Borosini. Mais il m'a finalement semblé que ce n'était pas bien pour un disque et que Bajazet valait plutôt un enregistrement intégral, avec ses nombreux passages dramatiques, notamment dans les récitatifs.

    Cherchant autre chose, j'ai écouté un enregistrement d'Ariodante, dirigé par Marc Minkowski. J'ai beaucoup aimé et ai eu envie d'en chanter des airs. J'en ai mis trois au programme d'un concert que j'ai donné à Carnegie Hall. J'ai constaté que cela fonctionnait bien et ce fut le point de départ du programme de ce disque. J'ai bâti le reste autour en recherchant ce qui correspondait le mieux au plus profond de ma sensibilité, ce qu'il y avait de plus romantique.

     

    Pensez-vous que Haendel soit aussi bon pour la voix que Mozart ?

    Je le trouve plus facile et meilleur pour moi que Mozart. Je trouve en général la musique baroque plus facile que la musique classique au sens strict du terme. La musique baroque est déjà de la musique romantique. Je m'en rends compte maintenant. Je n'aurais jamais dit cela avant. Les compositeurs romantiques sont pour beaucoup dans le regain de popularité du baroque. Il y a une filière partant de Schumann et remontant par Schubert jusqu'à Beethoven et dont la rhétorique beaucoup plus proche de celle du baroque que de l'équilibre prôné par la musique classique. La plupart des airs que je chante sont pour moi déjà dans la mouvance du Sturm und Drang.

     

    Quelle a été votre motivation dans la réalisation des disques Schubert que vous avez enregistrés avec Leif Ove Andsnes et qui rassemblent des oeuvres pour piano seul et des mélodies peu connues ?

    Nous voulions faire quelque chose de très travaillé, avec des oeuvres de même inspiration, les dernières sonates et des Lieder de la même veine, mais cela s'est révélé difficile sur la distance. En revanche, je trouve très intéressant le dernier que nous avons fait. Leif a eu l'idée de prendre des fragments pour piano, très significatifs des multiples arrêts et silences que l'on trouve dans l'oeuvre de Schubert dont plusieurs pages sont inachevées. Les trois mélodies enregistrées avec ces fragments et la Sonate en ut mineur sont aussi fragmentaires.

    De manière générale, je donne beaucoup de concerts Schubert, mais à part les cycles complets comme le Voyage d'hiver ou la Belle meunière, je n'ai pas eu envie d'enregistrer la totalité de ces récitals, préférant choisir seulement certains Lieder et les alterner avec de la musique pour piano. Cela correspond davantage à leur esprit, et je pense qu'ils sont mieux en valeur.

     

    Schubert a-t-il été important pour vous dès que vous avez commencé à faire de la musique ?

    Toujours, mais il l'est devenu encore plus. Je suis devenu chanteur par passion pour le Lied que j'écoutais chanté par Fischer-Dieskau avec Gerald Moore au piano, quand j'avais une quinzaine d'années. Je me rappelle avoir eu d'interminables discussions avec mon meilleur ami en classe. Il trouvait que Schubert était le plus grand compositeur au monde. Plus tard j'ai découvert autre chose que les Lieder, la musique pour piano et la musique de chambre. Je pense qu'il peut absolument tout exprimer, de la douceur à la plus grande violence, avec souvent des contrastes extraordinaires.

     

    Quelle différence faites-vous entre son univers et celui de Schumann ?

    Le monde de Schumann est très particulier car il était très engagé dans l'esthétique fragmentaire du romantisme et beaucoup plus psychotique, tourné déjà vers Wagner. Mais on veut trop adoucir Schubert. On ne l'aime pas lorsqu'il est trop violent, trop agressif, trop en colère, trop expressionniste.

    Schumann est un écrivain et sa manière d'écrire la musique est très littéraire. Son goût des titres en témoigne et aussi l'importance qu'il attache au texte musical. Il a été l'un des premiers à y attacher tant d'importance. Il écrit la musique comme on écrit un livre. Schubert était aussi lié à des cercles littéraires, mais il n'était pas partie prenante des conflits littéraires ou musicaux de l'époque comme l'était Schumann, très impliqué dans les mouvements nationalistes allemands de l'époque.

     

    Que vous chantiez l'Évangéliste dans la Passion selon saint Jean de Bach ou des Lieder, vous donnez l'impression de chanter les mots autant que la musique.

    Le rapport entre les mots et la musique est très compliqué. Je ne crois pas chanter les mots en tant que tels, si ce n'est à travers la ligne harmonique de la phrase qui est un peu comme la langue parlée. C'est la musique que je chante, étant bien entendu que les mots ont inspiré le compositeur quand il l'a composée et qu'ils sont indissociables de la structure musicale.

     

    Beaucoup d'instrumentistes considèrent l'univers de Bach comme très spécifique et n'osent souvent pas l'aborder. Qu'en pensez-vous ?

    C'est effectivement très différent de Haendel mais mon grand regret est de ne pas en chanter assez. Chanter l'Evangéliste reste pour moi l'une des expériences les plus extraordinaires. En partie parce qu'on raconte une histoire, et une histoire fabuleuse, en partie parce que c'est vous qui la structurez. On pourrait presque dire que si l'Évangéliste est bon, le chef n'a pas grand chose à faire. Et puis le phrasé de Bach est magnifique et harmoniquement très intéressant. Je n'en chante malheureusement pas souvent. Je dois faire la saint Matthieu cette année à Boston, mais je crois bien que c'est la première depuis celle du Festival de Saint-Denis avec Rattle en 2002 !

     

    Que peut-il se passer maintenant de plus dans votre carrière ?

    Je n'ai pas l'intention de continuer à faire toute le temps la même chose. Ce n'est pas comme cela que j'imagine l'avenir, mais je ne m'interroge pas tous les jours à ce sujet. Je chante ce qui convient à voix. J'avais très envie de chanter Pelléas et je devais le donner à Barcelone en 2012, mais j'ai finalement renoncé. J'ai une famille et cela m'obligeait à rester trop longtemps loin d'elle à cause des répétitions. C'est dommage, mais il faut faire des choix.

    Je vais chanter Billy Budd en concert et il est possible que cela me conduise à le faire aussi sur scène. J'ai la grande chance de pouvoir choisir ce que je veux dans le domaine du Lied, de me dire que je vais chanter cette année Brahms ou l'année suivante Mahler. C'est un privilège que j'apprécie beaucoup.

    Au théâtre, je peux aborder une quinzaine de rôles, mais ce dont j'ai surtout envie maintenant, c'est de travailler avec certaines personnes. Deborah Warner, par exemple, qui est un grand metteur en scène. J'ai eu la chance de faire avec elle Mort à Venise qui est un chef-d'oeuvre, et nous allons le reprendre.

    Je fais beaucoup de récital mais j'ai une voix légère et je ne dois pas me laisser prendre au piège d'aborder des rôles trop lourds sous prétexte de faire du nouveau. Cela ne me tente d'ailleurs pas. J'adore l'opéra italien et on me dit parfois que je pourrais tenter certains rôles, mais c'est très limité. Sur scène je dois aussi faire Ottavio dans Don Giovanni et bien plus tard, une Flûte enchantée avec Deborah Warner.

     

    Avez-vous des projets d'enregistrement ?

    Mon prochain disque chez EMI sera le Schwanengesang de Schubert avec Antonio Pappano. Ce sera une sorte de compilation, deux disques, complétés par d'autres Lieder dont ceux des disques avec sonates. Ensuite, il y aura un disque baroque autour du répertoire des grands ténors de l'époque de Haendel, avec des oeuvres de Vivaldi, Thomas Arne, Gasparini. Avec Fabio Biondi que j'aime beaucoup. Cette fois, ce ne sera pas autour d'un seul compositeur, mais plutôt d'une époque.

     

    Le 28/09/2007
    GĂ©rard MANNONI


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