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ENTRETIENS 24 avril 2024

Sylvie Valayre, soprano lyrico-atypique

À l'heure où les chanteurs français sont enfin prophètes en leur pays, Sylvie Valayre fait figure de glorieuse exception. Car entre deux apparitions sporadiques à l'Opéra Bastille, son soprano à toute épreuve se prête aux rôles les plus périlleux du répertoire au gré des grandes scènes internationales. Elle est de retour dans la Tosca inusable signée Werner Schrœter.
 

Le 24/10/2007
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous chantez très rarement en France. Cela vous manque-t-il ?

    La question est plutôt de savoir pourquoi. Mais ce n'est pas à moi qu'il faut la poser. Cela ne me manque pas dans la mesure où je chante ailleurs. Pour un interprète, l'important est de participer à des productions de qualité. C'est dommage, parce que j'ai beaucoup d'amis qui n'ont pas les moyens d'aller m'écouter aux États-Unis, au Japon, ou à Moscou, mais qu'y puis-je ? J'ai été touchée que l'Opéra de Paris m'appelle pour remplacer au pied levé Maria Guleghina dans Macbeth en 1999, alors que je n'y avais jamais chanté. Jean-Philippe Lafont, qui est un ami depuis longtemps, avait donné mon nom, et je crois qu'il était très angoissé à l'idée que je puisse ne pas être à la hauteur, ce qui n'avait pas arrangé son rhume.

     

    Vous considérez-vous comme un soprano d'école italienne ?

    Il est vrai que j'ai étudié avec un professeur italien après avoir quitté la France. On dit que l'école italienne se base sur le travail des voyelles, et l'allemande sur celui des consonnes, mais je ne sais rien de tout cela. Je sais simplement qu'il y a une recherche de couleurs, et que je ne supporte pas de ne pas comprendre le texte. Nantie de cela, mon travail a consisté à essayer de trouver la couleur juste pour exprimer les sentiments d'un personnage au fil d'une tragédie, ou d'une comédie. Ce n'est donc pas seulement la voix qui se colore, mais les mots.

    Je ne peux imaginer que Tosca traite Scarpia de démon assoiffé de sang, alors qu'on est en train de visser un cercle de torture sur le crâne de son amant, avec une couleur angélique, chaude et extrêmement éduquée. Cela m'irrite parfaitement. Les consonnes de l'école allemande et les voyelles de l'école italienne sont donc absolument complémentaires.

     

    N'a-t-on pas de plus en plus tendance sur les scènes d'opéra à privilégier le physique et les talents d'acteur, au détriment de la voix et de la qualité du chant ?

    Donner un rôle extrêmement lourd à quelqu'un qui n'a ni les notes, ni la technique pour l'assumer sous prétexte que c'est un bon acteur, ou une bonne actrice, est très grave. On me dit, dans les directions des théâtres, que pour Desdémone ou Léonore de la Force du destin, une actrice est moins nécessaire que pour Lady Macbeth. C'est un point de vue. Mais qu'on donne des rôles comme Lady Macbeth, Salomé, Électre, que ce soit celle de Strauss ou de Mozart, à des chanteuses qui se contentent d'enfiler des perles de beau son m'angoisse tout autant. Je suis une outsider, je le sais, je l'ai toujours été. Je n'entre, ni ne veux entrer, dans aucun moule. Et je comprends que cela dérange énormément.

     

    Êtes-vous malléable avec les metteurs en scène ?

    Tout dépend de ce qu'ils me demandent. J'ai deux amis canadiens, Renaud Doucet et André Barbe, respectivement metteur en scène et scénographe, selon lesquels un concept de mise en scène ne doit pas être élaboré dans l'absolu, mais en fonction d'un public, ce qui signifie qu'on ne peut pas monter Turandot pour le public berlinois, avec ce que cela sous-entend de modernité de la ville elle-même, de la même manière que dans un théâtre beaucoup plus traditionnel.

    Il apparaît donc légitime qu'un metteur en scène de cinéma comme Doris Dörrie, qui est extrêmement féministe, moderniste, et dont la fille était, à l'époque où elle a monté Turandot, en pleine crise d'adolescence, avec tout ce que cela comporte de difficultés relationnelles, veuille dédier sa mise en scène à tous ces adolescents qui n'ont plus envie de communiquer avec le monde des adultes, parce qu'ils considèrent qu'ils sont grands et qu'ils ont le droit de faire ce qu'ils veulent.

    Il est bien dit dans le texte que Turandot est une jeune fille qui porte en elle la blessure du viol de son aïeule, et refuse le contact. En faire une petite princesse trop gâtée, qui réclame sans cesse à son père, chef d'entreprise, de nouveaux jouets, soit de nouveaux princes, a permis à Doris Dörrie d'obtenir de nous des réactions humaines, et pas hiératiques, qui n'auraient effectivement pas été valables dans cette production, sans trahir Puccini une seconde. Chanter un air impossible comme In questa reggia en sortant d'un immense ours en peluche avec des mouvements de kung-fu était une expérience malaisée, certes, mais fantastique.

    Toujours à Berlin, Peter Mussbach voulait que je chante la scène du somnambulisme de Lady Macbeth avec des mouvements saccadés, pour exprimer la perte d'équilibre. Je lui ai rétorqué que cela casserait complètement la ligne de chant, et lui ai proposé de figurer ce déséquilibre par les ondulations d'une algue, ce qui me permettait de contrôler mon souffle.

    Tous ceux qui voient cette production sont touchés à la vue de cette espèce de ver de terre blanc qui sort de son trou, totalement déséquilibré, et chante allongé par terre, la tête en bas, sur un plan incliné. Personne n'avait jamais vu cela, paraît-il. Il est évident que si une autre Lady doit me remplacer à la dernière minute, elle ne le fera pas, parce qu'il faut répéter les choses un peu folles. Mais pourquoi refuser si cela apporte quelque chose au personnage, sans nous mettre en danger vocalement et physiquement ?

     

    Quelle a été votre réaction quand vous vous êtes vue proposer des rôles aussi terribles que Lady Macbeth ou Turandot ?

    Je n'accepte jamais tout de suite. Après une générale de Madame Butterfly, le directeur du théâtre est venu me dire qu'il fallait que je chante Salomé. Essuyant de ma part un refus catégorique, il m'a assuré que j'avais tort. Je suis rentrée chez moi, en ai parlé à mon mari qui m'a répondu que c'était une excellente idée et, après que je l'eus traité de fou, m'a conseillé de regarder et de travailler la partition. J'ai commencé à regarder, et me suis dit que, décidément, ces deux hommes étaient fous.

    Au bout de six mois, ils l'étaient déjà beaucoup moins. Je n'ai pas accepté tout de suite, parce que je ne me sentais pas du tout capable de le faire. Mais en tournant la partition dans tous les sens, en faisant des recherches qui m'ont obligée à retravailler la danse, parce que je pensais que je devrais assumer une chorégraphie assez classique, j'ai intégré le personnage. Finalement, la production de Martin Kušej s'est révélée complètement moderne, intéressante, et surtout épuisante. Les suivantes ne m'en ont paru que plus simples.

    En ce qui concerne Lady Macbeth, je l'ai chantée pour la première fois en 1995. J'avais signé un contrat pour dix-huit représentations, avec six semaines de répétitions. J'ai chanté tous les jours, toutes les répétitions. Au bout de ces six semaines, le rôle était techniquement acquis. Certains de mes collègues ne chantent pas avant la première pour se préserver. Je ne sais pas faire cela, qui plus est lorsque je n'ai encore jamais chanté un rôle.

     

    Adaptez-vous vos réflexes techniques d'une production à l'autre ?

    Il me faudra chanter forte avec un chef cogneur une note que j'aurais chantée piano avec un chef délicat. Il en va de même pour l'acoustique. Le théâtre de Glyndebourne, où je viens de faire Macbeth, est incroyable : on y entend tomber une épingle. Si l'orchestre sonne vraiment beaucoup, je serai hélas obligée de poitriner un peu un son que j'aurais fait ailleurs en voix mixte.

    Je dois choisir entre un son un peu soutenu, qui risque de ne pas passer la rampe, et un son plus soutenu, que les spectateurs dont la culture est uniquement discographique accuseront de ne pas être orthodoxe. Mais avec le micro dans l'estomac, n'importe quelle colorature peut chanter Isolde, et je pourrais probablement enregistrer l'Orphée de Gluck, ou bien même Erda avec ma voix de soprano.

     

    Retrouvez-vous facilement vos marques lorsque vous reprenez une production, comme cette Tosca dans laquelle vous avez déjà chanté en 2000 et 2002 ?

    Cette production a été créée en 1994, et je ne l'avais jamais reprise avec Werner Schrœter, avec qui j'ai d'autant plus de plaisir à travailler qu'il nous donne beaucoup d'indications qui n'étaient pas forcément notées dans les cahiers de mise en scène. Parler avec le metteur en scène est toujours très intéressant, car les assistants, aussi géniaux soient-ils, ne peuvent pas systématiquement écouter tout ce qu'il dit à chacun des solistes, occupés qu'ils sont à déplacer les choristes et les figurants.

    Il arrive très souvent en Allemagne que les assistants qui reprennent des productions qui tournent depuis quarante ans n'aient pas été là à la création. Ils savent donc seulement par où doivent rentrer et sortir les chanteurs, mais rarement pourquoi. Si je ne sais pas pourquoi je dois aller au fond de la scène et revenir, alors que je n'ai pas à laisser passer un choeur, cela n'a aucun sens, et je vais oublier de le faire.

     

    Est-on obligé, dans une salle aussi grande que l'Opéra Bastille ou le Metropolitan Opera, d'outrer certains gestes pour que tous les spectateurs les perçoivent ?

    Lorsque j'ai chanté Liù dans Turandot, je devais prendre le poignard d'un soldat et m'en frapper l'abdomen. J'ai bien pris le poignard, et ai fait un petit geste. Mon professeur de chant, qui assistait à la répétition, m'a dit, bien qu'il ne se fût pas agi d'un grand théâtre, que je devais outrer le mouvement, c'est-à-dire lever les bras, monter le poignard, et ensuite redescendre vers mon abdomen pour me frapper, afin que les spectateurs du paradis comprennent ce que j'étais en train de faire.

    Ce conseil était valable parce que Liù était entourée par une foule. Mais dans une scène à deux personnages, par exemple la dispute entre Tosca et Scarpia, elle n'a pas besoin de faire de grands gestes. Il suffit qu'elle se tienne bien droite et qu'elle tourne la tête rapidement pour que l'on comprenne qu'elle le défie. Si elle tourne la tête lentement et en affaissant le buste, le public va penser qu'elle a peur. Je suis une chanteuse, mais je me considère aussi comme une actrice. Je n'en suis pas moins consciente que certains gestes plaqués peuvent très bien fonctionner.

     

    L'assassinat de Scarpia n'est-il que le fruit d'une impulsion ?

    Tosca est un personnage extrêmement violent, mais pas parce qu'elle est une prima donna. C'est une jeune femme, pas une femme mûre qui vient faire un scandale à son jeune amant noble, mais révolutionnaire, voltairien, et donc athée, dans une église. Elle a été découverte à Vérone, pendant qu'elle gardait ses moutons, par le pape, qui l'a amenée à Rome pour apprendre à chanter. Elle n'a donc cultivé que sa voix, et comme Eliza Doolittle dans Pygmalion, on a dû lui dire, comme Higgins, de s'en tenir dans la conversation au temps qu'il fait et à la santé des gens. Elle n'a pas appris à se sortir de situations auxquelles elle n'a jamais été confrontée, particulièrement lorsqu'elle se retrouve dans le bureau de Scarpia, chef de la police de Marie Caroline d'Autriche, reine de Naples, avec son amant révolutionnaire soumis à la torture. Elle est croyante, jalouse, et ne sait pas comment réagir. Elle se laisse donc avoir.

     

    Quelle est la limite à ne pas dépasser entre le chant et la parole dans la confrontation avec Scarpia ?

    Puccini a laissé des annotations très précises à ce sujet dans la partition, auxquelles sont venues se greffer certaines traditions. Par exemple, Che v'ho fatto in vita mia ? Son io che cosi torturate ! est bien écrit chanté. Mais Torturate l'anima, si, l'anima mi torturate porte l'indication scoppia in singhiozzi strazianti, mormorando (elle éclate en sanglots déchirants, et murmure).

    Si l'orchestre joue pianissimo comme il est écrit, et si Spoletta ne chante pas fortissimo sa prière Judex ergo cum sedebit, on peut la suivre à la lettre, mais si Spoletta se prend à chanter forte, et que l'orchestre n'est pas contenu, on ne pourra pas murmurer. Nel pozzo
    nel giardino
    est écrit avec une voix soffocata, étouffée : ce sont des mi qu'on peut faire en voix mixte, c'est-à-dire parlée, sur les notes, mais évidemment pas avec le liant de Renata Tebaldi dans le Requiem de Verdi. Pour Assassino ! Voglio vederlo, j'ai écrit sur ma partition : « le parler sur les notes Â». Est-il dès lors possible de garder une intonation parfaite ? C'est un problème.

    Quant au fameux Quanto ?, la plupart des chefs m'ont demandé de le parler. Mais en retravaillant ma partition pour cette reprise, je me suis dit qu'il devait y avoir une raison pour que Puccini l'écrive sur deux do médium. Bien que mon pianiste, en Italie, ne l'ait jamais entendu ainsi, j'ai essayé de la chanter à la bonne hauteur, et cela m'a d'abord semblé ridicule. Mais j'ai fini par trouver : si on le fait comme c'est écrit, c'est-à-dire piano, mais avec un mépris sans borne, et qu'on donne ensuite davantage de son sur Il prezzo en voix parlée, cela fonctionne. Évidemment, il faut un peu se creuser la cervelle. Même soprane, on y arrive de temps en temps !




    À voir :

    Tosca de Puccini, Opéra Bastille, les 25, 27, 30 octobre, 2, 5, 11, 16 et 20 novembre (en alternance avec Catherine Naglestad les 24, 26, 29, 31 octobre, et 3, 8, 13 et 17 novembre).

     

    Le 24/10/2007
    Mehdi MAHDAVI


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