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ENTRETIENS 25 avril 2024

La Tour de Babel musicale de Klaus Heymann

Au coeur des polémiques sur le téléchargement, Naxos fête cette année ses 20 ans en se lançant à corps perdu dans la bataille de la musique online. Rencontre avec son fondateur, Klaus Heymann, dont le sens des affaires va de pair avec un certain idéalisme utopique : rendre disponible sur Internet toute la musique enregistrée depuis les débuts de la phonographie.
 

Le 02/11/2007
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Vous n'avez pas attendu les dĂ©veloppements de ces dernières annĂ©es pour vous prĂ©parer.

    Nous avons Ă©tĂ© le premier label Ă  avoir, en 1996, notre catalogue complet en ligne, bien avant que le tĂ©lĂ©chargement ne devienne le coeur de nos affaires. En 2003, nous Ă©tions logiquement le seul label capable de fournir Ă  Itunes toutes les donnĂ©es nĂ©cessaires. Notre position a donc Ă©tĂ© très forte pendant un long moment. Par la suite, d'autres plates-formes sont arrivĂ©es, et le plus grand succès a Ă©tĂ© remportĂ© par Emusic qui pratiquait pas le DRM (*). Il y avait aussi, notamment, Napster. Nous Ă©tions prĂŞts Ă  leur fournir tout ce dont ils avaient besoin.

    En 2002, nous avons lancé la Bibliothèque musicale Naxos parce que nous avions de toute façon déjà tout notre catalogue disponible en écoute sur notre site Naxos.com – mais seulement à 20 ko/s. Quand la crise du disque est survenue, nous avons décidé de lancer un service commercial s'appuyant sur le principe de l'abonnement, destiné aux universités, aux conservatoires, aux académies. Ce service est maintenant également proposé aux musiciens professionnels des orchestres, parce qu'ils peuvent y trouver tout ce qu'ils cherchent. Nous avons maintenant un site appelé Classicsonline.com.

     

    Du point de vue des copyrights, vous avez également été précurseurs.

    Quand nous avons créé Naxos et Marco Polo, nous demandions aux artistes de nous céder l'intégralité des droits, ce qui nous a permis de ne pas avoir à négocier de nouveau quand l'Internet est devenu une réalité. C'est cet aspect qui constitue un lourd handicap pour les majors. Ces dernières ont, par exemple, fait des enregistrements en coproduction avec des radios et, de ce fait, ne disposent pas entièrement des droits pour l'Internet. Nous sommes favorisés de ce point de vue. Je ne peux pas dire que je savais à l'époque ce qui allait se passer, mais je me considère comme chanceux.

     

    Vous avez de grands espoirs dans l'Internet, avec presque un sens du service public !

    J'ai l'espoir que, dans les deux ou trois années à venir, tout ce qui a jamais été enregistré soit disponible sur Classicsonline, appelé à devenir le lieu où le public pourra trouver tout ce qu'il veut grâce à un moteur de recherche qui a été classé par plusieurs blogs comme le meilleur existant actuellement.

    J'ai le projet de rendre disponible sur Naxos.com et Classicsonline tous les enregistrements LP vieux de plus de cinquante ans dont les droits sont arrivés à expiration. Nous avons commencé par les années 1955 et 1956, et l'année prochaine, nous nous attaquerons bien sûr à 1957. L'histoire entière de la musique classique sera ainsi accessible pour la première fois.

    Le problème, c'est que l'industrie du disque, actuellement, ne donne accès qu'à 2% de ce qui a été enregistré, et les détenteurs des droits réduisent dramatiquement l'accès à ce qui a été gravé dans l'histoire de la musique. Pour l'instant, nous n'avons pas encore les majors sur Classicsonline mais nous n'avons pas besoin d'eux : nous possédons tout ce que les gens désirent vraiment entendre au niveau du répertoire.

    Quant aux artistes, nous avons les droits concernant les grands noms du passé, avec des enregistrements de Gilels, de Solti, etc. Mais il en est de même pour la musique pop dont seule une fraction infime de ce qui a été enregistré est accessible. Prenez l'exemple du jazz et des grands jazzmen du passé : rien n'est accessible ! Les majors ne font rien et seuls des labels indépendants rééditent des enregistrements avec une restauration de très haute qualité.

     

    Quelles sont vos prévisions en matière de copyright pour les prochaines années ?

    Je dirais que d'ici cinq à six ans, il n'y aura pas d'accroissement des droits en Europe : il y a de fortes pressions pour qu'il en soit ainsi, mais il y a aussi suffisamment de bon sens pour empêcher cela. La législation mondiale n'est pas très claire.

    Aux États-Unis, tout ce qui a été enregistré jusqu'en 1972 est protégé par des droits mais dans le reste du monde, les droits expirent au bout de cinquante ans, à l'exception de Singapour et de l'Australie, où les droits courent sur soixante-dix ans, tout simplement parce que ces deux pays ont signé un pré-accord avec les États-Unis. L'industrie du disque pousse très fortement l'Europe à renforcer ce type de protection, mais la Communauté européenne a commissionné un expert dont on dit qu'il serait totalement opposé au renforcement de la protection.

     

    N'y a-t-il pas un décalage entre la réalité Internet et la connaissance effective des décisionnaires qui doivent statuer sur ce sujet ?

    Tous les gouvernements du monde ont conscience que l'Internet modifie les comportements. La loi, cependant, n'a pas rattrapé le développement de l'Internet et la proposition d'une licence globale en France, par exemple, est une idée ridicule – comment compenserait-on les pertes de l'industrie ? Peut-être un jour paiera-t-on le téléchargement comme on paie pour l'eau ou l'électricité. Peut-être aussi cela sera-t-il intégré à votre facture de téléphone, mais cela ne peut se mettre en place que dans bien des années, quand on saura mesurer à qui devra aller le reversement des droits.

     

    Ce qui est certain, c'est que l'Internet va modifier les métiers de la musique.

    Effectivement. Par exemple l'aire culturelle à travailler est bien plus grande qu'autrefois. Naxos.com a maintenant 250 000 abonnés, la revue Gramophone en a 50 000. Si on pousse un disque sur la page d'accueil d'Itunes, cela a infiniment plus d'impact que sur une page de publicité dans Gramophone ou qu'une critique dithyrambique dans une revue. Nous anticipons sur ce fait : quand nous mettons en avant sur notre site un artiste, avec une belle photo sur la page d'accueil, il est évidemment très heureux.

     

    Dans le monde même du téléchargement, les choses évoluent très vite.

    Je précise qu'Itunes n'est la plus grosse plate-forme de téléchargement qu'aux États-Unis. Au Japon par exemple, ils viennent derrière KDDI et au Royaume-Uni, ils sont encore très faibles, et ils ne sont pas très forts non plus en Italie ou en Espagne. Notre site Classicsonline sera disponible en plusieurs langues : anglais bien sûr, mais aussi japonais, coréen, chinois, espagnol, allemand et français. Il y a plus : dans certains pays comme le Japon et la Corée, le téléchargement sur les téléphones mobiles dépasse déjà celui sur ordinateurs.

     

    Devant la rapidité de cet essor, certaines personnes vont jusqu'à prédire la disparition rapide et totale du support physique, à savoir le CD. Mais on observe par exemple une tendance de certains labels, notamment indépendants, à offrir des packagings de plus en plus luxueux, comme Alia Vox ou Alpha en France.

    Je pense pour ma part que le CD va vivre sa vie parallèlement. Notre propre production de CD a connu cette année un accroissement frappant. Nous sommes distributeurs dans plusieurs pays et nous savons à quel point certains labels comme Naïve ou Harmonia Mundi travaillent. En conséquence, je suis persuadé qu'en musique classique, en jazz et en musique pop – cette dernière pratiquant plutôt le format de l'album que du titre simple –, le CD va survivre, avec effectivement un packaging plus travaillé, des livrets plus intéressants.

    Mon calcul est que dans les cinq ou six prochaines années, la part des CD ou DVD s'élèvera à 75% du marché et que le téléchargement occupera les 25% restants. En fait, on ne sait pas avec certitude ce qui se passera. Ce qui est sûr, c'est que notre service streaming a augmenté de 20% l'an passé et le téléchargement n'est encore pas allé aussi loin.

    C'est comme pour toutes les nouvelles technologies. Vous avez un groupe de personnes qui certainement téléchargent des choses. Mais ceux qui utilisent par exemple l'Ipod ne pratiquent pas le téléchargement, ils copient leurs CD. Mais si vous prenez les États-Unis, les revendeurs de disques classiques abandonnent ce pays, ceux qui ont vraiment un bon rayon classique sont rares, c'est un désastre. Cela reste bon en Europe, au Japon ou en Australie, l'Allemagne connaît certains problèmes.

     

    Quels sont les éléments qui pourraient renforcer l'essor du téléchargement en musique classique ?

    Tout d'abord, un accord sur les DRM – voire pas de DRM – aiderait beaucoup. Ensuite, lorsqu'on trouvera des technologies pour parvenir à une meilleure qualité sonore, on aura du coup une plus grande incitation. Il y a également la question du téléchargement des textes, car les passionnés de classique aiment à en disposer. De notre côté, nous achetons toujours les droits auprès des auteurs de nos textes, qui sont un élément à part entière de l'album.

     

    L'un des phénomènes de ces dernières années est la prise en main par les artistes eux-mêmes de leur e-commerce. Croyez-vous en la viabilité de ce modèle ?

    Il existe très peu de cas de réussites dans ce domaine. Il n'y a que deux ou trois artistes qui y sont parvenus sans le soutien d'une maison de disques. Il y a tellement de monde dans ce domaine, comment un artiste peut-il sortir du lot ? Je pense qu'un artiste isolé ayant son propre site ne peut réussir sans le soutien d'un label. Nous avons maintenant cinquante personnes qui travaillent constamment à mettre notre site à jour, à intégrer de nouvelles données quotidiennement – chaque jour, nous entrons environ une centaine de nouveaux titres –, à améliorer nos services, c'est un énorme travail.




    (*) DRM : Sigle anglais signifiant « gestion des droits numĂ©riques Â» (Digital Rights Management). Technologie sĂ©curisĂ©e qui permet au dĂ©tenteur des droits d'auteur d'un objet soumis Ă  la propriĂ©tĂ© intellectuelle (comme un fichier audio, vidĂ©o ou texte) de spĂ©cifier ce qu'un utilisateur est en droit d'en faire. En gĂ©nĂ©ral, elle est utilisĂ©e pour proposer des tĂ©lĂ©chargements sans craindre que l'utilisateur ne distribue librement le fichier sur le web.

     

    Le 02/11/2007
    Yutha TEP


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