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ENTRETIENS 20 avril 2024

Inga Kalna, Violetta baroque

Inutile de tisser des couronnes de superlatifs à Inga Kalna : il suffit d'écouter son Armida étourdissante dans le Rinaldo de Haendel gravé par René Jacobs pour Harmonia Mundi pour mesurer l'étendue de sa palette vocale et expressive. Elle succède à Emma Bell pour les cinq dernières représentations de la reprise d'Alcina au Palais Garnier.
 

Le 18/12/2007
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • René Jacobs vous a révélée en 2002 en vous confiant le rôle d'Armida dans Rinaldo de Haendel. Comment vous a-t-il découverte ?

    J'ai rencontré René Jacobs grâce à Alcina. Le Staatsoper de Hambourg, où j'ai passé huit ans, s'apprêtait en effet à monter Alcina dans la merveilleuse mise en scène de Christof Loy, reprise ensuite à Munich, qu'il était censé diriger. Je venais d'arriver à Hambourg, et puisque la direction savait que j'avais déjà chanté le rôle-titre à Riga, elle m'a proposé d'auditionner pour lui. Parce que le Staatsoper ne pouvait se permettre d'accueillir l'orchestre qu'il souhaitait, René Jacobs n'a finalement pas dirigé Alcina, mais il m'a engagée dès la même année pour une version de concert de Cora ed Alonso de Johann Gottlieb Naumann à Dresde et au Festival Haendel de Halle. Puis ses invitations se sont multipliées : Rinaldo à Montpellier et Berlin, Don Chisciotte in Sierra Morena de Conti à Innsbruck, et plus récemment la Patience de Socrate de Telemann, que nous avons donnée en concert à la Cité de la musique. J'ai trois autres projets avec lui, dont deux au moins devraient aboutir.

     

    Que vous a-t-il appris sur l'interprétation du répertoire baroque ?

    Avant d'étudier le chant, j'étais musicologue. J'avais donc une connaissance théorique de l'ornementation, des affetti. Leur mise en pratique dépend le plus souvent de la personnalité et des goûts du chef. Certains sont très stricts, tandis que d'autres sont plus libres vis-à-vis de l'esthétique, du style. C'est la première fois que je travaille avec Jean-Christophe Spinosi, et il a une approche plutôt romantique de la musique baroque. J'aime son enthousiasme, sa fraîcheur presque enfantines. Il a une énorme personnalité.

     

    Improvisez-vous les ornements ?

    Très souvent. Mais encore une fois, cela dépend du chef. Certains sont agacés, parce qu'ils veulent contrôler le moindre détail, parfois même jusqu'aux respirations. C'est épouvantable ! Durant ma troisième année à Hambourg, j'ai pris part à un spectacle assez étrange autour de cantates de Bach, et à la première répétition, le chef m'a prié de chanter avec moins de vibrato. Je lui ai rétorqué que je devais chanter la Traviata le surlendemain, et que cela m'était impossible. Je ne chante pas seulement Pérotin et Roland de Lassus, je chante aussi Puccini, mais je n'ai pas le vibrato d'une Brünnhilde ; il a donc dû faire avec.

    Si j'aime tant travailler avec René Jacobs, c'est qu'il prend la voix telle qu'elle est, pour mieux la pousser dans ses derniers retranchements. Je n'aurais probablement même pas essayé de faire ce que j'ai fait dans Rinaldo et la Patience de Socrate s'il ne m'y avait incitée. Sa capacité à élargir notre champ d'expression musicale est stupéfiante. Il envoie aux chanteurs une partition annotée plusieurs mois avant les répétitions, avec toutes ses idées sur la dynamique, et des remarques sur le texte en allemand, flamand et français. Rares sont les chefs qui préparent autant leurs partitions. Lorsque j'ai découvert le Furie terribili d'Armida, j'ai pensé qu'il était devenu fou : la montée jusqu'à l'explosion de coloratures me paraissait proprement inchantable. Mais il m'a assurée que je pouvais le faire.

    J'improvise si le chef le permet, et s'il ne panique pas de peur que tout aille de travers. René écrit toujours les ornements, mais ils ne sont pas obligatoires, ils constituent une base, et ont l'avantage de porter sa signature. S'ils ne sont pas confortables, et s'ils ne portent pas un élan dramatique trop important, on peut les ajuster. Dans ce même Rinaldo, l'ornementation de Ah, crudel ! me doit autant qu'à René, car c'est un air que je chantais depuis des années, et qui a beaucoup d'importance pour moi. Cela fait huit ans que je chante Alcina, et j'essaie toujours de varier les ornements et les cadences en fonction de ce qui se passe sur scène et des tempi.

     

    Vous êtes considérée comme une spécialiste du répertoire baroque, mais vous chantez aussi les grands rôles romantiques.

    À Hambourg, j'ai chanté Lucia, Gilda, Violetta, Adina de l'Élixir d'amour, Fiorilla du Turc en Italie, Mimi, Liù, etc. Mais ce que j'ai fait à l'extérieur, c'est-à-dire principalement le répertoire baroque, a eu davantage de retentissement dans la presse. Je vis à Hambourg, et j'y reprends cette année la Traviata, la Bohème, le Turc en Italie et Mathis der Maler de Hindemith en tant qu'artiste invitée. Je vais également faire le Turc en Italie au Capitole de Toulouse, et retourner au Théâtre national de Lettonie après six ans d'absence, pour chanter Alcina et Mimi.

    Le baroque est ma grande passion. Lorsque j'étais étudiante, mon professeur me disait que si je ne chantais pas bien, je serais condamnée à ne faire que du Lied, et que si je ne réussissais pas dans ce domaine, je ferais du baroque. Rétrospectivement, elle avait tort, car cette musique ouvre des perspectives inimaginables dans le répertoire romantique, particulièrement dans les parties de castrats qui permettent d'élargir la palette d'affects généralement dévolue à une voix de soprano. Je n'en rêve pas moins de chanter Anna Bolena ou Maria Stuarda, dont les difficultés cachées font un des rôles les plus dangereux du bel canto.

     

    Utilisez-vous votre voix différemment selon les répertoires ?

    Si je chante Mimi ou Violetta, vous reconnaîtrez le timbre de ma voix, mais chaque rôle a des exigences différentes, en termes de virtuosité, de couleurs, de force. Pour une voix relativement légère comme la mienne, l'orchestre du troisième acte de la Bohème sera plus difficile à passer que pour une chanteuse habituée à Agathe du Freischütz, Elsa de Lohengrin, ou Lady Macbeth. Mais quoi qu'il arrive, il faut qu'on m'entende. C'est une question de technique d'émission. Le répertoire baroque nécessite une voix plus agile, fluide, légère. Le bel canto exige aussi une certaine limpidité, alors que dans le vérisme, les couleurs sont totalement différentes.

    L'orchestre le plus imposant avec lequel j'ai chanté est celui de Mathis der Maler. Le rôle de Regina est très lyrique, et l'accompagnement très transparent, mais dans l'ensemble qui précède la bataille, je devais lutter non seulement contre l'orchestre, mais aussi un gigantesque soprano dramatique, un ténor wagnérien, et une voix de Wotan capable de tuer rien qu'en émettant un son. Et on m'entendait encore. J'ai la grande chance de pouvoir aborder des musiques de toutes les époques, et de me sentir à l'aise partout.

     

    Est-ce la femme ou la magicienne qui domine en Alcina ?

    L'accent mis sur telle ou telle facette du personnage dépend beaucoup de la vision du metteur en scène. Robert Carsen a voulu évacuer les aspects négatifs du personnage, et donc ses attributs magiques, et cette fureur despotique, démoniaque que certaines scènes révèlent. Son Alcina est donc plus femme que sorcière. C'est pour cette raison que le tambourin et le choeur joyeux qui achèvent la partition de Haendel ont été éliminés. À l'époque baroque, le lieto fine était un passage obligé, mais les attentes esthétiques de la société moderne diffèrent. Les deux versions me conviennent, pour peu qu'elles soient suffisamment fortes pour être crédibles.

     

    Alcina n'est-elle pas plus à même d'attirer la sympathie qu'Armida dans Rinaldo ?

    Dans la vision de David Alden à Munich, Armida attirait encore moins la sympathie que dans la mise en scène de Nigel Lowery et Amir Hosseinpour présentée à Montpellier et Berlin. Alcina est une Traviata baroque. Violetta ne meurt pas de sa maladie, mais parce qu'elle a été abandonnée, trahie. De la même manière, Alcina n'est plus rien parce que Ruggiero la quitte. Le personnage de Melisso, le précepteur de Bradamante, est assez similaire à Germont, quels que soient les moyens mis en oeuvre pour détourner Ruggiero d'Alcina.

     

    Qu'est-ce qui, chez elle, séduit autant les sopranos lyriques, voire dramatiques, que les sopranos légers, et même les mezzos, puisque Joyce DiDonato vient d'enregistrer le rôle avec Alan Curtis ?

    Sans doute la très brillante palette de couleurs, l'amplitude entre la joie et le chagrin. La sensualité du premier air, Di, cor moi, présente une femme au sommet de son bonheur. La mélancolie de Si, son quella fait évoluer le personnage vers les douze minutes de lamento suicidaire de Ah ! Mio cor, avec sa partie centrale très contrastée, vindicative. Après l'accompagnato, Ombre pallide fait entendre la peur qui l'envahit. Avec sa section centrale très limpide où elle implore Ruggiero de revenir, Ma quando tornerai est un véritable tour de force. Mais l'air le plus difficile est Mi restano le lagrime, parce qu'il arrive à un moment très étrange sur le plan dramatique, après l'explosion de joie de Sta nell'Ircana, et le seul air lent, lyrique de Bradamante, qui m'inciterait, à entendre Sonia Prina le chanter dans cette production avec un espoir, une pureté qui me tirent des larmes, à lui abandonner Ruggiero sans résistance.

    Cet air ne dit rien de nouveau, il ne fait que montrer ce personnage qui pouvait paraître effrayant au début tel un vieux chien qui ne peut plus mordre personne. J'ai participé à une production où durant cet air, Alcina devenait vieille, comme si elle s'était nourrie de la force des hommes qu'elle gardait prisonniers, et comme si elle avait vécu plusieurs vies, à l'instar d'Elina Makropoulos. Sa jeunesse l'abandonne en même temps que son pouvoir, c'est une très belle manière d'exprimer ce que ressent le personnage.

     

    C'est d'ailleurs ce qui advient dans le Roland furieux de l'Arioste, où sa beauté n'est que le fruit d'un enchantement.

    Les poètes et les compositeurs de l'époque baroque étaient fascinés par ces personnages qui, du sommet de leur pouvoir, de leur beauté, de leur sex-appeal, se retrouvent réduits à néant, l'inverse en somme de Cendrillon. C'est d'autant plus intéressant aujourd'hui. Il suffit en effet qu'un secret d'un homme politique soit dévoilé pour que plus personne ne le croie. Cela me rappelle aussi cette image représentant un verre blanc sur fond noir qui, en changeant de point de vue, révèle deux profils face à face. C'est la même chose avec ce personnage, Alcina n'est qu'une illusion d'optique !




    À voir :

    Alcina de Haendel, Palais Garnier, jusqu'au 26 décembre.

     

    Le 18/12/2007
    Mehdi MAHDAVI


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