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ENTRETIENS 24 avril 2024

Ana Maria Martinez, entre cabale et amour
© Tom Specht

Sur scène une fraîcheur, un naturel, une aisance, et puis une voix ductile, liquide mais corsée, dont un heureux événement avait privé Donna Elvira dans la reprise du Don Giovanni signé Michael Haneke. Amelia distinguée d'un Simon Boccanegra contesté, Ana Maria Martinez revient sur la scène de l'Opéra Bastille dans la nouvelle production de Luisa Miller de Verdi.
 

Le 15/02/2008
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Ă€ l'instar de Gilda et Violetta, Luisa Miller requiert autant de lĂ©gèretĂ© que de lyrisme, voire de dramatisme. Comment pliez-vous votre instrument Ă  ces exigences ?

    Ces rôles nécessitent en effet deux, et parfois même trois voix différentes. Le début de Luisa Miller est assez léger, mais cette partie est très intelligemment écrite, comme si on commençait en se chauffant la voix, sans forcer – je l'aborde de manière très légère, mais connectée au corps. Puis, au fur et à mesure de l'opéra, tant l'histoire, d'un point de vue psychologique, que l'écriture vocale gagnent en épaisseur, suivant le développement naturel de l'instrument au cours d'une soirée. Sans doute l'inverse serait-il impossible. Néanmoins, le duo avec Miller au troisième acte demande encore une certaine légèreté. Il faut donc prendre garde à ne jamais s'abandonner totalement.

     

    Luisa Miller apparaît comme une enfant, innocente et amoureuse, forcée de se sacrifier.

    Au début, Luisa est totalement pure, très protégée. Elle n'a jamais été exposée à la méchanceté, ou à une situation douloureuse, bien que, comme dans la plupart des opéras de Verdi où un père et sa fille sont très proches, nous ne sachions pas ce qu'est devenue la mère. Il ne s'agit donc pas seulement de la perte de son innocence, mais de la violence avec laquelle on la lui prend.

    L'homme dont elle est amoureuse lui a menti, parce qu'il est issu d'une certaine noblesse, d'ailleurs obscurcie par le crime de son père. Le personnage de Wurm, qui est un parangon de malignité à l'image de Paolo Albiani dans Simon Boccanegra et Iago dans Otello, affirme son emprise sur Luisa par un viol symbolique. Elle parcourt un arc tendu entre la pureté absolue et la destruction totale, par la folie, la mort – mais une mort désirée, heureuse.

     

    Vous avez débuté sur la scène de l'Opéra Bastille dans la production très controversée de Simon Boccanegra mise en scène par Johan Simons. L'approche plus traditionnelle de Gilbert Deflo vous rend-elle plus confiante ?

    Lorsque nous nous retrouvons après quelques productions à l'allemande dans une mise en scène très conservatrice, il nous arrive, à mes collègues et moi, de nous regarder sans trop savoir quoi faire ! J'aime l'audace si elle est justifiée par une réflexion profonde, et non une lubie du metteur en scène, car si elle n'a pas de sens, il nous est impossible de l'intégrer suffisamment pour l'incarner sur scène.

    Ce Simon Boccanegra fut une expérience très intéressante, et nous appréciions beaucoup le metteur en scène, qui est très bon dans son approche basée sur l'improvisation. Mais à l'opéra, il faut aller au-delà. Un certain niveau d'improvisation est nécessaire pour donner vie à une représentation, mais nous avons besoin, pour notre sécurité vocale à certains moments clé de la partition, d'un cadre fixe. De ce point de vue, Gilbert Deflo est d'une grande précision. Chaque scène fourmille de détails qui peuvent parfois sembler anodins, mais qui ont un réel impact sur la vision globale. Ce qui ne nous empêche pas de trouver une flexibilité à l'intérieur même de ces limites.

     

    Vous semblez très à l'aise sur scène. Avez-vous bénéficié d'un enseignement dramatique durant votre formation musicale ?

    À la Juilliard School, mon expérience a été très académique. Puis j'ai intégré le programme pour les jeunes artistes de l'Opéra de Houston, où j'ai acquis beaucoup d'expérience scénique. J'ai donc eu six ans pour me concentrer sur la technique, le répertoire, les langues, la théorie et l'Histoire de la musique, avec d'aborder la scène avec ce bagage fantastique. Il y a de très bons acteurs parmi les chanteurs d'opéra, mais la difficulté de certains rôles va parfois à l'encontre de la prestation théâtrale. J'aime beaucoup Nedda dans Pagliacci, car le répertoire vériste requiert un engagement tellement viscéral qu'on ne pense plus vraiment au chant. Et si l'échange entre les partenaires est stimulant, la représentation peut se hisser à un niveau extraordinaire.

     

    Est-il facile d'atteindre le public dans une salle aussi grande que l'Opéra Bastille ?

    J'ai eu l'occasion de chanter avec Plácido Domingo et parfois Andrea Bocelli devant vingt mille personnes. Ces concerts sont évidemment amplifiés, mais je me suis rendue compte que nous devions servir le public avec la même honnêteté quel que soit le nombre de spectateurs. Nos professeurs nous disaient de ne pas chanter seulement pour le premier rang, où sont assis ceux qui n'ont pas à se soucier du prix de leur billet, mais pour ceux qui ont économisé pour s'offrir une place debout pour une représentation qui a sans doute bien plus d'importance pour eux. Nous devons nous assurer qu'ils puissent entendre chaque note, chaque consonne de chaque mot que nous chantons. J'ai toujours cela en mémoire. Nous devons essayer de toucher tout le monde.

     

    Comment votre voix s'est-elle développée depuis vos débuts ?

    En dehors d'un bon professeur et de répétiteurs dont on a toujours besoin, la scène est la meilleure école, parce qu'on y apprend à trouver un rythme – lorsque j'ai débuté à Houston en Micaëla, j'ai tout donné dans le duo avec le ténor, et j'étais folle de nervosité durant les cent sept minutes qui le séparaient de l'air !

    Avec le temps, si l'on chante avec une technique saine et que l'on prend soin de soi, certaines choses deviennent plus faciles, mais aussi différentes. Je n'aurais jamais pu aborder Nedda dans Pagliacci au début de ma carrière, ni Luisa Miller. Je vais chanter ma première Madame Butterfly en 2010, alors que je pensais ne jamais m'attaquer à ce rôle. Le processus qui permet à une voix de devenir suffisamment solide, tout en conservant la douceur et la souplesse nécessaires, pour évoluer vers un répertoire différent, est très intéressant.

     

    Reprenez-vous certains rôles que vous chantiez à vos débuts pour tester votre technique ?

    On ne me propose plus Pamina, un très beau rôle noble, qui me permet de tenir les rênes. La voix est en effet comme un cheval. Lorsqu'il veut courir plus vite, il faut lâcher un peu la bride, et la reprendre avant qu'il ne prenne un mauvais chemin. Il m'arrive donc de me replonger dans les partitions de la Flûte enchantée et de l'Élixir d'amour pour m'assurer que tout est en ordre.

     

    Avec quel rĂ´le pensez-vous atteindre votre limite ?

    Je n'irai certainement pas au-delà de Madame Butterfly. Marta Domingo, une femme formidable et d'excellent conseil, m'a dit au début de ma carrière de ne jamais accepter un rôle au-delà de mes limites, parce qu'il est déjà suffisamment exigeant d'être sur scène pour ne pas prendre le risque de se sentir constamment obligé d'atteindre quelque chose qui ne nous est pas naturellement accessible.

    Une telle expérience peut laisser une empreinte profonde sur la psyché, et entraîner des angoisses lorsqu'on doit monter sur scène de nouveau. Luisa Miller n'est pas facile, et je sais que je dois être très disciplinée quand je la chante. Avec Mimi et Donna Elvira, un de mes rôles préférés, je n'ai pas à m'en préoccuper. Lorsque j'ai abordé Luisa Miller voilà sept ans, je savais qu'il était trop tôt, mais j'ai accepté car je me sentais capable de le chanter. Maintenant, c'est le bon moment.

     

    Votre voix a-t-elle changé depuis la naissance de votre enfant ?

    J'ai constaté des différences dès le deuxième trimestre de grossesse. J'avais l'impression d'être Wonder Woman et de pouvoir tout chanter, ce qui d'ailleurs était le cas. Après l'accouchement, j'ai ressenti davantage de facilité d'émission, et cela m'est resté. Je ne sais pas si cela s'entend, mais ma voix a une meilleure assise corporelle. Elle ne s'est pas assombrie, mais a gagné en solidité.




    À voir :

    Luisa Miller de Verdi, Opéra Bastille, les 14, 17, 20, 23, 26 et 29 février, et les 2, 5, 8 et 12 mars.

     

    Le 15/02/2008
    Mehdi MAHDAVI


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