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ENTRETIENS 26 avril 2024

Le baptĂŞme lullyste d'Anne Sofie von Otter

De Monteverdi à Elvis Costello, de Purcell à Abba, Anne Sofie von Otter peut, sait tout chanter. Et sa haute silhouette distinguée lui permet toutes les métamorphoses, d'adolescents vindicatifs en vamps et rois pervers. Avec Médée, Emmanuelle Haïm lui offre sa première sorcière dans Thésée de Lully, que présente le Théâtre des Champs-Élysées.
 

Le 18/02/2008
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • L'interprète de la tragĂ©die lullyste se doit d'ĂŞtre aussi bon, voire meilleur acteur que chanteur. Cela vous pose-t-il des difficultĂ©s ?

    Cela pose évidemment des problèmes, mais c'est un travail très agréable, très excitant, et très nouveau, même si l'on cherche le sens caché dans d'autres répertoires. Jean-Louis Martinoty parle justement beaucoup des doubles sens, car selon lui, les Français ne disent jamais ce qu'ils pensent vraiment. C'est assez difficile à concevoir pour une Suédoise, car nous sommes plutôt francs, et ne nous embarrassons pas de périphrases. Ce travail est difficile, mais je le fais avec énormément de plaisir, parce que j'aime beaucoup ce style de musique. Il faut bien utiliser le texte, prononcer très clairement, ce qui suffit à passer l'orchestre de Lully. C'est d'ailleurs comme cela que j'ai chanté Brangäne, car moi qui n'ai pas du tout une grande voix, je peux vraiment m'appuyer sur le texte pour me faire entendre.

     

    Comment avez-vous assimilé l'ornementation spécifique à ce répertoire ?

    Je ne l'ai jamais vraiment apprise, mais j'ai beaucoup écouté Castor et Pollux par Harnoncourt et les Boréades par Gardiner lorsque j'étais étudiante et au début de ma carrière. Cela m'est resté. Puis j'ai fait un extrait d'Hippolyte et Aricie avec Marc Minkowski, et des extraits de Médée de Charpentier et d'opéras de Rameau en Suède avec Emmanuelle Haïm. Maintenant, je sais plus ou moins qu'il faut mettre des ports de voix presque partout. Et si on a un doute, il faut en mettre un !

     

    Vous avez chanté le répertoire baroque sous la direction des plus grands. Qu'Emmanuelle Haïm vous apporte-t-elle de nouveau ?

    Comme Marc Minkowski et Christophe Rousset, elle est extrêmement bien préparée. Elle connaît le texte par coeur – beaucoup mieux que nous au début des répétitions. Elle a cette énorme énergie indispensable. Elle adore faire de la musique, et on voit qu'elle y prend du plaisir. Elle se met toujours dans le caractère. C'est une vraie femme de théâtre.

     

    Médée est une amoureuse, mais aussi un personnage maléfique. Cet emploi n'est-il pas nouveau pour vous ?

    Serse est aussi un peu mĂ©chant. Ottavia est en colère et dĂ©sespĂ©rĂ©e. J'ai l'impression d'avoir incarnĂ© beaucoup de rĂ´les de ce genre, mais certes pas de vraies sorcières. MĂ©dĂ©e est un personnage assez complexe, parce qu'elle est terriblement amoureuse de ThĂ©sĂ©e. Son passĂ© avec Jason et ses enfants lui pèse affreusement. Elle souffre en disant : « j'immolai mes enfants, j'osai les Ă©gorger Â». Elle doit se battre contre elle-mĂŞme pour essayer de ne pas tuer tout le monde Ă  cause de son amour. Ses premiers mots sont : « Doux repos, innocente paix, heureux un coeur qui ne vous perd jamais ! Â» Elle ne peut s'aimer telle qu'elle est.

     

    Votre français chanté est d'une clarté, d'un naturel exemplaires. Quel est votre secret ?

    J'adore chanter en français. J'ai commencé dès ma première saison à l'Académie de musique de Stockholm avec les Trois Chansons de Bilitis de Debussy. Il paraît que j'ai une puce électronique dans la tête pour la prononciation, surtout en chantant ! J'ai la chance d'avoir ce don, car c'en est un. Certaines personnes sont incapables de bien parler une langue après des années à l'étranger, alors que d'autres sont presque bilingues au bout de six mois. Ce n'est pas très juste, mais c'est comme cela.

     

    Comment expliquez-vous la bonne santé de l'école de chant scandinave ?

    Elle est surtout représentée par les Suédois et les Finlandais. Pourtant, nous sommes très différents, bien que nous habitions sur le même méridien. En Suède, il y a une grande tradition chorale. De plus, notre langue n'est ni trop en arrière, ni trop avant, et n'a pas trop de consonnes. Peut-être est-ce un avantage. Nous sommes également très sérieux, et apprenons à lire la musique en profondeur. Les américains aussi ont cette discipline. Je travaille énormément, et je place la barre très haut, car je veux toujours bien chanter, et connaître exactement le style de la musique que j'interprète.

     

    Vous chantez d'ailleurs la musique pop avec le mĂŞme soin, la mĂŞme attention aux mots.

    Je ne peux pas l'éviter, sans tomber dans l'excès et risquer d'être maniérée. Il s'agit surtout de trouver des mélodies justes pour ma voix, ni trop jazz, ni trop pop. Elvis Costello a été très sage et très intelligent dans notre collaboration, et plus le temps passe, plus je trouve ce disque réussi, plus que celui que j'ai fait avec Benny Anderson.

     

    Avec les années, votre voix semble s'être développée vers l'aigu.

    Ma voix était assez naturelle, et il m'a fallu trouver une assise corporelle, sans pousser – à mes débuts, j'ai beaucoup poussé pour chanter plus fort. Elle est plus ferme maintenant, plus travaillée. Mais j'ai toujours eu peur de l'aigu. J'en ai toujours eu, mais je n'aime pas l'utiliser. Soit il faut le faire sans réfléchir, soit il faut des nerfs que je n'ai pas. Alors il faut m'y forcer. C'est dommage, parce que je n'ai pas chanté certains rôles que je trouvais trop hauts, alors qu'ils ne l'étaient pas.

    Brangäne, Alceste, Didon et Judith sont les seuls rôles vraiment larges que j'ai interprétés. Je ne peux, ni ne dois les chanter trop souvent. Mais si je veux prendre ces risques, c'est maintenant qu'il faut le faire – à trente-cinq ans, c'était trop tôt, et à soixante-cinq, ce sera trop tard. Avoir chanté la Didon de Berlioz en octobre et maintenant ce Lully, dont la tessiture est beaucoup plus courte, est très bon pour la voix.

    Didon est mon maximum parce que l'orchestre est assez imposant, mais j'adore chaque note des Troyens. J'étais tellement contente d'avoir la possibilité de le faire, parce qu'on ne monte pas très souvent cet opéra, et la plupart du temps avec des sopranos dramatiques comme Deborah Polaski.

     

    Vous faites partie d'une génération de chanteurs qui savaient, et pouvaient encore prendre leur temps.

    Je n'avais pas l'impression d'être pressée, bien que j'aie commencé assez tard. Je n'ai pas réfléchi, parce que je n'ai jamais voulu faire une carrière. Je voulais juste faire de la musique. Chanter dans les meilleurs choeurs de Suède et quelques parties solistes dans des oratorios me rendait très heureuse. Ce sont des agents qui m'ont dit qu'il fallait que je fasse de l'opéra. Mais mon agent de l'époque était très sage. Si je voulais rester tranquillement avec mes amis, elle était d'accord, et lorsque j'ai eu mes enfants, elle m'a dit de rester en Suède.

     

    Enseignez-vous ?

    Je vais probablement donner des cours d'interprétation. Mais je ne pourrai jamais enseigner la technique, car après trente ans de chant, elle reste pour moi une grande énigme. J'admire ceux qui sont capables de la transmettre.

     

    Qu'attendez-vous d'un metteur en scène ?

    Nous devons avoir confiance en lui. Je viens de faire Orphée et Eurydice de Gluck avec Mats Ek, quelqu'un dont on sait qu'il a pensé à tout, de A jusqu'à Z, avec une grande sincérité de sentiments. Son père était un comédien très connu en Suède, et sa mère une grande chorégraphe. Il a un sens du théâtre exceptionnel. Cet Orphée était l'expérience d'une vie, non seulement pour moi, mais aussi pour le choeur, les danseurs. Les gens comme lui, Karl-Ernst Herrmann, vont vraiment au plus profond. Ils nous demandent beaucoup, parce qu'ils voient ce qu'on peut donner. On ne peut pas tricher, et c'est ce qui me plaît.




    À voir :

    Thésée de Lully, Théâtre des Champs-Élysées, les 20, 22, 25, 27 et 29 février.

     

    Le 18/02/2008
    Mehdi MAHDAVI


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