altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 28 mars 2024

Gilbert Deflo ricane de la morale bourgeoise

Paysages chromo, emprunts à Caspar Frierdrich et illustrations style images d'Épinal : c'est Luisa Miller de Verdi dont Gilbert Deflo donne, à la Bastille, une lecture apparemment au premier degré. Mais c'est mal connaître la personnalité décoiffante et charmante du metteur en scène belge, qui caricature la tradition et la morale avec une ironie mordante.
 

Le 22/02/2008
Propos recueillis par Nicole DUAULT
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • JĂ©rĂ´me Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumĂ©

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • Quel est le ton que vous donnez Ă  cet opĂ©ra de Verdi qui n'est ni le meilleur ni le pire ?

    Quand je discute d'opéra avec Gerard Mortier, c'est toujours le rôle du théâtre qui parle en premier, et un théâtre d'idées. Mais l'opéra n'est pas un théâtre d'idées. L'opéra raconte des sentiments, l'extase, la poésie. J'ai mis en scène presque tous les opéras de Verdi, mais Luisa Miller est une oeuvre charnière dans sa production, notamment le troisième acte qui est le meilleur : une perfection dans laquelle on trouve toute la suite de ses opéras, Rigoletto, la Traviata et Otello notamment.

    Cet ouvrage ne livre pas immédiatement tous ses secrets. Il faut approfondir le texte et la musique qui sont d'une extraordinaire densité et d'un intimisme rare. Il n'y a aucun effet extérieur. Luisa Miller raconte beaucoup de choses sur son époque, sur la morale bourgeoise, la famille qui opprime les jeunes. Il y a aussi un coté Roméo et Juliette, un amour qui est une soif d'absolu. Tous les airs prennent le ciel à témoin et clament que l'amour sera pour l'au-delà. Le monde se délite par le comportement des hommes.

     

    C'est aussi une histoire pleine de clichés.

    Oui. À la même époque, un grand nombre de pièces mettaient en scène un prince tyrannique et usurpateur, un intrigant scélérat, la maîtresse flamboyante et la jeune fille romantique. Mais là, le texte de Schiller est sublimé par une musique très belle. Verdi éprouve de la sympathie pour la révolte des jeunes face à l'ordre établi qui est corrompu. C'est très actuel, mais je ne voulais pas pour autant actualiser l'opéra. C'est la musique que je mets en scène. Nous sommes des êtres historiques. Nous venons de quelque part et nous allons vers quelque part. Je suis contre l'actualisation gratuite comme si une oeuvre comme celle-ci était d'aujourd'hui. Elle n'est pas d'aujourd'hui, mais pour aujourd'hui.

     

    Vos productions sont toutes différentes, sans lien entre elles ?

    Quand je reçois une partition, j'essaie de comprendre le pourquoi, le comment ainsi que ce que mon maĂ®tre Jacques Lecoq appelait les niveaux de jeu. On ne joue pas les oeuvres dodĂ©caphoniques comme celles de Monteverdi. Mes productions ne sont jamais les mĂŞmes. Certains voient cela comme une faiblesse. Mais on ne monte pas Verdi comme l'Amour des trois oranges. Comme on dit, « rien de ce qui est humain ne m'est Ă©tranger Â».

    Je suis, pardonnez-moi l'expression, un grand bouffeur d'oeuvres. Je suis contre le metteur en scène créateur absolu. Nous sommes des interprètes. Le vrai génie est Giuseppe Verdi. Quand je vois des affiches où le nom du metteur en scène est écrit dans les mêmes caractères que celui de l'auteur, je m'indigne. L'école dont je suis issu, celle de Strehler, de Visconti, est faite de grands maîtres qui s'adaptaient à l'oeuvre avec leur veine propre. Dans l'Amour des trois oranges, j'avais mis tout mon amour pour le théâtre, y compris celui de la Commedia dell'arte et de l'opéra de Pékin.

     

    Dans Luisa Miller, y a-t-il également tout votre amour pour le théâtre ?

    Il y a là toute ma lecture de l'oeuvre. Je ne suis pas du genre à essayer de montrer combien je suis intelligent et cultivé. Le théâtre est un événement sensuel où le metteur en scène n'existe pas. Je suis là pour ne plus être là, seulement pour guider les comédiens qui, eux, portent la pièce. Le théâtre musical peut exister sans décor et sans metteur en scène mais pas sans comédiens. Aujourd'hui existe un grand malentendu sur la dramaturgie. L'époque n'a plus confiance dans les chanteurs, les comédiens et l'auteur ou le compositeur et se camouflent derrière un metteur en scène.

     

    Formé par Strehler, on se souvient des prodigieux Géants de la montagne avec le Piccolo Teatro, à l'Odéon, vous faites du théâtre et de l'opéra. Quelle différence pour vous ?

    Entre le théâtre et l'opéra existe une différence fondamentale : Hamlet peut durer une demi-heure ou quatre heures. À l'opéra, le temps comme l'émotion sont fixés par la musique. Le metteur en scène doit donner forme aux sentiments.

     

    Vous avez une longue complicité avec Gerard Mortier ?

    Nous avons fait notre service militaire ensemble ! Il me fait confiance. Il m'a proposé Luisa Miller car c'est un opéra qui n'a pas été monté dans la capitale depuis longtemps. Il m'a également invité la saison prochaine à mettre en scène une autre partition que Paris n'a pas vu depuis des lustres, la Fiancée vendue de Smetana, un chef-d'oeuvre que nous préparons pour le Palais Garnier, où je n'ai jamais travaillé contrairement à la Bastille, où j'ai monté Manon, Don Quichotte et l'Amour des trois oranges.

     

    Le 22/02/2008
    Nicole DUAULT


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com