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ENTRETIENS 25 avril 2024

Olivier Py, la carrière d'un poète lyrique

Poète dramatique, Olivier Py a restitué au verbe dramatique un lyrisme que l'on croyait à jamais banni des scènes de théâtre. Metteur en scène d'opéra, il a signé au Grand Théâtre de Genève un Tristan d'une suffocante beauté. Il fait des débuts longtemps espérés au Palais Garnier avec The Rake's Progress de Stravinski.
 

Le 27/02/2008
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Ne peut-on voir dans votre pièce Illusions comiques un écho, certes assez lointain, au Rake's Progress, tant par la forme, qui tient du pastiche, que par le parcours fulgurant du héros ?

    Cela ne m'a pas frappé, mais peut-être suis-je trop proche de ma propre écriture, et n'ai-je pas la distance nécessaire pour percevoir ces motifs. En tout cas, je connais The Rake's Progress depuis longtemps, et fais partie de ceux qui pensent – ce n'est pas très original – qu'il ne s'agit pas d'une oeuvre néo-classique. Il y a deux malentendus, sans lesquels je n'aurais d'ailleurs pas pu commencer à travailler ; la soi-disant imitation de l'opera seria, et la vision morale de l'oeuvre, qui tiennent beaucoup aux gravures de Hogarth, que l'on peut qualifier de morales, ce qui n'est pas du tout le cas du livret d'Auden.

    Stravinski et son librettiste se sont inspirés de la fable, de la construction dramatique, mais pour parvenir à des conclusions qui dépassent totalement l'étude sociale et la moralité. Je ne repère pas de pastiche, mais on entend un héritage qui va de Don Giovanni à Faust, et pourquoi pas Carmen. Aucune oeuvre n'est sortie ex nihilo. Toutes les oeuvres d'art héritent, même celles qui sont le plus en rupture avec les formes de leur temps.

    Celles qui prétendent le plus inventer une forme sont souvent celles qui en réalité sont les plus savantes, ou les plus chargées de culture. L'idée d'une oeuvre d'art qui jaillirait directement des pulsions inconscientes est un propos de cette époque. Plus personne ne peut dire cela aujourd'hui de l'art en général, et il est très facile de voir Rubens dans Rothko, et Goya dans Pollock. Cela ne m'a vraiment pas posé de problème idéologique, au contraire.

     

    Ces références doivent-elles être visibles ?

    Il ne faut surtout pas en jouer, mais au contraire essayer d'entendre d'abord Stravinski et Auden. J'avais beaucoup de fascination pour ce poète, que j'ai rencontré il y a très longtemps, comme un très grand poète, et aussi parce qu'on l'a accusé d'avoir fait un retour en arrière quand il s'est débarrassé du surréalisme et du communisme. Ce parcours dans sa pensée a fait qu'à un moment, il n'a plus cru à certaines voies de sa jeunesse. Stravinski et lui se sont assez bien retrouvés à cet endroit, avec le désir de faire une oeuvre très forte dramatiquement, et qui soit un poème philosophique, une parole sur l'humanité – comment elle passe à côté de son véritable désir, quel rapport a chacun avec son destin, quel est l'espace de liberté que nous avons.

    Il y a quelquefois une sorte de tension entre des états paroxystiques, des situations extrêmement violentes – un homme qui épouse un monstre devant la femme qu'il aime, toute la chute finale, l'internement – dont on voit très bien ce que Berg aurait pu faire. Mais Stravinski les raconte presque comme une blague un soir de fête – cette façon qu'a le personnage de se brûler la cervelle sur une musique très lumineuse est étonnante.

    Même sombre, Stravinski est lumineux. Cela doit donner quelque chose d'assez inquiétant, parce qu'à cette luminosité de la musique répond la noirceur de la vision de l'humanité. Cette oeuvre n'est pas morale, parce que la peinture des échecs ne nous aide pas dans notre vie intime à les éviter. Cette folie, cette fascination pour le pire dans le personnage central, Tom, l'un et l'autre avaient dû la connaître. Je ne sais pas pourquoi on a parlé d'oeuvre morale.

     

    Peut-être parce qu'avec ses personnages archétypaux, confrontés à des situations rocambolesques, elle apparaît comme une parabole.

    Il ne s'agit pas exactement d'un opéra vériste, c'est certain. Ce sont des paraboles, des allégories, des personnages qui incarnent et le mal et l'amour absolu, et le sexe et la mort. L'utilisation de ces allégories permet donc de faire un véritable poème philosophique, voilà ce qu'il faut entendre. Le personnage change de projet spirituel à peu près à chaque scène. Nous l'avons représenté en déshabillant et en rhabillant la chambre dans laquelle est son corps. On peut voir quelque chose de discontinu, mais c'est au contraire une obsession à trouver une réponse à un mal-être, une inquiétude, une impatience, qui est métaphysique.

     

    The Rake's Progress ne tient-il pas un peu, dans son déroulement, de la revue ?

    On change un peu de théâtre à chaque fois que le projet spirituel de Nick change. On peut avoir avec Baba la Turque une sorte de farce un peu surréaliste – ce sont les Mamelles de Tirésias –, puis une pièce quasi-brechtienne avec toute l'histoire de la machine, où l'on se pose la question du salut de l'humanité par le travail, l'organisation à une époque où Auden rompt avec ses idéaux communistes, une très grande déploration, des scènes quelquefois sentimentales, presque un cabaret dans la scène du bordel.

    C'est la beauté du Soulier de satin de Claudel que j'ai monté, un théâtre qui produit du théâtre qui produit un autre théâtre. Le mélange des genres a toujours été l'énergie cachée, fondamentale du théâtre. Passer d'un registre très noble à des scènes presque kitsch me plaît beaucoup, cela raconte quelque chose. Peut-être pas notre quotidien, mais notre imaginaire n'arrête pas de changer de style.

    Dans un rêve – et c'en est un, une sorte de grand cauchemar –, on passe de l'obscène au ravissant, de l'épouvantable au désirable, avec des contrastes très forts. Que la scène de paradis idyllique et bucolique soit immédiatement remplacée par un bordel délirant à Londres, sans aucune transition, est d'une grande beauté. C'est une leçon de Brecht. La beauté de Brecht réside dans son incapacité à faire des transitions. Dans la vie, il n'y a pas de transitions. Et puis cela fait du mauvais théâtre.

     

    L'opéra vénitien du XVIIe siècle, avec son mélange des genres permanent, est donc fait pour vous.

    Je suis atteint d'une grave maladie, qui est d'aimer tout. Et cela ne s'arrange pas avec les années, si ce n'est que je n'aurai pas fini ma carrière à l'opéra tant que je n'aurai pas fait Parsifal et le Ring. Alors qu'il s'agit de ma culture, de la musique que j'écoutais quand j'étais adolescent, je n'ai mystérieusement jamais fait d'italien. Et personne ne pense à me confier un Verdi ou un Puccini. Je serais merveilleusement heureux de faire une Butterfly, une Traviata.

    Le répertoire lyrique est superbe, et je ne parle pas que de la musique. Le livret de Tosca est absolument passionnant, celui de Madame Butterfly parle de la mondialisation comme aucun poème aujourd'hui n'est capable de le faire. Il y a sans doute des choses à tirer des Pêcheurs de perles si on s'y attelle sérieusement, et cela ne me déplairait pas de faire Thaïs, même si je vois blêmir beaucoup de directeurs d'opéra quand je le leur dis. Il faut se débarrasser de tous ces présupposés idéologiques. J'avais commencé à travailler sur les Huguenots, et cette oeuvre est absolument géniale. Je n'ai évidemment pas pour Meyerbeer la même passion que j'ai pour Wagner, qui est d'un autre ordre.

    Wagner n'est pas un musicien, c'est un martien. Il n'y a rien au-dessus, rien à côté. Quand on est wagnérisé, l'état de dépendance, d'addiction maladive que ce musicien crée est terrible. Peut-être toujours avec la promesse d'une résolution harmonique qui ne vient jamais – et il ne s'agit pas du tout de musique. La promesse d'une jouissance toujours différée nous rend fous, prisonniers de cette addiction wagnérienne. Wagner est une maladie de l'âme.

     

    Le temps musical apparaît souvent comme un obstacle pour les metteurs en scène venus du théâtre. Vous qui êtes auteur, donc maître de votre propre temps, comment l'appréhendez-vous ?

    Cela fait douze ans que je patauge dans l'opéra, et je m'étais beaucoup posé la question avant. Je n'ai donc pas eu du tout l'impression d'être un homme de théâtre qui venait à l'opéra, ni avec l'arrogance, ni avec la terreur, quelquefois, des hommes de théâtre. Ce sont deux métiers qui se ressemblent, mais qui sont différents. On ne dirige pas des acteurs comme des chanteurs, ni dans la pratique, ni dans le rendu artistique.

    La question du style me semble extrêmement importante. Je ne faisais pas de répertoire au théâtre, je ne montais que mes propres textes. La différence était donc pour moi d'être au service d'un poète, et je l'ai toujours fait avec des oeuvres que j'adorais, une volonté de fidélité, ou de trahison amoureuse, mais en tout cas jamais avec la volonté de m'approprier l'oeuvre au niveau du sens. Même quand elle me gêne, ou que je ne suis pas d'accord avec ce qu'elle dit, je voudrais essayer de comprendre parfaitement le contexte intellectuel qui l'a fait naître et le respecter.

    Quant au temps, il est plus facile de faire de l'opéra que du théâtre. Parce qu'au théâtre, il faut inventer une partition qui n'existe pas, et qu'on n'entendra pas, mais qui doit être là pour trouver le legato, le lyrisme, la pulsation, simplement avec la parole, avec ce français tellement rébarbatif musicalement. Chaque oeuvre a un rapport au temps complètement différent. The Rake's Progress va toujours trop vite, on a à peine le temps de mettre en place quelque chose que la scène est déjà finie. Dans Tristan et Isolde au contraire, le temps est dilaté à l'extrême. Il faut donc avoir des attitudes spécifiques.

     

    Votre écriture est-elle parfois inspirée par la musique ?

    Mon écriture était lyrique avant que je ne sois metteur en scène d'opéra, parce que j'avais rêvé d'être chanteur, que j'aimais l'opéra, et que j'en écoutais toute la journée en écrivant. Je suis un poète lyrique, et je n'en fais aucune gloire, je voudrais même m'en débarrasser quelquefois, mais c'est ainsi. On est un poète lyrique comme on est un peintre expressionniste, un nouvelliste lucide. Ce sont des choses qui nous appartiennent, qui sont inscrites dans le corps, dans notre histoire.

    On me disait beaucoup, à propos de mes premiers textes, qu'ils ressemblaient à des livrets d'opéra, si ce n'est que ceux-ci sont très courts, alors que les miens, au contraire
    Toutes proportions gardées, Aristophane faisait déjà à Eschyle le reproche de phrases trop longues, avec trop de mots trop lyriques, trop compliqués, et trop de métaphores. C'est une éternelle histoire, Eschyle et Euripide, Corneille et Racine sont finalement l'alpha et l'oméga de tout ce que l'on peut faire.

     

    Vous avez été confronté à ce problème de longueur en composant le livret du Vase de parfum de Suzanne Giraud.

    J'ai été obligé d'avoir une écriture un peu plus sèche, donc plus incandescente, avec des phrases un peu moins littéraires. Cela ne me gêne pas parce que mes personnages eux-mêmes prennent en charge la littérature. Même quand ils sont socialement bas, ils sont absolument poètes. Il n'y a que dans le mauvais théâtre qu'on fait des pauvres ou des exclus qui ne sont pas poètes, ou alors c'est qu'on n'a pas visité le monde. La vérité est inverse, plus on est nanti, et plus on perd l'avantage poétique.

     

    N'est-ce pas ce qui transparaît dans The Rake's Progress à travers les personnages de Tom Rakewell et Ann Trulove ?

    L'argent pourrit tout. Cette morale est peut-être un peu simpliste, mais elle est dans l'opéra. Auden et Stravinski écrivent cette pièce après-guerre, dans le boum de la société de consommation. Il faudrait la mettre en parallèle avec le Bernstein de Trouble in Tahiti. On est très proche dans le malaise des nantis, la perte de sens, dès lors qu'il y a beaucoup de richesse, et très peu de sens. Ils utilisent un espace qui est celui du XVIIIe siècle, de l'arrivée de l'industrialisation, mais ce sont des époques qui se ressemblent, des époques de cassure.

     

    Quelle a été votre réaction lorsque Gerard Mortier vous a proposé de reprendre cette production dans un temps finalement assez limité ?

    Mon principal souci a été de convaincre mes collaborateurs, assistant, chorégraphe, éclairagiste, et surtout mon scénographe et costumier Pierre-André Weitz, qui est mon alter ego. Je me sentais prêt à lire l'oeuvre et sortir une dramaturgie en un week-end, mais il fallait que lui, dans son emploi du temps, puisse le faire. Cela a été ma seule vraie réserve, dans la mesure où Gerard Mortier ne me demandait pas de reprendre, ce que je n'aurais pas accepté, la production avec des décors et des collaborateurs qui n'étaient pas les miens.

    Être pressé par le temps est plutôt joyeux. Je ne l'aurais pas fait sur un Janáček, mais mon anglais est suffisamment bon, je connaissais bien Auden et l'oeuvre, alors cela ne m'a pas semblé impossible. Et puis on ne peut pas résister à Garnier. Il faut faire le compte des metteurs en scène français qui ont travaillé à l'Opéra de Paris ces dernières années. On a quand même une responsabilité, parce que la France compte quelques metteurs en scène intéressants.

     

    Pourquoi Christoph Marthaler et Krzysztov Warlikowski, dont les spectacles que vous avez programmés au Théâtre de l'Odéon ont remporté un triomphe, subissent-ils les foudres du public d'opéra ?

    Ce sont toujours des malentendus. Sans doute le public de théâtre prête-t-il meilleure foi aux artistes, et n'a-t-il pas ce rapport avec la sacralité de la musique. Cela peut faire grincer quelques dents quand on ne monte pas Racine ou Shakespeare comme on l'imagine. C'est arrivé souvent au théâtre, cela arrive encore. Mais le public de théâtre se sent très militant depuis quelques années, militant pour le théâtre, pour le verbe incarné, et il est content d'avoir de bons metteurs en scène parce qu'il sait que cela sert la cause.

    Je suis assez émerveillé de l'intelligence du public de l'Odéon, parce que nous avons mis la barre assez haut dès la première saison, et j'ai été très heureux de l'accueil des spectacles étrangers notamment – Latella, Warlikowski, Marthaler –, avec des esthétiques qui ne sont ni immédiates, ni faciles. À l'opéra, il y a une sorte de tradition du scandale. Mais ce n'est pas parce qu'une pièce, qu'une mise en scène est huée qu'elle est forcément géniale. Cela a quasiment été un péché de jeunesse. Si je ne faisais pas scandale à l'opéra, j'avais l'impression de m'être trahi moi-même. C'est une bêtise dont il faut se débarrasser le plus vite possible, parce qu'il faut juste aimer les oeuvres. Ce sont elles qui font scandale.

    The Rake's Progress, la Damnation de Faust sont des oeuvres scandaleuses. Tant mieux si je peux le montrer, mais ce n'est pas moi qui suis scandaleux. Tannhäuser est un scandale ambulant, une folie scandaleuse. Der Freischütz est presque le seul opéra aussi clairement romantique, et cette musique devrait nous mettre dans un état de folie. J'aime ce mot de Wagner à propos de Tristan qui dit que si les représentations en étaient parfaitement bonnes, les spectateurs deviendraient fous. Cela devrait avoir cette puissance de splendeur et d'excès. S'il n'y avait pas eu le Freischütz, il n'y aurait pas eu Wagner. Il n'y aurait pas eu les Walkyries sans la Gorge-aux-loups.

    Je faisais le travail presque en sens inverse, parce que je demandais aux acteurs de théâtre de jouer comme des chanteurs d'opéra. J'ai quelquefois du mal avec les jeunes chanteurs, parce que ce qu'ils appellent ne pas avoir le jeu lyrique s'apparente au jeu des téléfilms. On ne peut pas chanter Wagner et jouer comme dans un téléfilm. Il faut trouver une autre esthétique du jeu. Les jeunes chanteurs qui n'ont vu ni les spectacles de Vitez, ni Shirley Verrett sur scène ne savent pas faire, ne sont pas lyriques. Mon travail est de leur redonner cet espace, éventuellement de convention : être face au public, regarder le chef quand on en a besoin, tout cela ne fait pas qu'on joue mal, au contraire. Et puis une esthétique trop réaliste, quotidienne, produit de l'inhibition. Je ne veux pas avoir d'inhibition dans des oeuvres qui ne sont faites que de folie.




    À voir :
    The Rake's Progress de Stravinski, Palais Garnier, du 3 au 24 mars.

     

    Le 27/02/2008
    Mehdi MAHDAVI


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