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ENTRETIENS 26 avril 2024

Simon Keenlyside, Wozzeck à chaud
© Ruth Walz

Il ouvrit l'ère Mortier avec un Pelléas funambule, avant de régler les pas de son Voyage d'hiver sur ceux de Trisha Brown. Sous la houlette du tandem Cambreling-Marthaler, Simon Keenlyside réussit un Wozzeck dont la splendeur vocale n'entame en rien l'humanité sur le fil du rasoir. Impressions à chaud sur une prise de rôle d'emblée aboutie, absolument habitée, et justement plébiscitée.
 

Le 02/04/2008
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Aborder le rôle-titre de Wozzeck de Berg avec une équipe aussi soudée que celle formée par Sylvain Cambreling et Christoph Marthaler vous a-t-il aidé ?

    Lorsqu'un chef est toujours là, qu'il assiste à toutes les répétitions, il comprend ce que nous faisons sur scène, alors qu'il est un peu difficile de convaincre un chef qui arrive au dernier moment. Avec Sylvain, qui travaille souvent avec Christoph, c'est beaucoup plus facile, parce qu'il a vu le voyage entier. Bien que je sois arrivé pour cette prise de rôle partition sue par coeur, avec mes propres idées, j'ai eu besoin de beaucoup d'aide. Sylvain avait des choses à dire sur chaque mesure, parce qu'il a dirigé cette oeuvre plusieurs fois. Il pouvait me dire de faire attention lorsqu'il pensait que certaines intentions musicales qu'on entendait avec le piano ne passeraient pas la texture orchestrale.

    J'imagine qu'il m'aurait été impossible d'aborder Wozzeck dans une reprise. J'ai eu la chance d'avoir une équipe patiente avec moi, et suffisamment de temps. En tant qu'artiste, il est essentiel de prendre des risques durant les répétitions. Souvent, il n'est pas facile de le faire lorsque le chef est là, parce qu'il contrôle tout musicalement, en permanence.

    Je ne peux pas faire deux choses à la fois. La plupart du temps, je me concentre d'abord sur la mise en scène, puis sur la musique. Mais ici, j'ai eu le temps de faire les deux en même temps. Faire huit ou neuf filages durant la dernière semaine de répétitions est assez brutal, parce qu'on ne peut naturellement pas chanter un rôle tous les jours, parfois deux fois par jour, et on doit avoir la confiance du metteur en scène et du chef pour pouvoir marquer.

     

    À l'issue de cette deuxième représentation, vous sentez-vous à l'aise dans ce rôle ?

    Je ne sais pas, je suis crevé maintenant ! Même si, comme Otello ou Falstaff de Verdi, la musique du XIXe siècle est au même niveau que cette pièce incroyable qu'est Wozzeck, elle se situe absolument à l'opposé. Car le panorama qui est offert, à travers le livret, est visuel. Dans la musique du XXe siècle, ce panaroma est mental, à travers cette psychologie de l'âme qui m'intéresse tant. La voix fait davantage partie de la texture globale. L'histoire est racontée dans toute sa complexité par l'orchestre, et non plus par le livret, comme lorsque Verdi utilise Shakespeare. Ici, deux lignes suffisent à représenter quelque chose, comme dans un tableau de Picasso, car tous les détails, les nuances psychologiques sont dans l'orchestre.

     

    Dans une pièce comme celle-ci, l'acteur prime-t-il sur le chanteur ?

    La question est toujours la même. Strauss a écrit un opéra entier, Capriccio, sur ce seul sujet. De temps en temps, la balance penche vers la mise en scène, alors que dans un air, il faut rester tranquille, car la progression psychologique passe à travers la musique.

    Dans le film Aria, de très grands acteurs devaient jouer un air d'opéra, mais ils étaient pires que les pires chanteurs. J'ai réalisé en le voyant que le temps n'était pas le même concept dans la musique, car il n'est pas linéaire. Dans un air, le drame s'arrête sur scène, mais le processus psychologique continue. Il est très intéressant de comparer la manière dont sont abordés des opéras du XIXe siècle et du XXe siècle comme Wozzeck.

    Tout ce que j'ai dit sur la psychologie et la complexité de la texture orchestrale est vrai, mais jouer ou chanter plus ou moins est juste une question de degré. Il faut jouer et chanter, parce que c'est du théâtre. Mais jouer ne veut pas forcément dire bouger. Parfois, il s'agit juste d'une nuance vocale. Quand un grand acteur shakespearien dit un monologue, il ne court pas dans tous les sens, il ne jongle pas, il ne fait pas la roue, il révèle juste de grandes images, pour bâtir des châteaux dans le ciel. C'est ce que nous devons faire.

    Si le public ne comprend pas la langue dans laquelle nous chantons, le danger, la tentation est de surjouer, et ce serait une grossière erreur. Chanter Pelléas à Paris, ou Wozzeck à Berlin est fantastique, parce qu'on peut parler au public dans sa propre langue, mais ces grandes pièces sont universelles. L'opéra est un art difficile, et il faut s'y préparer avant de venir.

     

    Wozzeck est-il le rôle le plus lourd que vous avez chanté ?

    Ce rôle n'est pas difficile à chanter. Il faut prendre garde de ne pas faire d'erreurs. Si vous escaladez une paroi rocheuse de cinquante mètres de haut, vous pouvez quand même tomber, et vous risquez gros, même si elle n'est pas si haute. La difficulté n'a pas d'importance. Posa dans Don Carlo est bien plus long, Don Giovanni est beaucoup plus long et dangereux à chanter, à cause de l'agressivité qu'il faut mettre dans la voix.

    Wozzeck est un rôle assez court, mais assez brutal dans la psychologie du personnage. On éprouve le danger une semaine avant la première, lorsqu'il faut faire et refaire sans cesse, mais une fois passé ce cap, ce rôle n'est ni plus ni moins difficile qu'un autre. Je vais faire attention à ne pas le chanter trop au cours d'une même saison. Mais je peux dire la même chose de Don Giovanni, et même de Papageno – les dialogues font toujours du mal à la voix.

     

    La mise en scène de Christoph Marthaler paraît physiquement très exigeante.

    Tout ce qui doit être bien fait est exigeant. Si on n'est pas exigeant avec soi-même, on laisse tomber le public. Je ne pratique pas un art pour le confort. Il n'y a pas de place pour la politesse en art, ni pour le politiquement correct. On tente de dire quelque chose au public sur l'humanité : elle est vive, violemment éclairée, il n'y a nulle part où se cacher. Ces pièces sont des chefs-d'oeuvre qui nous parlent de notre humanité commune, de ce qui est bien, de ce qui est mal, de ce qu'est la folie, de ce qu'est la normalité.

    Je veux que le public sorte en se posant ces questions, parce qu'il ne s'agit pas de ce que moi, Simon, je pense, mais de ce dont parle la pièce. La question n'est pas de savoir si c'est facile ou difficile. C'est la communication qui est pertinente. Et cela ne peut pas être confortable. Les oeuvres d'art naissent de l'inconfort, des dissonances extrêmes, de la tectonique des plaques de l'émotion. C'est ce dont je veux parler. A-t-on jamais vu un opéra, une pièce de théâtre, ou un poème qui traite de la perfection et du bonheur permanents ? Nous luttons pour être heureux. Et c'est de cette lutte que naît l'art.

     

    Le 02/04/2008
    Mehdi MAHDAVI


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