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ENTRETIENS 19 avril 2024

René Jacobs Imperator
© Alvaro Yanez

Lors de sa parution en 1991, l’enregistrement de Jules César de Haendel par René Jacobs fit l’effet d’une bombe, notamment parce qu’il était le premier à respecter les tessitures d’origine. Avant de présenter une version scénique de l’oratorio Belshazzar à Aix-en-Provence, le chef gantois reprend son opéra haendélien fétiche en concert à la salle Pleyel.
 

Le 09/06/2008
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous avez rĂ©cemment dirigĂ© Giulio Cesare dans des esthĂ©tiques scĂ©niques très diffĂ©rentes, celle de Christof Loy au Theater an der Wien en avril 2007, puis celle d’Ursel et Karl-Ernst et Herrmann Ă  Bruxelles et Amsterdam en janvier et fĂ©vrier derniers. Ont-elles influĂ© sur votre approche musicale ?

    Dans les détails, mais pas dans les grandes lignes. J’ai mes idées sur les tempi des airs, et aucun metteur en scène ne pourra les changer, même s’il peut les influencer – Christof Loy m’a demandé si je pouvais accélérer un air d’Achilla, et je l’ai fait car il avait raison. En revanche, j’adapte toujours l’accompagnement des récitatifs simples à la mise en scène. J’essaie d’assister au plus possible de répétitions scéniques afin de voir l’évolution et m’imprégner de l’esthétique, puis je guide les chanteurs dans la déclamation des récitatifs. La plupart des metteurs en scène apprécient cette démarche, mais d’autres pensent qu’ils sont les seuls maîtres des récitatifs.

     

    À Bruxelles et Amsterdam, un contre-ténor et une mezzo-soprano ont alterné dans le rôle-titre.

    La mezzo-soprano en question, Marijana Mijanovic, est un véritable contralto. Les tessitures étaient donc similaires. Mais l’auditeur perçoit la voix de contre-ténor comme une voix aiguë, et celle de contralto comme une voix grave, ce qui impose de varier différemment les da capo. Il est très difficile de trouver des contre-ténors avec des voix suffisamment graves et dramatiques pour les rôles de castrats baroques. Nous avions à Vienne Christophe Dumaux dans le rôle de Tolomeo, qui est l’un des meilleurs mais n’est malheureusement guère apprécié en France.

     

    Vous employez donc indifféremment l’une et l’autre voix ?

    Tout dépend de qui est disponible. Et le choix n’est pas large, ni parmi les contre-ténors, ni parmi les contraltos. A Bruxelles et Amsterdam, nous avons eu la chance de pouvoir le faire avec les deux. À l’époque, on ne faisait pas non plus de différence, et Haendel a remplacé un castrat par un contralto, et inversement, à l’occasion de plusieurs reprises de ses œuvres.

     

    Vous avez enregistré Giulio Cesare en 1991, puis l’avez repris de nombreuses fois en concert. Votre conception de cet opéra a-t-elle évolué ?

    Nous avons réalisé cet enregistrement après une période de répétitions, mais avant de donner l’œuvre en concert – une méthode que je n’ai plus suivie après, parce qu’il me semble préférable d’aller en studio dans la foulée d’une production scénique. La production que j’ai dirigée à Vienne était très psychologique, car Christof Loy n’avait fait aucune concession à l’exotisme que pourrait apporter le sujet. Il n’y avait même pas de figurant, juste les personnages, et nous les regardions droit dans les âmes. À l’époque de l’enregistrement, je pouvais comprendre les caractères, mais pas les sentir aussi bien que maintenant.

     

    Vous avez finalement dirigé assez peu d’opéras de Haendel.

    Parce que je me suis aussi intéressé à ses contemporains, contrairement à la plupart de mes collègues. Actuellement, beaucoup trop d’opéras de Haendel sont montés n’importe comment, et souvent dirigés par des chefs qui n’ont pas la moindre idée de ce que le dramma per musica – on ne parlait pas d’opera seria à l’époque – voulait dire, ni de la manière dont les récitatifs simples doivent être traités, dans la mesure où le véritable auteur en est le poète, et non le compositeur.

    Car si la notation harmonique servait à relier les airs grâce aux modulations, les chanteurs étaient, contrairement à ce que l’on pense aujourd’hui, bien plus respectueux de la notation rythmique que de la notation mélodique. Cela ne signifie pas pour autant que lorsque Haendel, Mozart ou Rossini alternent des valeurs longues et brèves, deux doubles croches doivent être strictement égales à une croche, mais que le chanteur doit accélérer le débit de la parole. De plus, il faut être en mesure de comparer Haendel à Reinhard Keiser ou Alessandro Scarlatti, ses modèles à Hambourg et en Italie. Haendel a assurément acquis une position dominante, mais devrions-nous arrêter de jouer Haydn à cause de Mozart ?

     

    Et pourquoi Giulio Cesare, Rinaldo et Agrippina plutôt qu’Alcina ou Rodelinda ?

    Je n’exclus pas de faire Alcina et Rodelinda un jour, mais il fallait bien commencer par quelque chose ! En ce qui concerne Giulio Cesare, le nouveau directeur du Theater an der Wien, un théâtre magnifique, aux dimensions idéales pour ce répertoire, voulait inaugurer sa programmation baroque avec une pièce très connue. Mais j’ai d’autres Haendel en projet.

    Il est certain qu’en vieillissant, je me sens plus attiré par les oratorios dramatiques que par les opéras. Cela ne veut pas dire que je ne vais plus diriger d’opéras, mais les oratorios, dont les grands thèmes sont tellement politiques, me semblent beaucoup plus proches de ce qui se passe actuellement dans le monde. Le thème de Belshazzar, que je vais donner cet été à Aix-en-Provence, est l’impérialisme : le premier récitatif accompagné de Nitocris dit d’emblée comment les empires naissent et disparaissent. J’espère que la mise en scène sera clairement politique.

     

    Ces oratorios sont-ils donc vraiment des opéras déguisés ?

    Après trente-huit opéras italiens, Haendel en avait assez des restrictions que le genre lui imposait. En tant qu’allemand – car Haendel est pour moi un compositeur profondément allemand – et comme Bach, il voulait un chœur, ce que les budgets, principalement dévolus aux chanteurs stars, ne permettaient pas. Il était aussi lié du point de vue formel par l’aria da capo, dont il se libère à la fin du deuxième acte d’Orlando où il en a enfin la possibilité, justement parce qu’il s’agit d’une scène de folie qui contredit le rationalisme imposé par cette structure rhétorique.

    Avec leurs chœurs, la diminution des airs à da capo et la multiplication des récitatifs accompagnés, les oratorios dramatiques de Haendel anticipent la réforme de Gluck. Les opéras anglais que sont Semele et Hercules ne sont même pas désignés comme des oratorios. Pour le premier, il est simplement précisé : « after the manner of an oratorio », ce qui n’est qu’une question de budget. Ni costumes, ni décors, ni mise en scène, mais des sujets très théâtraux. Les livrets imprimés ne portent-ils pas des indications de décors, afin que le public puisse les imaginer ?




    À voir :

    Giulio Cesare de Haendel, Salle Pleyel, le 14 juin 2008.
    Belshazzar de Haendel, Festival d’Aix-en-Provence, les 17, 19, 21 et 23 juillet 2008.

    Don Giovanni de Mozart, 2DVD Harmonia Mundi.

     

    Le 09/06/2008
    Mehdi MAHDAVI


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