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ENTRETIENS 25 avril 2024

André Engel, une seconde vie pour la renarde

On n’a pas oubliĂ© la Petite renarde rusĂ©e mise en scène par AndrĂ© Engel au Théâtre des Champs-ÉlysĂ©es, ses tournesols Ă©clatants, ses crĂ©atures malicieusement anthropomorphes. Ni tout Ă  fait la mĂŞme, ni tout Ă  fait une autre, elle renaĂ®t sur le vaste plateau de la Bastille Ă  l’occasion de l’entrĂ©e de la fable animalière de Janáček au rĂ©pertoire de l’OpĂ©ra de Paris.
 

Le 10/10/2008
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu’est-ce que cette production de la Petite renarde rusĂ©e, que vous aviez montĂ©e en 2000 Ă  l’OpĂ©ra de Lyon et prĂ©sentĂ©e en 2002 au Théâtre des Champs-ÉlysĂ©es, a de nouveau ?

    Le concept n’est pas nouveau. Nous conservons les mêmes principes de décors, de costumes et de dramaturgie. Le rapport à l’espace n’est évidemment pas le même, car la taille et la technologie particulières à l’Opéra Bastille constituent un plus que ne pouvaient offrir les théâtres précédents.

    Ce qui m’intéressait, en faisant la proposition de reprendre au fond le même concept, c’était d’essayer de parvenir enfin à un aboutissement dans la mesure où les représentations précédentes, en accordant trop de temps aux changements de décors, conféraient à cette Petite renarde un aspect fragmenté qui allait tout simplement à l’encontre de ce qu’elle donne à entendre.

    Bien que Janáček n’ait pas construit son livret suivant un dĂ©roulement linĂ©aire classique, de façon Ă  introduire des plages symphoniques suffisamment vastes pour donner Ă  la musique son rĂ´le de personnage, de nature, j’étais gĂŞnĂ©, dans le travail que nous avions fait, par ce dĂ©faut de fluiditĂ©, et j’ai pensĂ© que nous allions pouvoir l’amĂ©liorer en retentant l’aventure Ă  la Bastille.

     

    Cette adaptation du propos scénique à un lieu plus vaste a-t-elle engendré des contraintes ?

    Il ne s’agit en effet pas simplement d’élargir le cadre de scène. C’est une tout autre dynamique qui se met en place, nécessitant davantage de personnages, ainsi que le développement de ceux qui n’existaient jusqu’à maintenant que pour partie réduite. Il faut réécouter la musique pour percevoir les nouvelles possibilités qu’elle offre, tant en amont qu’en aval, afin que la mise en scène puisse les exploiter.

    C’est une même matière, une même base qui se retravaille complètement différemment. À tel point que lorsque je suis tombé récemment sur une vidéo de régie du Théâtre des Champs-Élysées pour vérifier une question de lumières, j’ai été surpris de la petitesse de la chose. On doit finalement, petit à petit, se réapproprier un espace.

     

    Comment mettre en scène le monde animal sans tomber dans une illustration naïve, anecdotique ?

    Il faut Ă©viter Walt Disney. Non qu’il n’ait pas beaucoup fait pour le monde animal et sa poĂ©sie – certains de ses films m’ont beaucoup touchĂ© enfant, et me touchent encore aujourd’hui –, mais Janáček ne se situe pas sur le mĂŞme terrain. Parce qu’il traite Ă  travers et par-delĂ  sa fable animalière des thèmes très graves et très sĂ©rieux : la nostalgie, le temps qui passe, la mort, voire un point de vue philosophique sur le caractère panthĂ©iste de la nature.

    Il faut donc être vigilant à l’équilibre entre la gestuelle, les mimiques, les costumes, le maquillage, de façon à ce que l’humanité soit toujours présente derrière l’animalité. Cela se traduit par un passage incessant entre des attitudes parfaitement humaines, c’est-à-dire un anthropomorphisme total, et des moments où, au contraire, l’animalité prend le dessus, comme dans les scènes strictement humaines avec le garde-chasse, l’instituteur et le curé.

    Janáček a d’ailleurs pris soin de ne pas jouer constamment sur la confrontation. Les hommes vivent leur vie, les animaux la leur, et il y a une zone frontière. C’est pourquoi j’aime bien le dĂ©cor. Il nous semblait en effet que nous avions trouvĂ© une dramaturgie du dĂ©cor qui allait au-delĂ  du fameux petit vallon prescrit par les didascalies. Cette blessure d’acier qu’est la voie ferrĂ©e Ă  travers un monde conçu comme une immensitĂ© de tournesols symbolise la question que s’est posĂ© Janáček sur la frontière, le no man’s land entre le monde humain et le monde animal.

     

    À travers sa mythologie, le renard incarne une ambivalence, à la fois séduisant et prédateur. Comment lui attirez-vous la sympathie ?

    Entre le moment où le spectacle a été créé, il y a huit ans, et aujourd’hui, le roman qui a inspiré le livret a été traduit en français – j’avais vainement essayé de me le procurer à l’époque, même en anglais. J’ai donc enfin pu le lire, et il répond à peu près à toutes les questions. Quand elle est voleuse, la petite renarde ressemble à Robin des Bois, elle est animée par un sentiment de justice qu’elle a appris des hommes, et que les animaux n’ont pas.

    Elle prend soin de dire, comme les anarchistes de la Belle Époque : « La propriĂ©tĂ©, c’est le vol ! Â» Rudolf TesnohlĂ­dek, l’auteur du roman, et Janáček, qui l’a lui-mĂŞme adaptĂ© pour son livret, ont voulu que mĂŞme dans ses larcins, mĂŞme Ă  travers son cĂ´tĂ© prĂ©dateur, la petite renarde reste sympathique. Si elle exproprie le blaireau, c’est parce que ce dernier est un sale capitaliste, qui plus est mal Ă©levĂ©. TesnohlĂ­dek et Janáček s’en amusent. Dans le roman, le moustique traite le crapaud de bolchevik – c’est adorable ! La petite renarde gĂ©nère une empathie presque constante, d’autant plus qu’elle incarne avant tout la fĂ©minitĂ©, une fĂ©minitĂ© très sexuĂ©e. Et d’ailleurs l’œuvre l’est.

    De manière bien plus forte dans le livret et la musique de Janáček que dans le roman, la petite renarde concrĂ©tise les fantasmes amoureux et sexuels de tous les hommes, l’instituteur, le garde-chasse bien sĂ»r, et mĂŞme le curĂ© dans sa jeunesse. Tous ces mâles voient Ă  travers la rouquine sauvage l’image de la tzigane. Il s’agit de fantasmes masculins occidentaux très rĂ©pandus dans la littĂ©rature – la rousse d’Apollinaire –, la peinture – le tableau de Gauguin reproduit sur l’affiche du spectacle. C’est d’autant plus formidable que nous disposons ici d’une interprète toute jeune, fraĂ®che, belle, sachant bouger avec un charme qui lui est naturel. Nous la voyons, et j’espère tout le public, Ă  travers les yeux du garde-chasse.

     

    Comment avez-vous traduit la dimension cyclique, régénératrice de la nature et du monde animal ?

    Il me semble l’avoir même accentuée par rapport au livret. Il m’est en effet apparu flagrant qu’une saison, et non des moindres, celle où la nature s’absente totalement, manquait. Nous – c’est le travail de toute l’équipe, décorateur, dramaturge, metteur en scène – l’avons donc restituée. Nous partons ainsi du printemps, pour arriver à cette saison intermédiaire qu’est l’automne, puis nous sommes en plein hiver, c’est-à-dire le moment où tout à l’air à la fois de s’apaiser et de se figer, et où la mort fait son apparition, puisque nous avons décidé que ce linceul naturel était là pour la petite renarde. Enfin, nous regagnons l’idée du printemps par un effet scénique à travers lequel, malgré tout, la vie ne s’arrête pas.

    Il suffit de pousser un peu plus loin pour affirmer une position panthĂ©iste, et aussi l’éternel recommencement du tout, la circularitĂ©, qui est sans fin par dĂ©finition, et l’immensitĂ©, l’ensemble de ce qui est, et qui est concernĂ© par les divinitĂ©s. C’est ce qui transparaĂ®t dans le dernier chant du garde-chasse. Il y a de la part de Janáček un credo panthĂ©iste très clair, net, et affirmĂ©, lorsqu’il dit que l’homme courbe la tĂŞte et soupçonne qu’une puissance qui le dĂ©passe permet tout cela.

    La mise en scène rend compte de cette chose en la réalisant, c’est-à-dire que nous partons d’un point pour nous retrouver exactement à ce même point, après avoir parcouru un cercle. Nous faisons en sorte que tout à coup, le spectateur soit saisi par une impression de déjà-vu, à l’instar de la musique qui apparaît semblable, ou en tout cas évoque ce qu’on a déjà entendu. Ainsi, ces tournesols qui avaient disparu pendant si longtemps réapparaissent magiquement. C’est l’art du théâtre qui autorise cela.

     

    Votre art théâtral semble très influencé par les techniques cinématographiques, notamment le cadrage.

    Il m’est arrivé au théâtre, quand j’étais plus jeune, de pousser assez loin la confusion des genres entre une pratique cinématographique et une réalité théâtrale à traiter. Depuis que Nicky Rieti et moi faisons de l’opéra, il est clair que nous ne parlons que de cadrage, jusqu’à changer de focale sur certains spectacles.

    Sur K… de Philippe Manoury par exemple, les changements de focale étaient flagrants. J’ai toujours raisonné par plan, parce que ma culture était tout simplement plus cinématographique que théâtrale dans la mesure où, adolescent, j’allais beaucoup plus au cinéma qu’au théâtre. En tant qu’étudiant en philosophie, aller voir un film de la Nouvelle Vague était aussi important pour moi que lire Nietzsche.

    J’ai donc été un peu formé à cela, et j’ai pu l’appliquer, soit à travers des choses que je ne fais pas à l’opéra mais que j’ai faites au théâtre, des spectacles hors les murs, c’est-à-dire en décors naturels, pour obtenir des effets de réel, soit à l’opéra, en cadrant.

     

    Votre Petite renarde est-elle truffée de références cinématographiques ?

    Il n’y a pas de rĂ©fĂ©rence prĂ©cise, puisque nous avons Ă©vitĂ© Walt Disney. Mais le cinĂ©ma en tant que façon de raconter des histoires est très prĂ©sent, ce Ă  quoi Janáček et la structure de son livret ne sont pas Ă©trangers. Le compositeur lui-mĂŞme procède par plan, les scènes ne se dĂ©roulent pas dans la continuitĂ© temporelle, ce sont des procĂ©dĂ©s cinĂ©matographiques. Nous aurions mĂŞme pu y introduire un flash-back, faire comprendre que toute cette histoire n’était que le rĂŞve d’un garde-chasse qui s’endort, un peu abruti par le soleil et l’alcool.

     

    N’est-ce pas ce côté séquentiel des œuvres qui vous attire dans l’opéra du XXe siècle ?

    Si, bien sûr. Il n’y a surtout pas la musique baroque, et surtout pas le XIXe siècle. Il me reste donc Mozart et tout ce qui suit 1900. Avant, tant dans sa forme que dans ses thèmes, le théâtre est trop bourgeois et trop sérieux – massivement sérieux même, si l’on pense à Wagner – pour que je puisse y trouver véritablement ce qui m’excite dans cet art.

    Cela ne veut pas dire qu’en tant qu’auditeur, je ne sois pas absolument charmé par la Traviata, mais je ne sais pas bien comment je la mettrais mieux ou autrement en scène que mes excellents confrères, alors que je me sens plus immédiatement en harmonie avec des œuvres postérieures, justement parce qu’elles sont déstructurées, du point de vue de la ligne mélodique comme de l’écriture du matériau littéraire.

     

    Quel est votre rapport à la création ?

    Sur K…, j’étais également colibrettiste avec Bernard Pautrat et Philippe Manoury. Participer à une véritable création, qui plus est en partant du Procès de Kafka, qui est clairement un des mes auteurs favoris, était une grande source de bonheur. Nous sommes partis de rien, sinon d’une envie, et parvenir à la faire aboutir était très agréable. Je suis donc partant pour ce genre de propositions. Mais encore faut-il que la musique, qui encore et toujours à l’opéra demeure, et de loin, la chose essentielle, la matière première du travail, me touche.




    À voir :
    La Petite renarde rusĂ©e, de Leoš Janáček, direction musicale : Dennis Russell Davies, mise en scène : AndrĂ© Engel. OpĂ©ra Bastille, du 13 octobre au 12 novembre.

     

    Le 10/10/2008
    Mehdi MAHDAVI


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