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ENTRETIENS |
12 juillet 2025 |
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Votre premiĂšre Comtesse des Noces de Figaro en octobre 2005 au Théùtre des Champs-ĂlysĂ©es a-t-elle marquĂ© un tournant dans votre carriĂšre ?
Le dĂ©veloppement de la voix est un point trĂšs intĂ©ressant dans une carriĂšre. Quand jâai commencĂ©, jâavais un rĂ©pertoire assez lĂ©ger, non seulement dans la musique baroque, mais aussi avec des rĂŽles mozartiens tels que Zerlina, Susanna, Despina⊠AprĂšs un concert au Théùtre des Champs-ĂlysĂ©es, Jean-Christophe Spinosi et Dominique Meyer mâont parlĂ© de la Comtesse, parce que ma voix sâĂ©tait dĂ©veloppĂ©e. Jâen avais envie depuis des annĂ©es, dans la mesure oĂč mon caractĂšre correspond davantage Ă la Comtesse, Ă Fiordiligi quâĂ Suzanne.
Cette prise de rĂŽle a donc vraiment marquĂ© un changement dans ma carriĂšre. Jâai fait une petite pause pour travailler ma technique, mâapproprier le rĂŽle. Depuis, jâattendais Fiordiligi, et je suis heureuse de pouvoir la chanter aujourdâhui. Je mây sens complĂštement Ă lâaise, techniquement et musicalement. Jâai toujours Ă©tĂ© trĂšs prudente, mais aprĂšs tant dâannĂ©es dâexpĂ©rience, le moment est venu de changer un peu. |
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Que Mozart demande-t-il de plus que le répertoire baroque ?
Certains rĂŽles baroques, comme Cleopatra, sont vraiment lyriques. Mais la tessiture de Fiordiligi est trĂšs Ă©tendue, tantĂŽt trĂšs grave, tantĂŽt trĂšs aiguĂ«. Il faut une immense force pour soutenir techniquement cette ligne. Si on nâa pas les graves mais seulement les aigus, câest impossible. Pour ma part, jâai toujours eu des graves et des aigus, mais je ne les avais pas dĂ©veloppĂ©s, notamment Ă cause de mon rĂ©pertoire. Ce nâest pas quâune question de choix, mais aussi dâopportunitĂ© : tout le monde ne pensait pas que je pouvais chanter la Contessa et Fiordiligi avec ma voix.
Le rĂŽle nâest pas dramatique, car Fiordiligi est un personnage assez calme, mais un air comme Come scoglio est une explosion oĂč elle rĂ©vĂšle son caractĂšre. Pour moi qui suis sicilienne et argentine, cette bombe arrive Ă point nommĂ© ! Il nâen faut pas moins avoir un grand contrĂŽle Ă©nergĂ©tique, car le rĂŽle est Ă©norme, et quâil faut tout simplement en venir Ă bout. Avec une technique suffisamment dĂ©veloppĂ©e, on peut sâamuser avec le texte, mais sans trop se laisser aller. Câest une lutte entre le cĆur et la raison. |
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La présence au pupitre de Jean-Christophe Spinosi, avec lequel vous avez beaucoup travaillé, vous rassure-t-elle ?
Jean-Christophe et moi nous connaissons depuis des annĂ©es. MĂȘme sâil dĂ©bute dans cet opĂ©ra â alors que jâai chantĂ© avec des grands chefs comme Harnoncourt et Jacobs, qui ont beaucoup dirigĂ© Mozart â, la confiance que nous avons lâun dans lâautre me rassure, parce que je sais quâil connaĂźt ma voix, et quâil mâaidera Ă rĂ©aliser mes intentions. |
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Quelle est son approche dâun point de vue stylistique ? Allez-vous orner la ligne vocale ?
Jean-Christophe aime beaucoup la simplicitĂ© et sâintĂ©resse au lien dramatique entre le texte et la musique. Chez Mozart, tout est clair, mĂȘme dans les rĂ©citatifs. Il nây a rien Ă ajouter. Câest ce sur quoi nous avons travaillĂ©, dâautant que les instruments anciens permettent une plus grande attention aux dĂ©tails. Le diapason est Ă 430Hz et non Ă 440 comme avec un orchestre moderne. La tessiture est donc plus basse â ce qui est un dĂ©fi pour moi â, mais le style est plus pur, les couleurs et les nuances plus variĂ©es, parce que le son est moins symphonique. |
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Beaucoup de mises en scÚne actuelles de CosÏ fan tutte laissent la fin un peu en suspens, sans résoudre les couples.
En effet, cela reste un mystĂšre pour moi, car on ne peut pas tout rĂ©gler dâun seul coup, comme sâil ne sâĂ©tait rien passĂ© de plus quâun petit jeu sans consĂ©quence. InterprĂ©ter cette fin est trĂšs difficile, tant pour le metteur en scĂšne que pour les chanteurs. Ăric GĂ©novĂšse va faire ce qui est Ă©crit, avec simplicitĂ© et naturel, dans un cadre XVIIIe trĂšs clair, pur, mĂ©diterranĂ©en, Ă lâimage des trĂšs jolis costumes de Luisa Spinatelli. Je suis trĂšs contente de faire ma prise de rĂŽle dans ces conditions, car avec certaines mises en scĂšne modernes, on se demande parfois non sans crainte ce quâon va nous demander de faire ! |
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Les ensembles sont un des secrets de la rĂ©ussite de cet opĂ©ra. Est-il difficile dâinstaurer une complicitĂ© avec lâinterprĂšte de Dorabella ?
Lorsque Rinat Shaham et moi sommes arrivĂ©es sur scĂšne le premier jour des rĂ©pĂ©titions, câest comme si nous nous Ă©tions toujours connues. Cela nâarrive pas toujours entre collĂšgues â nous sommes presque de la mĂȘme taille, du mĂȘme Ăąge. Et puis je lui rappelle autant sa sĆur quâelle me rappelle la mienne. Quelle formidable coĂŻncidence ! |
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Votre premier rĂ©cital discographique jette une passerelle entre lâItalie baroque et lâArgentine du siĂšcle dernier. Comment lâidĂ©e de rĂ©unir deux rĂ©pertoires diffĂ©rents est-elle nĂ©e ?
Jâavais depuis des annĂ©es envie de faire un disque avec la guitare, parce que je suis nĂ©e dans un pays oĂč cet instrument a une grande importance, comme en Espagne. Philippe Spinosi et moi avons donc cherchĂ© ce qui nous allait Ă tous les deux. Je chante beaucoup Haendel, et la cantate No se emenderĂ jamĂ s nous a permis dâunir la guitare, la voix et ma langue maternelle. En tant que violoncelliste, jâai beaucoup jouĂ© Villa-Lobos, et jâai toujours eu en tĂȘte la voix de ma mĂšre, qui est chanteuse, dans les Bachianas. Le compositeur a lui-mĂȘme arrangĂ© lâĂria pour la guitare. Nous lâavons ici enregistrĂ©e avec guitare et violoncelle.
Quant au Tango, il est bien plus frĂ©quemment interprĂ©tĂ© avec orchestre, alors que Gardel a beaucoup chantĂ© avec la guitare. Ce disque est une forme dâhommage Ă mes racines siciliennes et argentines, un signe de gratitude envers la culture que mâont transmis mes grands-parents. Nous lâavons enregistrĂ© dans les conditions du direct, avec trois prises complĂštes, sans retouche, pour chaque air. JâespĂšre que les gens auront autant de plaisir Ă lâĂ©couter que jâen ai pris Ă rĂ©aliser ce rĂȘve. |
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Vous ĂȘtes Ă©galement Ă lâaffiche, toujours avec Jean-Christophe Spinosi, de lâenregistrement de la Fida ninfa de Vivaldi. Nâavez-vous pas craint dâĂȘtre identifiĂ©e, et donc cantonnĂ©e, Ă ce compositeur que vous avez beaucoup servi ?
Cela varie dâun pays Ă lâautre. En Allemagne et en Espagne par exemple, je ne chante que Mozart. En France, Vivaldi mâa fait connaĂźtre, et câest grĂące Ă des rĂŽles comme Morasto dans la Fida ninfa, Costanza dans la Griselda, dont les coloratures trĂšs graves ont permis Ă ma voix de se dĂ©velopper, quâon sâest rendu compte que je pouvais chanter Come scoglio. |
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Vous semblez trÚs attachée au public parisien.
Mes racines sont en Italie et en Argentine, mais je considĂšre la France comme mon pays, parce quâelle mâa accueillie musicalement. Charles Fabius, mon premier agent, qui dirigeait Ă lâĂ©poque lâagence OpĂ©ra et concert, mâa beaucoup aidĂ©e. Jâentends tant de jeunes chanteurs avec des voix merveilleuses dont les carriĂšres explosent, mais qui disparaissent au bout de deux ans. La voix et le talent ne suffisent pas. En 1992, jâai Ă©tĂ© engagĂ©e dans la troupe de lâOpĂ©ra de Lyon. Jâai dĂ» rĂ©pĂ©ter tous les jours, parfois ĂȘtre en deuxiĂšme distribution, mais jâai beaucoup appris.
Je suis Ă©galement trĂšs reconnaissante Ă Dominique Meyer de la confiance quâil mâa tĂ©moignĂ©e. Il nâest pas facile pour un directeur de théùtre de tenir tĂȘte Ă tous ceux qui pensent que vous ĂȘtes une Suzanne, alors quâil veut que vous chantiez la Comtesse. Si je devais un jour fĂȘter une date importante de ma carriĂšre, comme câest la mode en ce moment chez les chanteurs, je le ferais au Théùtre des Champs-ĂlysĂ©es. Je nâai jamais Ă©tĂ© malheureuse, et je suis chaque jour reconnaissante pour le travail quâon me donne. Ma carriĂšre est assez lente, mais lâimportant nâest-il pas dâĂȘtre toujours lĂ ?
Ă voir :
CosĂŹ fan tutte de Mozart, direction : Jean-Christophe Spinosi, Théùtre des Champs-ĂlysĂ©es, 12, 14, 16, 18, 20 et 22 novembre.
à écouter :
Italia 1600 â Argentina 1900, avec Una Stella, 1 CD NaĂŻve OP30466.

La Fida ninfa de Vivaldi, direction : Jean-Christophe Spinosi, 3 CDs NaĂŻve OP30410.

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