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ENTRETIENS 24 avril 2024

June Anderson, Norma est sa meilleure amie
© Eric Mahoudeau

Reine de la Nuit dans le film " Amadeus ", elle règne sur les scènes internationales depuis plus de trente ans car elle s'est distinguée dès l'âge de 17 ans comme finaliste au concours du Metroplitan Opera. Malgré cela, June Anderson garde encore de nouveaux territoires vocaux a conquérir.
 

Le 16/06/2000
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Vous venez de triompher dans Norma à l'Opéra Bastille. C'est avec Isolde le rôle le plus envié de tout le répertoire. Etait-ce un but dès le début de votre carrière ?

    Absolument. J'en rêve depuis que j'ai commencé à chanter, mais j'ai préféré attendre d'avoir vraiment les moyens adéquats. On a commencé à me le proposer en 1984. C'était ridicule, beaucoup trop tôt. J'ai alors déclaré que je ne voulais pas faire "Normina" mais vraiment Norma. J'ai abordé le rôle pour la première fois en 1997 à Chicago. Cette production est la troisième dans laquelle je chante.

     
    Qu'est-ce qui vous fascinait tant dans ce rôle ? Le personnage ? L'écriture vocale ? La difficulté ?

    L'ensemble. J'ai absolument besoin de me passionner pour le personnage quand j'aborde un rôle, mais je trouve difficilement des personnages et une musique qui m'intéresse aussi. Chez Janacek, par exemple, les caractères sont très intéressants, mais la musique ne me parle pas. Norma est plus qu'un personnage, c'est une personne. Elle est complète. Je la connais tellement bien ! Elle est presque comme ma meilleure amie. J'ai travaillé la partition petit à petit. Je me rappelle avoir abordé certains passages comme le début du deuxième acte avec mon professeur il y a peut-être quinze ou vingt ans. Seulement pour commencer à me sentir chez moi dans la partition.

     
    Qu'est-ce qui est le plus difficile dans cette partition ?

    Rien n'est facile ! Il n'y a pas un moment où l'on peut se mettre en retrait, récupérer un peu. Dans tous les autres rôles, on trouve toujours l'instant où l'on n'est pas au premier plan et où l'on peut s'économiser. Dans Norma, il n'y a pas un seul moment comme ça. C'est aussi la raison pour laquelle c'est tellement passionnant. Chaque mot qu'elle dit est important. Je ne peux pas imaginer que l'on puisse chanter Norma si l'on ne parle pas couramment italien. On y trouve peut-être les plus beaux récitatifs jamais écrits, et ils ont tous le rythme de la langue. Je m'exerce même à les réciter pour trouver le bon rythme. Les moments de rage sont pour moi les plus difficiles car ils sont les plus éloignés de mon propre caractère. Je suis très calme. Je ne hurle jamais. Je pleure, mais je ne hurle pas ! Les moments de rages ne me sont donc pas naturels, mais je crois que j'y parviens de mieux en mieux. La première fois, j'ai eu du mal, mais une première fois, c'est toujours une première fois, surtout avec un rôle comme celui-là. Il vaudrait mieux ne pas voir de Norma avant la trentième ! J'en suis quand même à ma vingtième au moins. Dix à Chicago, sept à Genève et sept ici.

     
    Maintenant que Norma est bien intégré dans votre répertoire, quelle sera la prochaine conquête de votre carrière ?

    Le prochain rôle est aussi un défi pour moi. Ce sera Médée de Chérubini dans la version originale, à Vienne, au Théâtre an der Wien en 2002, avec les dialogues en français. Je ne sais pas ce qu'on va faire avec ces dialogues, peut-être les réécrire, sûrement les couper car ce serait trop long pour le public d'aujourd'hui, surtout un public qui ne comprend pas le français. Ca sera difficile, mais je connais le chef, Bertrand de Billy, j'ai beaucoup parlé avec le metteur en scène et on nous allons construire un vrai travail d'équipe. On parle beaucoup de Norma et de Médée comme des personnages assez semblables. Pour moi, seule la situation est la même. Norma est une femme, un être humain, avec une conscience. Elle envisage de faire des choses méchantes mais elle ne les fait jamais. Médée, est une demi-déesse. Elle n'a pas de conscience. Elle envisage les choses et elle le fait. C'est Norma sans conscience, mais, aussi, une femme passionnée. C'est l'amour pour Jason qui engendre sa vengeance, et nous allons centrer notre travail plus sur la cause de cette vengeance que sur son accomplissement. C'est une approche qui me correspond davantage. Médée est aussi une grande amoureuse trahie. C'est cela que nous allons souligner, plus que les hurlements de rages.

     
    La musique de Cherubini est-elle très différente de celle de Bellini ?

    Elle est antérieure à celle de Norma, donc plus classique, un peu moins bel canto, mais le personnage m'a tout de suite accrochée, dès que j'ai vu la partition. C'est une musique qui me parle. J'ai des amis qui sont tout à fait contre. Tant pis ! Peut-être que çà ne marchera pas, mais je vais m'y attaquer à ma manière, en me jetant totalement dans le projet. Bien sûr, ma Médée ne sera pas comme celle de Callas, mais ma Norma n'est pas non plus comme la sienne. On peut aborder ces personnages de diverses manières. Ma Norma est plus humaine que la sienne. Je sais que je n'ai pas les qualités vocales ni dramatiques de Callas. Il fallait trouver une autre route. Je ne l'ai pas cherchée artificiellement, mais je suis allée dans le sens de mon caractère, qui est très différent du sien.

     
    Vous faites l'une des plus grandes carrières actuelles, mais dès que l'on aborde ce type de rôle, on est immédiatement comparé aux autres grandes interprètes du passé, Callas, Sutherland, Caballé. Comment vivez-vous ces perpétuelles comparaisons ?

    Si on me compare aux plus grandes, ce n'est pas une insulte ! Pourtant j'aimerais mieux que l'on me juge en fonction de ma propre personnalité. J'ai un peu les pommettes et la mâchoire de Sutherland, alors on me compare à elle. Mon visage est peut-être plus doux que le sien et je pense souvent que je pourrais être la fille de Bonynge et de Sutherland !

     
    Écoutez-vous les interprétations des grandes cantatrices qui vous ont précédées dans ces rôles ?

    Seulement après avoir bien étudié la partition et pris mes propres décisions. Pour Norma je n'ai écouté que la Callas, mais très tard. Je ne voulais vraiment pas être influencée par elle, même si je savais ne pas pouvoir faire comme elle. Je voulais établir mes choix, avant de l'écouter. J'adore l'écouter car même lorsque je ne suis pas d'accord avec elle, ce qu'elle voulait dire est tellement clair ! Mais pour moi, ce fut la plus grande Norma. Elle était unique, la plus grande cantatrice du XXe siècle. Il est même impossible d'être comparée à elle. On ne peut pas comparer les humains et les dieux. Pour moi c'est un génie, hors catégorie. Il y a des humains qui chantent, et puis elle.

     
    Avez-vous d'autres prises de rôles que Médée en perspective ?

    Anna Bolena, mais ce n'est pas aussi passionnant et puis un rôle de Strauss, peut-être, mais je ne veux pas encore dire lequel, mais Rysanek l'a chanté ! Ca fait longtemps qu'on me conseille d'aborder Strauss, mais j'ai toujours repoussé. Je suis trop italienne. Peut-être vais-je franchir le pas maintenant.

     
    Vous allez rechanter Lucia de Lammermoor la saison prochaine à l'Opéra Bastille dans la production de Serban. Pourtant, vous ne gardez pas un très bon souvenir de cette production.

    C'était une mise en scène assez sadique ! Surtout très compliquée, inutilement. Comme ce sera une reprise, avec très peu de répétitions, je ne sais pas si j'aurai le temps de mettre au point toutes les acrobaties prévues. J'avais été piégée avec ce spectacle car ce devait être le même qu'une production de Serban que j'avais chantée à Chicago et à Los Angeles et que j'aimais beaucoup. Elle était très suggestive avec beaucoup d'ambiance, assez contestée aux États-Unis mais très intéressante. Sans me le dire on avait tout changé. Au lieu d'un château qui bougeait et qui devenait un paysage écossais, j'avais des échelles, une bascule, au lieu de grimper sur des remparts et de me promener dans un paysage je circulais dans un corps de garde, tout cela assez vide et sans signification. Je ne suis pas traditionaliste, mais je ne veux pas violer les oeuvres. Il faut les respecter.

     
    Qu'attendez-vous des metteurs en scène ?

    Une collaboration totale. Malheureusement, on arrive quand tout est décidé et c'est à l'artiste de trouver une manière de s'intégrer dans un travail déjà fini et qui n'a souvent rien à faire avec lui. Pour cette autre Lucia, je m'étais entretenu avec Serban. Pour Médée, je compte bien faire partie de l'équipe. Médée est vraiment un personnage j'aimerai modeler sur moi et moi sur elle. J'ai envie de participer à toutes les décisions. Le dialogue est beaucoup plus facile avec les chefs car au moins, ils respectent la musique ! Les metteurs en scène veulent le plus souvent se mettre en valeur eux-mêmes, plus que l'oeuvre.

     
    Vous enregistrez moins que la plupart de vos collègues. Pourquoi ?

    Je ne suis pas convaincue par les nouvelles techniques d'enregistrement. Selon moi, elles reposent trop sur des prises de son très sophistiquées et retravaillées ensuite. Je ne retrouve jamais la vraie nature de ma voix. Je pense qu'à leur manière, les enregistrements pris avec des micros plus lointains du temps de la Callas ou de la Tebaldi rendaient plus fidèlement la vraie nature des voix et leur équilibre avec l'orchestre comme dans un théâtre. Il n'y a guère qu'un seul de mes disques où je me reconnaisse vraiment, mais de manière générale, je dois avouer que je n'écoute pas mes enregistrements. Le dernier n'est pas encore sorti. Il est consacré à une oeuvre de Bernstein "A White House Cantata", où je chante la première dame des États-Unis. C'est une suite réalisée à partir de Sixteenth Pennsylvania Avenue dernière comédie musicale de Bernstein et qui avait été un échec total à l'époque. Sous sa nouvelle forme, c'est intéressant, un peu comédie musicale, un peu opéra, et avec de vrais personnages.

     

    Le 16/06/2000
    Gérard MANNONI


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