altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 16 avril 2024

Paul Gay, le bel âge d’un baryton-basse

Jusqu’à présent, Paul Gay a mené une carrière exemplaire, sans éclats prématurés ni prudence excessive. Ces dernières saisons, Paris a pu découvrir ce baryton-basse français dans des silhouettes où sa voix claire et saine n’est pas passée inaperçue. Il est le Roi Ignace dans Yvonne, princesse de Bourgogne, le nouvel opéra de Philippe Boesmans au Palais Garnier.
 

Le 03/02/2009
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • JĂ©rĂ´me Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumĂ©

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • La responsabilitĂ© d’un chanteur est-elle plus grande pour une crĂ©ation que pour un opĂ©ra du rĂ©pertoire ?

    Nous avons le privilège de la première interprétation, ce qui nous rend responsables du succès – ou de l’échec – de l’œuvre. Dès lors que le compositeur est amené à modifier sa partition en fonction des interprètes, nous lui apportons une certaine orientation. Ainsi, Philippe Boesmans a changé une ou deux nuances, deux ou trois notes dans mon rôle, par exemple une note en fausset qui faisait davantage d’effet un peu plus haute. Ce privilège implique de n’être comparé à personne, de devenir soi-même la référence.

     

    Ne risquez-vous pas, lorsque vous acceptez une création, de vous retrouver face à une musique inchantable ?

    En ce qui concerne Boesmans, la question ne se pose pas, puisque ses précédentes œuvres ont montré qu’il savait bien écrire pour les voix. J’avais déjà chanté une de ses mélodies lors d’un concours à Bruxelles il y a douze ans, et je l’avais beaucoup appréciée. J’étais censé faire la reprise de l’Affaire Makropoulos, puis on m’a proposé un rôle plus important, celui du Roi, dans son nouvel opéra. J’ai dû choisir car les dates se chevauchaient.

    J’ai donc opté pour la création, parce que le projet m’intéressait et que, connaissant la pièce de Gombrowicz, je savais qu’il s’agissait d’un rôle absolument en or. Le rôle est écrit pour baryton de caractère ou baryton-basse, et sans doute ma tessiture avait-elle été communiquée à Boesmans, puisque j’ai été engagé avec qu’il n’ait commencé à composer.

     

    Quelles sont les particularités de son écriture vocale ?

    Elle est très proche du discours, avec certains moments de lyrisme. On y décèle souvent l’influence du récit d’opéra français, notamment debussyste, avec des intervalles expressifs. Boesmans a un lien très privilégié avec le théâtre. Il ne se laisse jamais guider par des principes musicaux comme les dodécaphonistes, les sérialistes. Il suit le drame, ou la comédie. Sa musique ne sonne jamais faux parce qu’il doit certainement composer en entendant les phrases telles qu’on les parlerait, avec leur prosodie, leur musicalité naturelles. On ne se pose pas de question, certaines phrases ne pourraient être dites autrement. J’avais eu la même impression lorsque j’avais chanté Golaud.

     

    La pièce est une tragi-comédie.

    Ou plutôt une comédie tragique, grinçante, très noire et absurde, un peu ubuesque. Elle présente une forme de grande cruauté qui, poussée à l’absurde, devient burlesque. On n’y trouve pas vraiment de personnage sympathique. Même Yvonne ne l’est pas, bien qu’elle soit le souffre-douleur, parce qu’elle dérange trop. Le Roi Ignace est un épouvantable personnage, qui n’en a pas moins le charme de son énergie. La Reine Marguerite est tout aussi désagréable, idiote, mais Boesmans lui a conféré un charme vocal certain. Ses personnages sont très bien croqués, ils ont tous une personnalité vocale définie.

     

    À quoi vous raccrochez-vous face à un rôle pour lequel il n’existe aucun modèle, un univers que personne n’a exploré ?

    J’aborde toujours mes rôles avec une espèce de candeur, et l’impression que je ne vais jamais arriver à les jouer. Puis on se retrouve au pied du mur face à un metteur en scène auquel on laisse la responsabilité du jugement, et on se lance. Aussi naturellement qu’on a intégré la musique, le personnage se développe au fur et à mesure des répétitions. Dans le cas du Roi Ignace, j’ai éprouvé une vraie jubilation à jouer la méchanceté, en faisant des choses que je ne peux pas me permettre dans la vie.

     

    Dans ce cas, un rôle comme Klingsor, que vous avez abordé à Francfort, doit être un véritable défouloir.

    Klingsor est un personnage torturé, pas seulement une ordure. C’est un chevalier déchu qui porte en lui une frustration, une rancœur. Son orgueil l’a poussé à la faute. Il est un peu comme Golaud, Philippe II, qui développent à un moment donné une grande violence, mais sont profondément blessés. Ce n’est absolument pas le cas du Roi dans Yvonne, qui est purement égoïste, odieux et superficiel. Lorsque Kundry raille sa chasteté, Klingsor est mis face à sa faiblesse, tout comme Elisabeth met Philippe II face au soupçon de la jalousie. Ils se laissent emporter par leurs élans. Ce sont des personnages fascinants.

     

    Cette complexité, ces blessures impliquent une certaine maturité. Que chante un jeune baryton-basse en attendant d’y parvenir ?

    Les barytons-basses constituent une race un peu part, bien que certains commencent très jeunes. J’ai débuté à 28 ans en troupe en Allemagne, mais cela ne fait que deux ou trois ans qu’on a arrêté de me dire que j’étais un jeune baryton-basse. Golaud, que j’ai abordé à 36 ans, a marqué un tournant. À quarante ans, j’entre véritablement dans mes pleines années.

    Cela dit, il faut d’abord expérimenter les rôles pour pouvoir les amener à maturation. J’ai fait – et bien – Walther dans Luisa Miller à 28 ans, Don Quichotte à 29, mais j’étais trop jeune. J’ai donc fait jouer l’imagination, je les ai abordés autrement. Désormais, lorsque je dois jouer un rôle de roi, de prêtre, je ressens une adéquation naturelle, je n’ai plus besoin de chercher des justifications.

     

    L’Allemagne est-elle la seule planche de salut pour un jeune chanteur français désireux d’apprendre son métier ?

    Seulement pour ceux qui acceptent de s’exporter. Car tout le monde n’a pas envie d’aller en Allemagne : il y a des a priori contre le pays, le climat. Et puis on m’a quand même seriné que j’allais être exploité, qu’on allait me tuer la voix. Il est certain que pour un jeune diplômé du conservatoire, qui a une voix, la perspective d’aller en Allemagne pour gagner en un an l’équivalent de ce qu’on lui propose pour chanter un second plan n’est pas des plus stimulantes.

    Mais il faut considérer les choses autrement. Mon professeur, Robert Dumé, m’a fortement enjoint à y aller, d’abord pour me perfectionner auprès de Kurt Moll à Cologne. Puis j’ai auditionné, et dès que j’ai eu une place dans un théâtre, je l’ai acceptée, parce que je me suis rendu compte que je n’avais aucune expérience.

    J’étais à l’abri du jugement français, toujours très dur envers les débutants, pour peu qu’on leur donne du travail. Je suis arrivé là-bas, on m’appréciait, on m’a accueilli les bras ouverts, et pendant les trois années que j’y ai passées, j’ai chanté de très beaux rôles. Puis je suis allé à Lyon, dont le système de résidence était une bonne alternative à la troupe, à l’époque de René Massis et Alain Durel.

    J’y suis resté trois ans, et j’y ai chanté six opéras la première année, quatre la deuxième et trois la dernière. L’année suivante, j’ai été engagé comme chanteur invité par la nouvelle direction. La transition entre la troupe et le free-lance tel qu’on le pratique en France s’est bien passée. Ludovic Tézier, Stéphane Degout, Karine Deshayes sont passés par-là. Cela ne leur a pas mal réussi !

     

    Le baroque n’est-il pas aujourd’hui une bonne alternative ?

    J’en ai fait un peu, mais il ne prépare pas aux grands rôles lyriques. Une bonne technique est le point de départ : aborder quelques grands rôles de temps en temps, c’est-à-dire sans les enchaîner comme une brute les uns après les autres, mais en alternant avec des seconds plans, voilà qui permet de commencer à s’aguerrir.

    Chanter des Haendel, des Lully et des Rameau, qui sont soit très graves, soit très aigus, parfois les deux, dans un style qui ne permet pas toujours d’épanouir la voix, n’aide pas du tout. Je rechanterais volontiers du baroque dans quelques années, mais seulement si le rôle me convient parfaitement.

    On m’a fait chanter, et je l’ai accepté, des rôles qui ne mettait pas ma voix en valeur, et j’en ai souffert. J’ai besoin de phraser pour m’épanouir, pouvoir projeter. Ma voix n’est pas faite pour ce répertoire, mais lorsque je le chantais, on disait qu’elle était baroque. Lorsque j’ai abordé Klingsor, personne ne s’en est étonné, mais il a fallu persuader certains directeurs de théâtre que j’en étais capable, même si je chantais aussi Haendel.

     

    Quelles sont les limites que vous ne vous autorisez pas à franchir, tant du côté des rôles de baryton que de basse ?

    Les barytons Verdi ne sont pas pour moi, hormis Paolo dans Simon Boccanegra, qui est un rôle un peu hybride, et peut-être un jour Falstaff, qui a beaucoup été chanté par des basses en fin de carrière. Dans l’opéra français, je suis la basse chantante, pas le baryton, je chante des Grieux mais pas Lescaut, Méphisto mais pas Valentin.

    Pour ce qui est des basses italiennes, Verdi est souvent un peu trop ample, trop noir de couleur, à part Philippe II qui est essentiellement lyrique, avec quelques éclats, mais plutôt dans l’aigu. Van Dam l’a beaucoup chanté à une certaine époque, et j’envisage de le faire dans trois ou quatre ans. Attila est également une possibilité. Mais je m’oriente davantage vers le bel canto donizettien et bellinien. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’en faire beaucoup, mais je vais chanter Enrico dans Anna Bolena l’année prochaine à Francfort. Ce sont des tessitures vaillantes, parfaites pour ma voix.

    En allemand, le répertoire typique de baryton-basse demande une force, une puissance, une projection énormes. Aujourd’hui, Klingsor, Amfortas, Fasolt ne me posent pas de problèmes, et plus tard, lorsque j’aurai la cinquantaine, Hans Sachs, Jochanaan seront envisageables. Mais il faut se méfier, le faire intelligemment, parce qu’on peut se faire mal. Dans l’opéra italien, l’orchestre se tait quand on chante, alors que Strauss érige un mur. On ne peut pas lutter, on essaie quand même de passer, et on est automatiquement amené à forcer. Si la voix n’est pas faite pour, il ne faut pas insister.

     

    Vous évoquiez José Van Dam. Le considérez-vous comme un modèle ?

    Van Dam est un modèle en soi. Un baryton-basse français ne peut faire l’impasse sur lui. Et il se trouve que j’aborde vraiment les mêmes rôles que lui. J’aime beaucoup ce type de chant, de phrasé. Je me reconnais donc dans cette tradition. Je vais chanter Saint François d’Assise dans deux ans à Munich, et ce rôle qui a été écrit pour lui me va parfaitement. Parmi les grands barytons-basse, Marcel Journet est le modèle absolu, mais aussi les grandes basses chantantes françaises comme Xavier Depraz, Jacques Mars.

     

    La voix de Xavier Depraz paraît extrêmement claire. Aujourd’hui, plus personne ne chante de cette manière.

    À tort à mon avis. Même Van Dam a un son plus moderne, rond, policé, très égal. La voix était peut-être envisagée de façon plus caractérisée, théâtrale. Le timbre de Journet était très clair, mais rond. Depraz avait une voix bâtarde. Il disait lui-même que s’il n’avait pas fumé, il aurait été baryton. On me dit souvent que j’ai une voix très claire, mais lorsque j’ai chanté le moine dans Don Carlo, personne ne s’en est étonné, alors qu’on y entend souvent des basses très noires.

    Quand on a l’élégance du phrasé, la couleur de voix est une question de goût. J’ai travaillé le Roi Marke avec Kurt Moll, j’aime beaucoup le chanter, mais il ne viendrait à l’esprit d’aucun directeur de théâtre de me confier ce rôle. Pourtant, Journet l’a chanté avec sa voix très claire. Je soutiens le chant clair français, qui est d’ailleurs assez recherché de nos jours. Les chanteurs français ne sont pas trop maltraités dans le monde de l’opéra, beaucoup moins qu’avant en tout cas.

     

    Que vous a apporté votre nomination dans la catégorie des révélations aux Victoires de la Musique en 2004 ?

    Rien. Sans doute a-t-elle un peu fait tourner mon nom. Lorsque je prends la mesure du travail qui a été fait par mon agent ces deux dernières années, je me rends compte que ce sont mes prestations, la réalité du métier qui ont fait avancer ma carrière. Une Victoire m’aurait peut-être permis de faire des disques.

    Pour l’instant, je n’ai enregistré que de petits rôles. Ce n’est pas spécialement intéressant, et ne nous fait pas connaître, ou alors pour de mauvaises raisons. Il arrive même qu’on vous le reproche : quand on se présente pour un grand rôle, on vous demande pourquoi vous avez fait le baron Duphol dans la Traviata. Si j’avais été plus exigeant en termes de construction de carrière et célibataire, je ne l’aurais pas fait. Mais avec une famille, il faut parfois faire des compromis.

     

    Le 03/02/2009
    Mehdi MAHDAVI


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com